DANIELEWSKI Mark Z - Comptoir Littéraire
Il traita le sujet de l'amour impossible dans son roman ''Les souffrances du jeune
...... Ainsi, dans ''Lolita'', qui est aussi un examen véritablement sociologique des
...... qui a écrit avec lui ''The Lady Who Loved Lightning'' [page 68] ainsi que ''The
...... de la célèbre librairie de la rive gauche ''Shakespeare and Company'', alors ...
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www.comptoirlitteraire.com présente ''Lolita
or
The confession of a white widowed male''
(1955) roman de Vladimir NABOKOV (357 pages) pour lequel, dans cette seconde partie de l'étude, on trouve l'examen de : l'intérêt documentaire (page 1)
l'intérêt psychologique (page 33)
l'intérêt philosophique (page 58)
la destinée de l'?uvre (page 64)
en particulier :
- la traduction d'Éric Kahane (page 68)
- la traduction de Maurice Couturier (page
72).
Bonne lecture !
Intérêt documentaire Si, dans la postface de ''Lolita'', Nabokov déclara, d'une part, que «c'est
pur enfantillage que de vouloir étudier une oeuvre de fiction en vue d'y
puiser des renseignements sur un pays, sur une classe sociale» (page 531),
il indiqua aussi, d'autre part, qu'il lui avait fallu «inventer
l'Amérique», se livrer à «la collecte des ingrédients locaux susceptibles
d'injecter une dose infime de ''réalité'' (un des rares mots qui n'ont de
sens qu'entre guillemets) dans le brouet de l'imagination individuelle»
(page 523). En dépit du principe proclamé, il accumula donc dans son livre
une multitude de détails, beaucoup trop de détails d'ailleurs, en cédant
donc à la tendance des romanciers contemporains à faire de chacune de leurs
oeuvres l'exutoire, le déversoir des expériences vécues pendant une
certaine période de leur vie. Mais il faut s'intéresser au moindre d'entre
ces détails, aussi insignifiant qu'il puisse paraître, il faut observer
«chaque planétarium microscopique, avec sa poussière d'étoiles vivantes»
[page 194].
On peut essayer d'organiser et d'apprécier ces détails en suivant le fil
d'Ariane que nous tend Humbert. Il se définit comme Européen : «Je naquis à Paris, en 1910. Mon père, homme
doux et accommodant, était une macédoine de gènes raciaux : il était lui-
même citoyen suisse mais d'ascendance mi-française, mi-autrichienne, avec
un soupçon de Danube dans les veines. [...] À trente ans, il épousa une
jeune Anglaise.» (page 32). On constate donc que toutes sortes d'apports
ont produit ses très suspectes «bonnes manières européennes» (page 78). Il
«gratifia» Charlotte «d'un fabuleux assortiment de chatteries typiquement
européennes» [page 138]. Est évoquée la Suisse, avec ses «villages laqués, brillants comme des
jouets» [page 287], ses deux grandes cultures :
- La française, à laquelle appartient la «paysanne suisse» dont se moque
Humbert puisque, «pour déloger une poussière» se trouvant dans un oeil,
elle «se servirait de l'extrémité de sa langue», «lécherait», après avoir
demandé : «Voui. J'échaye?» [page 88].
- La germanophone à laquelle appartient «un [des] cousins suisses» [page
488] de Humbert, «un cousin de son père vivant en Suisse» [page 369],
Gustave Trapp. Humbert a vécu d'abord en France :
Son adolescence s'est passée sur la Riviera, où son père possédait un
«palace» [page 32], un «fastueux hôtel» [page 252], «le ''Mirana''» [pages
36, 56, 267]. Il mentionne Moulinet, petit village des Alpes-Maritimes, au
nord de Menton, où sa mère avait, «vêtue d'une robe mouillée», «gravi la
crête» «pour y être terrassée par la foudre» [pages 481-482]. Il se
souvient de Nice quand, alors qu'il éprouve un malaise, il a l'impression
que, dans sa poitrine, ses «organes nageaient tels des excréments dans
l'eau bleue de la mer.» [page 400]. Il évoque «les cueilleurs de lavande
dans [son] pays natal» qui, de grand matin, disent que «l'aurore s'est à
peine ''réchauffé les mains''» [page 407].
Surtout, au cours de l'été 1923, à l'âge de treize ans, dans cette
«principauté au bord de la mer», il était tombé passionnément amoureux
d'Annabel Leigh, une petite baigneuse du même âge que lui, qui fut, quatre
mois après leur rencontre, emportée par le typhus.
De 1923 à 1926, il avait été élève au lycée de Lyon. Puis il avait fait des
études à Londres et Paris. Il faillit s'orienter vers la psychiatrie, mais
se tourna plutôt vers la littérature anglaise, composant des pastiches,
publiant des essais et une ''Histoire abrégée de la poésie anglaise'', qui
est peut-être ce qu'il appelle un «manuel» [page 298]. Il devint professeur
d'anglais à Auteuil, pour des adultes, avant de l'être dans une école de
garçons.
