BAC 1998 Malraux DISCOURS

Français BAC PRO. session de décembre 1998. TEXTE. Discours prononcé à
Chartres le 10 mai 1975 pour les femmes rescapées de la déportation, réunies ...

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Français BAC PRO
session de décembre 1998 TEXTE Discours prononcé à Chartres le 10 mai 1975 pour les femmes rescapées de la
déportation, réunies pour célébrer le trentième anniversaire de la
libération des camps. Il y eut le grand froid qui mord les prisonnières comme les chiens
policiers, la Baltique plombée au loin, et peut-être le fond de la misère
humaine. Sur l'immensité de la neige. il y eut toutes ces taches rayées qui
attendaient. Et maintenant il ne reste que vous, poignée de la poussière
battue par les vents de la mort. Je voudrais que ceux qui sont ici, ceux
qui seront avec nous ce soir; imaginent autour de vous les résistantes
pendues, exécutées à la hache, tuées simplement par la vie des camps
d'extermination. La vie ! Ravensbrück, huit mille mortes politiques. Tous
ces yeux fermés jusqu'au fond de la grande nuit funèbre Jamais tant de
femmes n'avaient combattu en France. Et jamais dans de telles conditions. Je rouvrirai à peine le livre des supplices. Encore faut-il ne pas laisser
ramener, ni limiter à l'horreur ordinaire, aux travaux forcés, la plus
terrible entreprise d'avilissement qu'ait connue l'humanité. "Traite-les
comme de la boue, disait la théorie *, parce qu'ils deviendront de la
boue." D'où la dérision à face de bête qui dépassait les gardiens, semblait
au-delà des humains. "Savez-vous jouer du piano? " dans le formulaire que
remplissaient les détenues pour choisir entre le service du crématoire et
les terrassements. Les médecins qui demandaient : "Y a-t-il des tuberculeux
dans votre famille?" aux torturées qui crachaient le sang. Le certificat médical d'aptitude à
recevoir des coups La rue du camp nommée "chemin de la Liberté". La lecture
des châtiments qu'encourraient celles qui plaisanteraient dans les rangs
quand sur le visage des détenues au garde-à-vous les larmes coulaient en
silence. Les évadées reprises qui portaient la pancarte ."Me voici de
retour" La construction des seconds crématoires. Pour transformer les
femmes en bêtes, l'inextricable chaîne de la démence et de l'horreur, que
symbolisait la punition "Huit jours d'emprisonnement dans la cellule des
folles." Et le réveil, qui rapportait l'esclave, inexorablement. 80 % de mortes. Ce que furent les camps d'extermination, on le sut à partir de 1943. Et
toutes les résistantes, et la foule d'ombres qui, simplement, nous ont
donné asile, ont su au moins qu'elles risquaient plus que le bagne J'ai dit
que jamais tant de femmes n'avaient combattu en France ; et jamais nulle
part, depuis les persécutions romaines, tant de femmes n'ont osé risquer la
torture. Faire de la Résistance féminine un vaste service d'aide, depuis
l'agent de liaison jusqu'à l'infirmière, c'est se tromper d'une guerre. Les
résistantes furent les joueuses d'un terrible jeu. Combattantes, non parce
qu'elles maniaient des armes (elles l'ont fait parfois): mais parce
qu'elles étaient des volontaires d'une atroce agonie. Ce n'est pas le bruit
qui fait la guerre, c'est la mort. André Malraux, La politique, la culture. QUESTIONS I Compétences de lecture (10 points) 1 - En vous appuyant sur les informations fournies par le paratexte et par
le texte, indiquez quelle est ici la situation de communication. Justifiez
votre réponse en citant le texte. (3 points) 2 - Qui est désigné par "nous" dans "seront avec nous ce soir" (ligne 10)?
