Déterminisme, hasard, chaos, liberté.

L'idée du déterminisme a une longue histoire et des sens variés. ... qui ne le sont
pas ne résistent pas à un examen rigoureux, fait librement et en pleine lumière.
..... brownien, nous pouvons modéliser avec précision les éléments statistiques, ...

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Déterminisme, hasard, chaos, liberté.
Henri Poincaré et la révolution des idées scientifiques au vingtième
siècle.
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Par C. Marchal (X 58)
Résumé Il y a cent ans Henri Poincaré réfléchissait aux fondements de la
science. C'est le point de départ d'une analyse philosophique poursuivie
tout au long du siècle, qui a bouleversé nos idées scientifiques et s'est
étendue bien au-delà des limites de la science. Introduction
Le déterminisme absolu ou « Laplacien » L'idée du déterminisme a une longue histoire et des sens variés. Son
sens absolu fut défini par Pierre-Simon de Laplace en 1814 dans son livre
« Essai philosophique sur les probabilités » où il écrivit :
« Nous devons envisager l'état de l'Univers comme l'effet de son état
antérieur et la cause de ce qui va suivre. Une intelligence qui pour un
instant donné connaîtrait toutes les forces dont la nature est animée et la
situation respective des êtres qui la composent, si d'ailleurs elle était
assez vaste pour soumettre ces données à l'analyse, embrasserait dans la
même formule le mouvement des plus grands corps de l'Univers et ceux du
plus léger atome : rien ne serait incertain pour elle, l'avenir comme le
passé serait présent à ses yeux. » (Laplace 1814).
Un tel déterminisme absolu est connu sous le nom de « déterminisme
laplacien ». Tout au long du 19ième siècle il fut considéré comme un
élément fondamental des faits scientifiques et nous devons reconnaître
qu'il fut très utile ; il a aidé les scientifiques à classer et à
comprendre la variété gigantesque des phénomènes physiques, astronomiques,
chimiques, biologiques. Il est certainement l'une des raisons principales
des fantastiques progrès scientifiques de ce siècle. Le « credo » du scientisme et son discrédit. Dans les décennies 1880-1910 les progrès impressionnants de la
science avaient conduit à une situation entièrement nouvelle. La plupart
des scientifiques, mais aussi de nombreux écrivains et philosophes ainsi
qu'une large part du public, pensaient que l'humanité était à l'aube d'une
ère nouvelle.
La science était considérée comme quasi-infaillible, comme capable de
vaincre toutes les misères et maladies qui assaillaient l'humanité depuis
toujours, comme capable de répondre à toutes les questions et en
particulier aux questions philosophiques : Où sommes-nous ? d'où venons-
nous ? où allons-nous ? pourquoi sommes-nous sur Terre ?
Beaucoup de savants en avaient conçu un orgueil démesuré, ils
considéraient que tout progrès de la Science était un progrès de l'humanité
et refusaient toute intervention ou considération extérieure. Cet état
d'esprit est bien représenté par la profession de foi scientifique
présentée le 19 Août 1880 à Reims par J. Mercadier, président de la section
de Physique de l'association française pour l'avancement des sciences, lors
de l'assemblée générale annuelle de cette association :
« La liberté est la condition essentielle du développement des
sciences. Aussi n'existe-t-il parmi nous ni castes, ni sectes, ni coteries
; toutes les convictions sincères sont respectées. Tout ce qui touche au
domaine de la conscience est systématiquement exclu de nos débats. On ne
discute ici que des questions véritablement discutables et sur lesquelles
l'expérience a quelques prises ; mais toutes les questions de ce genre sont
admises à la discussion.
Nous écoutons toutes les doctrines scientifiques, sérieuses ou non,
peu nous importe car celles qui ne le sont pas ne résistent pas à un examen
rigoureux, fait librement et en pleine lumière.
Nous avons une foi sincère dans le progrès continu de l' humanité et,
jugeant de l'avenir d'après le passé et d'après les conquêtes que le siècle
actuel a faites sur la nature nous n'admettons pas qu'on vienne nous dire à
priori en quelque branche que ce soit de la science positive : « Tu
t'arrêteras là ! ».
Il y a donc place parmi nous, vous le voyez, pour tout homme
d'initiative de bonne volonté et de bonne foi ».
Cette vision très optimiste de la Science était encore prudente :
elle évitait le domaine de la conscience. Mais vingt ans plus tard cette
prudence n'était plus de mise et le scientisme triomphant n'admettait plus
aucune barrière. Son idéologie optimiste et dominatrice peut être résumée
dans le « credo du scientisme » : 1) La Science expliquera tout.
2) Les religions appartiennent au passé ( Auguste Comte).
