Cours de sémiotique 1992/1993 - Michel Balat

Le prélèvement du sang permet un examen direct de l'organe. Les modifications
que l'on peut retrouver dans le sang peuvent apporter des informations sur des ...

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Cours de sémiotique 1992/1993
Michel Balat
13/10/92
Chaque année je me demande comment je vais aborder ce cours, car à la
fois il faut que ce soit une nouvelle histoire et en même temps un corps de
savoir, quelque chose que je vous enseigne, dont j'essaie de vous donner
quelques termes. Alors un enseignement, qu'est-ce que c'est ? Si nous décomposons, c'est
mettre dans les signes. Enseigner : mettre en signes. Mettre quoi en
signes ? C'est une question délicate. Est-ce que c'est vous qu'il faut
mettre en signes ? est-ce qu'il faut mettre les signes en vous ? Cela veut
dire qu'en tous les cas nous pouvons repérer ces fameux signes. Cette
année, ce sera quasiment une obsession, celle de savoir ce qu'est la nature
des signes. S'il n'y avait que cela à étudier, ce serait trop pénible, et
je ne me proposerais même pas de vous le faire. Mais il se trouve qu'au
détour de ces questions, nous découvrirons des champs, des choses
nouvelles, avec parfois quelque intérêt. Pour commencer, quelqu'un me demandait si c'était un cours de
Sémiologie. Y a-t-il une différence à faire entre Sémiologie et
Sémiotique ? Vous savez peut-être que, dans cet univers impitoyable, il y a
la Sémantique, la Syntactique, la Pragmatique, autant de termes qu'il
faudrait essayer d'ordonner en mettant en place quelques définitions. La Sémiotique, officiellement, pourrait s'intituler « science des
signes ». Ce serait très général, ça ne marcherait pas. Ce n'est pas simple
d'expliquer qu'il n'y a pas de science des signes. A cette définition peut
être substitué une autre définition qui paraît intéressante, et vous allez
voir pourquoi : c'est « science des processus de signification ». Voilà,
toute la question est là, parce que bien entendu, un signe c'est quelque
chose d'extrêmement volatil. Si vous essayez d'attraper un signe vous aurez
quelques difficultés. Par contre, dans le processus par lequel vous allez
saisir le signe, ou tenter de le saisir, vous allez fabriquer d'autres
signes. Vous allez en quelque sorte devenir des interprétants. Un signe
n'est jamais quelque chose qui est une donnée absolue, en soi, comme ça,
mais quelque chose qui est toujours à interpréter. Là où nous pourrions
penser trouver un élément, se trouve en fait un processus. Quelque chose
qui court, et qui court toujours. Lorsque César dit : « Alea jacta est », voilà un signe. Mais ce signe
est arrivé jusqu'à nous. C'est donc par un certain processus. César ne l'a
écrit nulle part. Il a été noté, et sa signification, nous n'arrêtons pas
de la forger. Quand le brave César a proféré ces paroles, elles se sont
envolées. Si c'était ça le signe il resterait donc à rendre compte du fait
que ça puisse continuer. Nous pourrions dire qu'un signe, c'est l'annonce
que ça va continuer, et que peut être même ça ne s'arrêtera jamais. Notez
quand même, et c'est quelque chose de remarquable, que nous n'avons pas
fini d'épuiser le sens de ce « Alea jacta est », ça continue. Dans tel
bouquin intitulé « César » [1], se trouve tout un chapitre bien informé sur
le passage du Rubicon. Évidemment, avec le temps, nous sommes plus informés
sur César, nous en apprenons un petit peu plus. Lorsque les psychanalystes
ont fait leur apparition sur la scène, ils ont dit que ce franchissement
était un équivalent de l'inceste. César, lui, traversait le Rubicon, c'est
tout. Vous voyez donc que cette phrase n'arrête pas de s'enrichir, de se
développer et de poursuivre sa vie. Il paraît ainsi plus intéressant, a priori, afin de garder une plus
grande généralité, de se consacrer à une réflexion sur le processus, et,
comme il faut des mots pour signifier ces choses-là, ce processus de
signification, - qui court du moment où César dit « Alea jacta est »
jusqu'à aujourd'hui et puis encore jusqu'au travail qu'il y aura à faire
demain, pour des latinistes ou autres, - eh bien, nous allons appeler ça
une sémiose. Autrement dit, nous assumerons que l'objet propre de la
sémiotique est la sémiose. Un processus est quelque chose d'intéressant,
c'est beaucoup plus intéressant qu'une chose morte. Un processus est
toujours vivant : il faut l'analyser, le décomposer en éléments, trouver
comment il fonctionne, ce que sont ses structures générales éventuelles.
