Daniel DUFOURT - Hal-SHS
Les relations économie- histoire et le statut scientifique des sciences ...... 1931
dans son examen des fondements philosophiques de la pensée de Walras[27].
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Les relations économie- histoire et le statut scientifique des sciences
sociales chez Hicks et Schumpeter
Daniel DUFOURT «La recherche des fondements d'une
méthodologie des sciences sociales est
la tâche la plus importante de ce temps
dans le domaine de la théorie de la
connaissance.[1] » Carl Menger.
Le caractère récurrent des rencontres entre économistes et
historiens[2] conduit à s'interroger sur les circonstances qui, dans
l'évolution de la pratique scientifique des deux disciplines concernées,
produisent la nécessité de telles rencontres et leurs enjeux théoriques.
Plusieurs démarches concurrentes peuvent légitimement prétendre éclaircir
les raisons de la persistance de ce phénomène et du caractère occasionnel
de ses manifestations.
Il est tout d'abord possible, dans une perspective de sociologie de la
science[3] de mettre l'accent sur l'impact décisif en matière d'orientation
des recherches, des modalités institutionnelles retenues pour introduire
l'enseignement de l'économie politique dans les cursus universitaires et
d'en analyser les effets sur la conceptualisation des relations entre
analyse économique et investigation historique. A ne s'en tenir qu'à
l'économie politique, on observera avec ? Gide ([1890], [1895], [1907],
[1908]) que l'existence, en France, de deux pôles de la pensée économique,
à savoir l'Institut et les Facultés de Droit a durablement infléchi
l'activité théorique dans le sens d'une mise à l'écart de l'enseignement
universitaire de l'économie, tant de l'économie mathématique que des
aspects les plus féconds de la «querelle des méthodes»: «l'école de Vienne
n'a trouvé en France presqu'aucun adepte, bien moins encore que l'école
d'Eisenach» [1908], XVI, p. 25. En effet, autour de l'Institut et de la
Société d'Economie Politique, se regroupent les membres de l'école libérale
française qui « a exercé une influence énorme pendant près d'un siècle sur
la littérature économique de la France» (ibidem, p. 7). Or, cette école
libérale reste réfractaire au psychologisme qu'elle décèle dans l'école de
Vienne. Quant aux responsables des enseignements d'économie politique dans
les facultés de droit, bien qu'ayant pu bénéficier au cours de leur
formation d'une initiation aux travaux de l'école historique allemande du
droit (voir Savigny), grâce notamment à l'enseignement de P. Gide, ils
apparaissent comme très sensibles, à l'instar de leurs collègues
Scandinaves[4] ; à l'influence des idées interventionnistes en matière de
politique sociale qui émane des socialistes de la chaire, mais ont « peine
à admettre le caractère de relativité que l'école allemande attribue à tous
les phénomènes économiques», Gide [1908], p. 25. La réflexion
méthodologique semble dès lors durablement accaparée par E. Durkheim, qui
cite et commente longuement G. Schmoller, et plus encore par ses disciples
F. Simiand et M. Halbwachs. De sorte que la première rencontre entre
économistes et historiens s'effectuera en France par l'entremise de la
sociologie durkheimienne.
L'école historique allemande a exercé une influence beaucoup plus
décisive sur la formation des universitaires américains, à l'origine sans
doute de la prépondérance du courant institutionnaliste aux Etats-Unis dans
les années vingt et trente.
D'une part, comme le montre P. R. Senn[5] [1989], p. 263, les
fondateurs de l' « American Economic Association» créèrent des statuts si
inspirés de ceux du «Verein fur Sozialpolitik», et témoignant d'un biais si
prononcé en faveur de l'intervention de l'Etat, qu'ils durent par la suite
être modifiés. Cet épisode n'a rien d'étonnant si l'on en croit H.W.
Farnam, qui, au terme d'une enquête auprès de 126 économistes et
sociologues enseignant aux Etats-Unis et au Canada, dont il estime qu'ils
représentent la très grande majorité du corps professoral de ces
disciplines, constate que 59 d'entre eux ont effectué leurs études en
Allemagne, 20 y ayant obtenu leur doctorat, la durée moyenne des séjours
dans ce pays étant de 2 ans (Farnam, [1908], p. 26). Le premier à avoir
inauguré cette «filière» allemande de formation est J.B. Clark en 1873. Il
sera suivi, pour s'en tenir aux auteurs les plus connus, par Simon Patten
[1876], R.T. Ely [1877], E.R. Seligman et F. Taussig [1879], J. Laurence
Laughlin [1891], F. A. Fetter [1893].