3) Tout ce qui existe réellement peut être prouvé ( je ne crois que
ce que je vois ).
4) Dieu est une invention de l'homme ( Freud, Feuerbach ).
5) L'Univers est infini et immuable, il a toujours existé, il
existera toujours.
6) L'homme est un animal, c'est à dire de la matière organisée.
7) L'évolution n'est mue que par le hasard ( Darwin).
8) La Bible, les miracles sont des légendes ( Renan ).
9) La finalité n'est qu'une apparence, seul le déterminisme existe
réellement. Bien entendu la philosophie correspondante est le matérialisme et le
déterminisme tandis que la croyance correspondante est l'athéisme. Mais,
même au voisinage de 1900, ce credo était difficile à accepter pleinement
et le physiologiste allemand Ernst Wilhelm von Brücke (1819-1892) s'est
exclamé : « La finalité est une maîtresse exigeante dont un biologiste ne
peut se passer, mais il ne veut surtout pas être vu en public avec elle
! ». Nous verrons plus loin les objections plus sérieuses de Poincaré.
Il faut noter que, malgré tous les déboires, toutes les
contradictions et réfutations que ce credo a rencontrés tout au long du
vingtième siècle, il reste pour beaucoup de scientifiques et une grande
partie du public la base inconsciente, mais toujours très active, de leur
vision de la Science et de leur définition des faits scientifiques. Ceci
n'est pas sans effet sur les lois, comme l'ont montré les débats consacrés
à la toute récente loi sur la présomption d'innocence. Tout se passe comme
si certains, y compris chez les juristes, croyaient encore tellement au
déterminisme qu'ils ne pensaient pas les hommes vraiment responsables de
leurs actes... ce qui est pourtant l'élément essentiel de leur dignité !
Aujourd'hui nous savons que ce credo centenaire du scientisme a de
moins en moins de fondement. Il a été attaqué à la fois de l'intérieur et
de l'extérieur de la Science. A) Les scientifiques se sont heurtés à plusieurs limites de la
Science. Les plus célèbres sont :
Le principe d'incertitude ( Heisenberg ).
Le théorème d'incomplétude ( Gödel ).
Les mouvements chaotiques, les attracteurs étranges, la sensibilité
aux conditions initiales, l'effet papillon ( Henri Poincaré, Gaston Julia,
Benoît Mandelbrot, Michel Hénon, E.N. Lorenz ).
Le temps de Liapounov, le temps de divergence ( Ruelle, Takens,
Bergé, Lighthill ).
Le paradoxe de la liberté.
Les limites de la théorie de l'information.
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Dans un phénomène physique le « temps de Liapounov » d'une évolution
donnée est le temps nécessaire pour que la distance des évolutions voisines
les plus divergentes augmente dans un rapport « e » (= 2.718...). Le
« temps de divergence » représente cinquante à cent fois le temps de
Liapounov : deux évolutions initialement très proches n'ont alors plus rien
en commun, hormis quelques éléments statistiques et les intégrales
premières...
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L'Astronomie, la Mécanique Céleste sont la forteresse du
déterminisme, c'est en s'inspirant d'elles que Laplace a pensé et écrit sa
définition du déterminisme absolu... et pourtant le temps de divergence
des mouvements planétaires n'est pas infini. Il est de l'ordre de 10 à
100millions d'années seulement (et beaucoup moins pour les astéroïdes). La
Mécanique Céleste ne peut pas décider seule de l'origine de la Lune ni de
l'évolution à long terme du système solaire. B) Un phénomène totalement inattendu a surgi dans la première moitié
du siècle et fut qualifié dramatiquement par Robert Oppenheimer : « The
scientists have met sin ! » ( Les scientifiques ont connu le péché ! ).
Il est aujourd'hui difficile d'imaginer le désarroi du public dans
les années vingt et trente : « Comment est-il possible que des
scientifiques aient participé à la guerre des gaz de 1915-1918 ? Aient
conduit des expériences pour déterminer quels gaz étaient les plus
efficaces pour tuer des êtres humains ! » Ces scientifiques étaient des
chimistes et leurs inventions furent aussi utilisées pour la mort
industrielle des camps nazis... Mais les physiciens ont leur fardeau avec
la bombe atomique et les biologistes ont aussi le leur avec les tentations
de l'eugénisme, les manipulations génétiques et les expériences sur les
f?tus humains avortés récupérés vivants à la sortie des hôpitaux... Inutile
de décrire ces expériences terrifiantes, où donc est la frontière avec les
expériences des médecins nazis ? Dans ces conditions il n'est pas étonnant que tant de nos
contemporains aient perdu confiance dans la Science ; il est loin le temps
de Pasteur, des Curie... En conséquence la plupart des scientifiques sont
devenus m