Doc

La salle d'examen, qui me servait également de bureau, était grande comme ....
Quand, en flânant dans une librairie, je vois un nouveau roman d'Alice ..... Et que
ça doit faire sacrement mal de ramener le sujet sur le tapis. ...... Seule Elizabeth
était au courant de ces choses-là : l'heure du baiser, Bat Lady, Ados en chaleur.

Part of the document


Harlan Coben
Ne le dis à personne
(Tell no one)
2001
[pic]
Petit Renard a dit : « Mais, quand on sera morts, que va-t-il se
passer ? M'aimeras-tu toujours, est-ce que l'amour, ça reste ? »
Sa maman l'a bercé contre elle tandis qu'ils regardaient la nuit,
la lune dans l'obscurité, les étoiles qui brillaient.
« Regarde, Petit Renard, les étoiles, comme elles scintillent et
étincellent. Certaines sont mortes depuis longtemps. Mais elles
continuent de briller dans le ciel du soir, car vois-tu, Petit
Renard, l'amour comme les étoiles ne meurt jamais...»
Debi Gliori
Je t'aimerai toujours, quoi qu'il arrive
Il aurait dû y avoir un souffle funeste dans l'air. Ou un froid à vous
glacer la moelle des os. Quelque chose. Une mélodie éthérée que seuls
Elizabeth et moi aurions pu entendre. Un sentiment de tension. Quelque
classique prémonition. Il y a des malheurs quasi prévisibles - ce qui est
arrivé à mes parents, par exemple - et puis d'autres moments sombres, des
moments de violence soudaine qui changent irrémédiablement le c?urs d'une
existence. Il y a eu ma vie avant le drame. Et il y a ma vie actuelle. Les
deux, hélas ! n'ont plus grand-chose en commun.
Elizabeth se taisait pendant le trajet, mais cela n'avait rien de
surprenant. Même gamine, il lui arrivait de sombrer dans d'imprévisibles
accès de mélancolie. Murée dans son silence, elle se laissait aller à la
contemplation ou à la trouille, je ne savais jamais. Ça devait faire partie
du mystère, je suppose, mais là, pour la première fois, j'ai senti le fossé
entre nous. Notre couple avait survécu à tant d'épreuves. Survivrait-il à
la vérité ? Plus exactement, aux mensonges par omission ?
La climatisation bourdonnait doucement dans l'habitacle bleu. Dehors,
il faisait une chaleur moite. Typique du mois d'août. On a traversé le pont
de Milford au-dessus de la Delaware et on a été accueillis en Pennsylvanie
par un sympathique employé du péage. Une quinzaine de kilomètres plus loin,
j'ai repéré la borne sur laquelle on lisait : LAC CHARMAINE - PROPRIÉTÉ
PRIVÉE. J'ai bifurqué sur le chemin de terre.
Les pneus s'enfonçaient dans le sol, soulevant un nuage de poussière
comme en plein désert. Elizabeth a éteint l'autoradio. Du coin de l'?il,
j'ai remarqué qu'elle était en train d'étudier mon profil. Je me suis
demandé ce qu'elle voyait, et mon c?ur s'est mis à palpiter. Sur notre
droite, deux daims grignotaient des feuilles. Ils se sont arrêtés, nous ont
regardés et, constatant qu'on ne leur voulait pas de mal, ont repris leur
mastication. Je continuais à rouler quand soudain le lac a surgi devant
nous. Le soleil agonisant striait le ciel d'orange et de violet. Les cimes
des arbres semblaient être en feu.
- Je n'en reviens pas qu'on remette ça tous les ans, ai-je dit.
- C'est toi qui as commencé.
- Ouais, quand j'avais douze ans.
Elizabeth a esquissé un sourire. Elle souriait rarement, mais quand ça
lui arrivait, waouh, je le prenais en plein c?ur.
- C'est romantique, a-t-elle déclaré.
- Débile, oui.
- J'aime les choses romantiques.
- Tu aimes les choses débiles.
- Chaque fois qu'on vient ici, tu t'envoies en l'air.
- On m'appelle M. Fleur bleue.
Elle a ri et m'a pris la main.
- Allez, venez, monsieur Fleur bleue, le jour tombe.
Le lac Charmaine. C'est mon grand-père qui avait trouvé ce nom-là, au
grand dam de ma grand-mère. Elle aurait aimé qu'il lui donne son nom à
elle. Elle s'appelait Bertha. Le lac Bertha. Grand-père ne voulait pas en
entendre parler. Deux points pour grand-père.
Il y a cinquante ans et des poussières, le lac Charmaine avait abrité
une colo pour gosses de riches. Le propriétaire avait fait faillite, et
grand-père avait racheté le plan d'eau et le terrain environnant pour une
bouchée de pain. Il avait retapé la maison du directeur et abattu la
plupart des constructions qui bordaient le lac. Mais au-delà, dans les
bois, où plus personne ne s'aventurait de toute façon, il avait laissé
pourrir les dortoirs des mômes. Ma s?ur Linda et moi, on partait les
explorer, fouillant les ruines à la recherche d'un trésor, jouant à cache-
cache, bravant le croque-mitaine, qui, nous en étions sûrs, nous épiait et
guettait le moment propice. Elizabeth se joignait rarement à nous. Elle
aimait que chaque chose soit à sa place. Se cacher lui faisait peur.