Comme il a, en 1935, épousé une Polonaise, Valetchka Zborobsky, cela donna
l'occasion à Nabokov d'évoquer les Russes émigrés en France puisque Humbert
apprit qu'elle le trompait avec un certain Maximovitch, qui aurait été «un
ancien conseiller du tsar», un «colonel de l'Armée blanche», montrant
«cette espèce de courtoisie (épicée d'un je-ne-sais-quoi d'oriental, peut-
être) typique de la bourgeoisie russe», qui est «un individu à cheval sur
l'étiquette comme ils le sont tous», «s'exprime en un français soigné
dénaturé par un accent atroce» ; enfin, il est appelé «colonel-taxi» car
il exerce «ce métier absurde» comme «des milliers» de compatriotes [pages
62-65]. Et, dans ce rapide aperçu d'un milieu que connaissait bien le
romancier, est encore mentionné «le passeport Nansen, autant dire Non-sens»
[page 61], passeport particulier remis aux émigrés en Europe avant la
Seconde Guerre mondiale. Humbert était donc un intellectuel très cultivé. Aussi s'emploie-t-il à
constamment nourrir son texte de multiples RÉFÉRENCES CULTURELLES Nabokov, qui a de ses lecteurs une vision très manichéenne (il y a les
mauvais et les bons, c'est-à-dire ceux qui voient beaucoup de choses dans
le texte, y compris des détails a priori insignifiants ; qui développent
une perception intime de ce qui s'y passe, et sont ainsi en mesure d'en
apprécier l'originalité, l'harmonie, la complexité), mène avec eux un jeu
féroce, leur posant cette question : êtes-vous capables de voir tout ce que
j'ai mis dans mon texte? Aussi, en lisant le roman, les lecteurs s'engagent-
ils dans un vaste jeu de pistes où, pour pouvoir suivre vraiment l'auteur,
ils devraient être aussi instruits que lui. Or il les entraîne dans toute
une série de domaines différents répartis dans le temps et dans l'espace : - L'ancienne Égypte où vécurent «ces deux soeurs prénubiles du Nil, les
filles du roi Akhenaton et de la reine Néfertiti», qui sont «intactes après
trois mille ans, vêtues seulement de leurs nombreux colliers de perles
étincelantes, avec leurs crânes tondus, leurs longs yeux d'ébène et leurs
corps impubères, bruns et tendres, allongées mollement sur des coussins.»
[pages 47-48]. - L'Inde où, «dans certaines régions à l'est», «le mariage et la
cohabitation avant l'âge de la puberté n'ont, encore de nos jours, rien
d'exceptionnel. Chez les Leptchas, de vénérables octogénaires copulent avec
des fillettes de huit ans sans que nul ne s'en formalise.» [page 48]. - La Bible où : - Dans la ''Genèse'' vivent heureux Adam et Ève. Dans la scène du
canapé, Lolita, qui «tenait dans la coupe de ses mains une pomme d'un rouge
édénique» [page 111] puis «dévora son fruit immémorial» [page 113] est donc
identifiée à Ève, tandis que Humbert, avec un relativisme désinvolte, se
compare à «Adam assistant à l'avant-première de l'histoire orientale à ses
débuts, dans le mirage de son verger de pommiers» [page 133]. Puis, alors
qu'il est en proie à son désir, il semble vouloir s'arroger le pouvoir
divin de créer pour faire apparaître une nouvelle Ève, mais «l'image
illuminée se mettait à bouger, et Ève redevenait une côte» [page 444],
allusion à la façon dont elle a été créée. - Selon certaines traditions s'opposait à Ève Lilith, qui aurait été
la première femme d'Adam, qui est le prototype de la femme maléfique qui
détourne la sexualité de la procréation ; que les hommes ne peuvent
épouser, n'ayant avec elle que des amours illicites, car elle les
ensorcèle, et les conduit à leur chute fatale. Nabokov avait déjà exploré
ce thème dans un poème publié une trentaine d'années auparavant, intitulé
''Lilith'', et dont l'héroïne est une fillette qui interrompt le coït. Dans
le roman, «Humbert était parfaitement capable de forniquer avec Ève, mais
c'était Lilith qu'il rêvait de posséder» [page 49], et il trouve en Lolita
un avatar de ce mythe. - «Rahab» qui «exerçait le métier de prostituée dès sa dixième année»
[page 47] est mentionnée dans le ''Livre de Josué'' : prostituée à Jéricho,
elle accueille les deux espions envoyés par Josué, les cache, et a la vie
sauve lors de l'attaque et de la destruction de la ville. - Le disciple du Christ, Thomas, douta de sa résurrection ; d'où,
quand Humbert se demande si Quilty ne pourrait pas être un «revenant»,
cette déclaration : «Thomas n'était pas si bête que ça.» [page 512]. - Le monde grec : Il inspire : - les allusions à Priape [pages 86, 401], dieu grec de la fertilité,
qui est doté d'un gigantesque pénis constamment en érection ; - la «réplique en plâtre de la Vénus de Milo» [page 112], célèbre
sculpture de la fin de l'époque hellénistique (vers 130-100 av. J.-C.) qui
pourrait représenter la déesse Aphrodite (Vénus dans la mythologie romaine)
; - la locution interjective «par Pan !» [page 137], dieu de la