En sens inverse, l'immigration dans les années trente et quarante
d'économistes formés ou influencés par l'école de Vienne, tels O.
Morgenstern, J. Schumpeter, L. von Mises, va contribuer de manière
déterminante au relatif déclin du courant institutionnaliste aux Etats-
Unis.
La récurrence des rencontres entre économistes et historiens peut
s'interpréter ensuite en référence au jeu des acteurs, à leur stratégie
dans cette institution sociale que représente une discipline scientifique
établie. Il est tentant, d'autant que l'intéressé lui-même a joué[6] et
joue encore[7] un rôle non négligeable dans la récurrence de ces
rencontres, d'appliquer la méthodologie de la «rhétorique économique»
élaborée par D.N. McCloskey à l'analyse de ces stratégies d'acteurs. Dans
l'évolution d'une discipline scientifique, la recherche de "nouvelles
alliances" peut apparaître comme un élément décisif de succès dans la lutte
concurrentielle que se livrent les protagonistes des divers programmes de
recherche en présence. En France, on remarquera par exemple l'accent mis
par A. Marchal en 1950, sur «les émulations et emprunts réciproques» qui
s'établissent entre les deux disciplines, dès lors que la reconnaissance de
l'économie comme science de l'homme oblige à une réévaluation des notions
de causalité et de déterminisme, et à une intégration du temps historique
et des facteurs d'irréversibilité dans l'analyse. Avec le recul du temps,
l'ample recension des problèmes de méthode à laquelle s'est livré A.
Marchal apparaît comme une tentative très affirmée de préserver un héritage
difficilement constitué face au retour offensif de l'école néoclassique.
Plus récemment, R. Boyer [1989], après avoir dressé le constat des impasses
auxquelles conduit l'allégeance à des théories et philosophies économiques
peu enclines à l'analyse des processus historiques et indifférentes aux
problèmes conceptuels que soulève l'émergence de règles et de comportements
nouveaux, formule une sorte de manifeste en faveur d'une conception élargie
de la dynamique économique, intégrant l'analyse des régimes d'accumulation
dans une théorie des transformations structurelles et du changement
institutionnel. De même, aux Etats-Unis, à la faveur de la discussion
organisée sous les auspices de l'American Economie Association en 1985 sur
le thème : «l'histoire économique, condition nécessaire mais non suffisante
de la formation de l'économiste», P. David est amené à plaider en faveur
d'une étude systématique des caractères essentiellement historiques des
processus dynamiques en économie.
Du côté des historiens, on observera d'une part l'effort de J. Bouvier
en vue d'inscrire l'héritage de l'école des Annales, à la faveur duquel
l'histoire a pu s'identifier à «une projection des sciences sociales dans
le passé» (F. Mauro), dans le cadre rigoureux d'un mariage ("brassage
chimique", plutôt que "mélange mécanique") intentionnel des deux modes
d'analyse, économique et historique. On sera également sensible, d'autre
part, au débat formulé en termes d'opposition de générations qu'a suscité,
dans l'histoire économique anglo-saxonne, l'introduction des méthodes
quantitatives (R. Andreano [1970]). L'enjeu scientifique de ce débat, comme
l'observe justement G. Barraclough [1980] déborde largement les frontières
de l'histoire économique, puisqu'il s'agit de savoir s'il est légitime «au
moins dans les cas favorables, de construire une situation fictive
(counterfactual), grâce à laquelle on peut mesurer le décalage entre ce qui
s'est réellement produit et ce qui aurait pu se produire dans des
circonstances différentes» (Barraclough [1980], p. 128).
La limite d'une investigation en termes de «rhétorique économique»
réside dans son incapacité à rendre compte des enjeux théoriques des
changements dans les stratégies d'acteurs qui constituent, dans cette
perspective, le facteur essentiel de l'évolution d'une discipline. Aussi
nous inscrivons-nous dans une troisième démarche pour tenter d'expliquer la
nécessaire récurrence des rencontres entre économistes et historiens. Il
s'agit de se situer à un niveau épistémologique et de montrer que selon le
type de conception relative aux formes de la connaissance en économie, une
articulation déterminée des relations entre l'économie et l'histoire en
constitue le sous-produit inéluctable. Dans cette perspective, deux
traditions apparaissent comme largement dominantes : celle du positivisme,
qui, sur la base d'une classification des connaissances affirme l'unité de
la méthode scientifique et récuse dans ce domaine toute spécificité aux
sciences sociales. La projection de l'économie sur le matériau historique
débouche sur un genre déterminé de théorie structuraliste de l'histoire.
L'axe Walras-Hicks nous semble le mieux traduire cette première tradition.
La deuxième tradition, issue en partie du débat allemand sur la spé