En descendant de voiture, j'ai entendu les fantômes. Plein de fantômes -
trop -, qui tournoyaient et se disputaient mon attention. C'est celui de
mon père qui a gagné. Le lac était immobile, lisse comme un miroir, mais je
jure que j'ai perçu le hurlement triomphal de papa tandis qu'il se
catapultait du ponton, les genoux contre la poitrine, le sourire jusqu'aux
oreilles, faisant naître une gerbe d'eau pareille à un véritable raz-de-
marée aux yeux de son fils unique. Papa aimait bien atterrir à côté du
radeau où ma mère prenait ses bains de soleil. Elle le réprimandait, sans
pouvoir s'empêcher de rire.
J'ai cligné des paupières, les images se sont évanouies. Je me suis
rappelé cependant comment le cri, les rires, le bruit du plongeon se
réverbéraient dans le silence de notre lac, et je me suis demandé si l'écho
de ces bruits et de ces rires-là avait vraiment disparu, si quelque part
dans les bois les joyeux ululements de mon père ne continuaient pas à
ricocher d'arbre en arbre. C'était bête comme idée, mais que voulez-vous.
Les souvenirs, ça fait mal. Surtout les bons.
- Ça va, Beck ? a demandé Elizabeth.
Je me suis tourné vers elle.
- Je pourrai m'envoyer en l'air, hein ?
- Vieux pervers va.
Elle s'est engagée sur le sentier, la tête haute, le dos droit. Un
instant, je l'ai suivie des yeux, repensant à la première fois que j'avais
vu cette démarche-là. J'avais sept ans et je m'apprêtais à enfourcher mon
vélo - celui avec la selle profilée et la décalco de Batman - pour dévaler
Goodhart Road. Escarpée, balayée par le vent, cette rue était le parcours
idéal pour un cycliste chevronné. Je suis descendu sans les mains, aussi
cool et décontracté qu'on peut l'être à sept ans. Le vent rabattait mes
cheveux en arrière et me faisait larmoyer. J'ai aperçu le camion de
déménagement devant l'ancienne maison des Ruskin, me suis retourné, et
pan ! elle était là, mon Elizabeth, tellement posée malgré ses sept ans,
avec sa colonne vertébrale en titane, ses sandales à brides, son bracelet
de perles multicolores et ses innombrables taches de rousseur.
Nous avons fait connaissance quinze jours plus tard, dans la classe de
CE 1 de Mlle Sobel, et à partir de ce moment-là - s'il vous plaît, ne
faites pas mine de vomir quand je dis ça -, on ne s'est plus quittés. Les
adultes trouvaient notre relation à la fois attendrissante et malsaine,
tandis que notre amitié de mômes avec ses quatre cents coups se muait en
une amourette d'adolescents et, les hormones aidant, en flirt de
collégiens. Tout le monde croyait que ça allait nous passer. Même nous. On
était du genre plutôt éveillé, surtout Elizabeth, brillants élèves,
rationnels jusque dans cet irrationnel amour dont nous mesurions les aléas.
Et nous nous retrouvions à vingt-cinq ans, mariés depuis sept mois, à
l'endroit même où, à l'âge de douze ans, nous avions échangé notre premier
baiser.
Lamentable, je sais.
On s'est frayé un passage entre les branchages, dans une moiteur à
couper au couteau. L'odeur résineuse des pins nous prenait à la gorge. Nous
avancions péniblement dans les hautes herbes. Moustiques et consorts
jaillissaient en une nuée bourdonnante dans notre sillage. Les arbres
jetaient de longues ombres qu'on pouvait interpréter à sa guise, comme
quand on essaie de déterminer la forme d'un nuage ou celle d'une tache
d'encre dans le test de Rorschach.
On a quitté le sentier pour s'enfoncer dans les fourrés. Elizabeth
ouvrait la marche. Je suivais à deux pas - tout un symbole, maintenant que
j'y pense. J'ai toujours cru que rien ne pouvait nous séparer - notre
histoire l'avait prouvé, non ? - mais à cet instant, plus que jamais, le
sentiment de culpabilité semblait l'éloigner de moi.
Mon sentiment de culpabilité.
Arrivée au gros rocher vaguement phallique, Elizabeth a bifurqué et là,
sur la droite, il y avait notre arbre. Avec nos initiales, parfaitement,
gravées dans l'écorce :
E.P.
+
D.B.
Entourées, eh oui, d'un c?ur. Sous le c?ur, douze encoches, chacune
correspondant à l'anniversaire de ce premier baiser. J'allais lâcher une
remarque caustique sur notre état de ramollissement avancé, mais en voyant
le visage d'Elizabeth, les taches de rousseur à demi effacées, l'angle du
menton, le long cou gracile, les calmes yeux verts, la tresse brune telle
une corde épaisse dans son dos, je me suis ravisé. J'ai failli lui avouer
alors, sans autre forme de cérémonie, mais quelque chose m'a retenu.
- Je t'aime, ai-je dit.
- Ça y est, tu décolles.
- Ah.
- Moi aussi, je t'aime.
- D'accord, d'accord, ai-je grimacé, feignant l'embarras. Tu finiras
par décoller aussi.
Elle a souri, et j'ai cru percevoir comme une hésitation. Je l'ai prise
dans mes bras. Quand elle a