Dans "nous ont donné asile (lignes 58 et 59)? Vous justifierez vos réponses
en utilisant les indices présents dans le texte. (3 points) 3 - Quels points communs voyez-vous entre la phrase de la ligne 19 ("Et
jamais dans de telles conditions.") et la phrase de la ligne 54 ("80% de
mortes.")? Quels effets produisent-elles ? Quel rôle jouent-elles dans le
discours ? (4 points) II Compétences d'écriture (10 points) Au cours d'un débat en classe, un de vos camarades se plaint que l'on parle
trop de la déportation (cours d'histoire, émissions de télévision,
commémorations...). N'ayant pas pu lui répondre en classe, vous rédigez à
son intention un texte d'une trentaine de lignes dans lequel vous
expliquerez la nécessité d'évoquer ce fait historique. ELEMENTS DE CORRIGE
1-En vous appuyant sur les informations fournies par le paratexte et par le
texte, indiquez quelle est ici la situation de communication. Justifiez
votre réponse en citant le texte. (3 points)
Les informations fournies par le paratexte permettent de préciser la
situation de communication: André Malraux, écrivain célèbre et ancien
ministre des Affaires Culturelles (de 1959 à 1969) du Général De Gaulle,
prononce un "discours [...] pour les femmes rescapées de la déportation" à
l'occasion du "trentième anniversaire de la libération des camps". L'orateur s'adresse directement à ces femmes rescapées ainsi qu'en
témoignent les diverses formes de pronoms personnels 'Je voudrais" (ligne
9) ; "il ne reste que vous (ligne 7). Il s'adresse aussi plus largement aux
hommes et aux femmes qui s'associent à l' événement ceux qui seront avec
nous ce soir" (ligne 10). 2 - Qui est désigné par «nous » dans «seront avec nous ce soir » (ligne 10)
? Dans «nous ont donné asile » (lignes 58 et 59) ? Vous justifierez vos
réponses en utilisant les indices présents dans le texte. (3 points)
Dans l'expression "seront avec nous ce soir" (ligne 10), le pronom
personnel "nous" désigne l'ensemble des femmes rescapées présentes dans la
foule, l'orateur lui-même ainsi que toutes les personnes de l'assistance
(l'emploi du futur "seront" permet en outre d'englober dans ce "nous" les
personnes qui viendront plus tard dans la soirée). Dans l'expression "nous ont donné asile" (lignes 58 et 59) le pronom
personnel "nous" désigne les résistants qui ont eu la chance d'être
accueillis et cachés ; André Malraux, qui fut lui-même résistant, est
englobé dans ce nous. Alors que le premier "nous" renvoie au moment du discours, le deuxième
"nous" renvoie au moment historique de l' "Occupation". L'orateur mêle
ainsi dans son discours le présent et l'évocation du passé, assurant une
sorte de continuité qui abolit le temps (trente ans), exalte la mémoire et
suscite l'émotion.
3 - Quels points communs voyez-vous entre la phrase de la ligne 19 et la
phrase de la ligne 54? Quels effets produisent-elles ? Quel rôle jouent-
elles dans le discours? (4 points) "Et jamais dans de telles conditions" (ligne 19)
"80% de mortes (ligne 54)
Ces deux phrases tranchent dans le discours d'André Malraux par leurs
caractéristiques syntaxiques phrases nominales, elliptiques, brèves sinon
sèches ; chacune d'elles a valeur de paragraphe ; elles s'opposent
nettement aux autres paragraphes et aux autres phrases. Elles prennent
ainsi d'autant plus de force; c'est le cas notamment pour la deuxième
phrase qui, par sa sécheresse statistique, évoque bien le destin des
déportées quatre femmes sur cinq mourront dans les camps.
Par leur place dans le discours, leur nature, leur puissance évocatrice,
par leur disposition typographique, ces deux phrases semblent rythmer,
ponctuer, scander le propos d'André Malraux, comme une respiration. Ces
effets oratoires contribuent à la solennité et à la gravité de la
commémoration.
II - Compétences d'écriture (10 points)
Quelques critères d'évaluation :
respect de la longueur ("une trentaine de lignes")
respect des n'arques du discours (emploi de la première personne, temps des
verbes...)
organisation et cohérence de la réponse
qualité de l'expression (syntaxe, orthographe, richesse du vocabulaire)
prise en compte de la situation de communication (l'écrit attendu est une
réponse; la forme normalisée d'une lettre est possible sans être exigée; le
destinataire est désigné: "tu")
insertion dans un débat (la thèse adverse doit apparaître plus ou moins
explicitement)
visée argumentative claire (organisation, présence d'arguments pertinents,
d'exemples, articulations...)
implication forte de l'émetteur (marques de sentiments par exemple) JP DURAND, H GERMAIN I.E.N. Rectorat de Nantes