Autant de questions que nous tenterons de résoudre l'une après l'autre,
parfois ensemble, et souvent de manière intriquée. Aurons-nous des
définitions sur lesquelles nous pourrons nous reposer ? Un certain vague
entourera les notions, afin d'être assurés de ne pas comprendre tout à
fait, ce qui nous contraindra à continuer pour tenter de comprendre. Si je
vous disais, c'est ça !, vous vous diriez, eh bien, je l'écris et puis
c'est terminé, il n'y a plus d'intérêt à s'en occuper. Sémiotique et sémiologie, c'est toute une histoire. Cette sémiotique
est une science dont nous allons faire rapidement l'histoire - je dis
science, mais j'ai une notion de la science qui n'est pas tout à fait celle
que nous entendons généralement comme dans « science physique »,
« expérimentale » etc., mais qui comprend ces dernières. La sémiotique est une très vieille chose. Nous pouvons considérer que
les premières réflexions sur la sémiotique, sur le processus, datent des
Stoïciens, des Épicuriens (qui se sont intéressés au processus, justement).
Nous pouvons dire que jusqu'à nos jours, ce qui a permis au mot
« sémiotique » de survivre, c'est la médecine. Il est curieux que ce ne
soit pas la philosophie. Certes, le mot sémiotique se trouve chez Locke,
donc assez tard, mais c'est un mot qui se trouve rarement chez les
philosophes. Chez les médecins, il foisonne, de nombreux livres de médecine
qui traitent de ce qu'ils appelaient la « Séméiotique », nom officiel de ce
que maintenant nous appelons la sémiologie [2]. La Séméiotique, en médecine, est essentielle : c'est la description des
symptômes des maladies. Quand vous êtes devant un malade, quels sont les
signes qui permettent de distinguer la maladie de l'état normal ? Dans
telle maladie, quels sont les symptômes qui font référence à tel autre
symptôme ? et quelle est la cause ou le pronostic des maladies en
question ? La Séméiotique était une branche très importante de la médecine.
Mais, vers la fin du siècle dernier ce terme disparaît au profit de celui
de « sémiologie » (ou, parfois « séméiologie »). Le mot « Séméiotique » est alors repris et fondé par un espèce
d'hurluberlu, génial, fou, Américain, qui s'appelait Charles Sanders
Peirce. Pour vous décrire rapidement le personnage, c'est un graphomane,
une malade de l'écriture. Il écrivait beaucoup. En gros nous disposons
d'une ?uvre, non publiée en général, d'un volume de l'ordre, en quantité,
de 100 dictionnaires Larousse. C'était un graphomane : une maladie qui ne
se soigne pas, sauf peut-être en écrivant. Il a commencé à écrire à l'âge
de 14 ans. Né en 1839, il est mort en 1914, à 75 ans après 60 ans
d'écriture. En fait il a cessé d'écrire vers les années 10-11. Son père,
Benjamin Peirce, était l'un des grands mathématiciens de son pays. Charles
Peirce a été, lui aussi, mathématicien. Son père avait une vie très riche,
beaucoup de gens venaient le visiter, tel Arago. Charles Peirce se
destinait aux mathématiques. Au point de départ, en fait, il se destinait à
la chimie. C'est un fait intéressant, car nous trouvons dans les fondements
de la sémiotique beaucoup d'images qui rappellent celles de la chimie. A
l'âge de 14 ans il aurait écrit un traité de chimie, qui n'a jamais été
retrouvé. Puis, il est devenu logicien. Là, il est connu dans l'histoire de
la logique pour quelque chose d'important, les quantificateurs : « pour
tout (?) » et « il existe (?) ». Mais il était aussi philosophe. Son livre
de chevet, étant jeune, était Critique de la raison pure qu'il étudiait
avec son père. Plus tard, il a fondé un mouvement, qu'il a rejeté
ouvertement par la suite : le pragmatisme. C'est l'inventeur du mot, de la
philosophie. Mais la philosophie qui s'en est suivie ne lui plaisant pas du
tout, il a décidé de l'appeler le « pragmaticisme ». Toute sa réflexion, tant de logicien que de philosophe, l'a amené à
s'intéresser de très près à la nature des signes. Pendant 40 années, il n'a
cessé de produire des articles, des réflexions, des méditations, des
constructions sur la nature des signes. C'est le fondateur de la
sémiotique. Pendant ce temps-là, en Europe, vivait Saussure. Ce dernier
menait une drôle de vie : il écrivait ses anagrammes, dit-on, dans les
bordels de Marseille, mais pas les cours, qu'il improvisait à l'Université.
Le savant était humain. Saussure est sorti d'un courant, celui d'une
linguistique en formation, qu'il a contribué à fonder. Donc, nous appellerons sémiotique tout ce qui vient de l'héritage
peircien et nous appellerons sémiologie tout ce qui vient de l'héritage
saussurien, en hommage à Saussure lui-même, qui disait que le couronnement
de son entreprise linguistique devait être une sémiologie générale. Il se trouve que cette distinction n'est pas reconnue partout. En 83, à
Perpignan, nous avons fait un Colloque où nous avons réuni le courant
saussurien et le courant peircien, pour tenter de se mettre d'accord sur le
partage des termes concernant les disciplines. Nous n'avons pas vraiment
abouti. Tous trouvaient qu'il était raisonnable de faire comme ça, mais
personne ne l'a appliqué. Nous trouvons dans le courant qui es