Le caractère historique de l'adéquation des ... - Hal-SHS

La présente étude doit être vue comme préliminaire à un examen plus ..... ce qui
lui permet d'aller au-delà des "équations modulaires" pour les familles de
courbes décrites par ...... Entre arithmétique et algèbre, Les Belles Lettres, Paris,
1984.

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in Garma, Santiago; Flament, Dominique; Navarro, Victor (eds.), Contra los
titanes de la rutina.- Contre les titans de la routine, Comunidad de
Madrid/C.S.I.C., Madrid, 1994, p. 401-428. LE CARACTÈRE HISTORIQUE DE L'ADÉQUATION DES MATHÉMATIQUES À LA PHYSIQUE*
PAR Michel Paty** Résumé. En parcourant, à travers l'histoire des sciences, plusieurs cas
marquants des rapports de la physique et des mathématiques, l'on
s'aperçoit que la capacité du formalisme mathématique à exprimer d'une
manière si ajustée et féconde les problèmes physiques n'est pas une
donnée de nature universelle et intemporelle: elle résulte, à chaque
époque, et pour chaque nouveau type de problème abordé, d'une
construction, qui met en jeu le 'système' de la mathématique et de la
physique de cette époque et la nature des concepts et des grandeurs
physiques concernés. On examinera, dans cette perspective, quelques
moments importants de l'histoire de la constitution, à l'aide de
l'analyse, de la physique mathématique et théorique. On s'arrêtera, en
particulier, à la construction de la causalité à l'aide des concepts du
calcul différentiel, ainsi qu'à la rationalisation de la mécanique
grâce à la mise en oeuvre de ce calcul, et à l'extension de la
mécanique du point matériel aux milieux continus à la faveur de
l'invention du calcul aux dérivées partielles.
L'adéquation. Mathématisation des théories physiques
Le succès de l'utilisation de notions et de théories mathématiques
dans l'étude de problèmes physiques est un des aspects du rapport
privilégié des mathématiques à la physique, un autre étant, réciproquement,
le rôle des développements de la physique dans ceux des mathématiques.
Cependant, le fait que bien des avancées des mathématiques aient trouvé
leur source dans des problèmes posés par la physique ne suffit pas à
expliquer cette adéquation, qui persiste avec la physique contemporaine
alors que les mathématiques sont devenues une discipline autonome. De
nouveaux êtres mathématiques, inventés in abstracto, s'avèrent
éventuellement susceptibles d'applications fécondes en physique.
Nous rappellerons brièvement, pour commencer, quelques exemples
marquants, pris dans au vingtième siècle, des rapports entre la
constitution de grandes théories physiques et l'utilisation de
développements des mathématiques nouveaux et contemporains. Ces cas se
situent dans la suite de la mathématisation de la physique dans ses
différents domaines, effectuée au dix-neuvième siècle à la suite de celle
de la mécanique (et de l'astronomie, dite d'ailleurs "mathématique",
limitée alors au système solaire), commencée au dix-septième siècle et
achevée au dix-huitième, avec les oeuvres de Lagrange et de Laplace
notamment. La théorie électromagnétique de Maxwell, formulée dans le
troisième tiers du dix-neuvième siècle, tient évidemment un rôle clé dans
les développements qui mènent à la période contemporaine, et elle
représente en quelque sorte le couronnement de la formulation de la
physique par l'analyse et le calcul différentiel. Cela nous justifiera dans
notre intention de revenir aux origines de cette constitution, c'est-à-dire
aux deux établissements du calcul différentiel et intégral, le calcul
différentiel total et celui aux dérivées partielles, qui accompagnent
étroitement l'élaboration de la mécanique analytique et rationnelle.
La théorie de la Relativité fournit deux exemples de choix de
l'adéquation des mathématiques et de la physique. La Relativité restreinte
reçoit sa formulation appropriée avec la théorie des groupes de
transformation spatio-temporels, d'ailleurs formulés en partie à partir des
problèmes physiques initialement posés par Lorentz, Poincaré et Einstein,
et avec le calcul tensoriel, inventé indépendamment par les mathématiciens
purs. Quant à la théorie de la Relativité générale, elle trouve à sa
disposition, pour se constituer, les instruments mathématiques - déjà
préparés par les mathématiciens, indépendamment de la pensée d'une
utilisation aussi efficace pour ce problème précis en particulier - sans
lesquels elle n'aurait pu être formulée, à savoir le calcul différentiel
absolu des tenseurs de Ricci et Levi-Civitta et les grandeurs des
géométries non-euclidiennes.
Quelque temps plus tard, la mécanique quantique se constitue comme
théorie physique à l'aide de la théorie mathématique des espaces de
Hilbert, et la théorie quantique des champs se fonde peu après sur la
mécanique quantique et sur la théorie des groupes: les grandeurs physiques,
représentées par les opérateurs qui agissent sur les vecteurs de cet
espace, sont constitués à partir des générateurs infinitésimaux des groupes
d'invariance. Plus récemment, les théories (quantiques) des champs
d'interaction des particules élémentaires se constituent également sur
l'idée de symétrie: à chaque type de champ ou d'unification correspond une
symétrie (loi de transformation d'un groupe particulier) construite sur ses
grandeurs caractéristiques (invariances de jauge abélienne pour le champ
électromagnétique, non abélienne pour les champs de 'saveurs' et de
'couleurs' des leptons et des quarks). Et l'on pourrait évoquer également
les tentatives actuelles en mathématiques et en physique mathématique qui
développent de nouveaux genres de géométries, "non commutatives", dont un
effet pourrait être d'obtenir une géométrisation, dans ce sens, des
grandeurs de la physique quantique[1].
Les exemples évoqués portent sur l'analyse ou la géométrie. Une autre
branche des mathématiques, le calcul des probabilités, pose des problèmes
spécifiques. Mais il n'est pas sûr que la particularité du rapport de la
théorie mathématique à son utilisation physique ait été examinée, à son
sujet, dans tous les détails désirables: de quelle probabilité
(mathématique) au juste est-il question dans telle théorie physique ? Les
probabilités sont-elles convoquées de la même façon dans les premiers
travaux de thermodynamique de Boltzmann[2], en mécanique statistique, en
mécanique quantique, ou encore dans les théories du chaos
déterministe...?[3] Les probabilités interviennent, par exemple, dans la
théorie physique qu'est la mécanique quantique à travers la notion
d'amplitude de probabilité, qui n'appartient pas au calcul des probabilités
à proprement parler, mais constitue un concept en soi, plus physique que
directement mathématique - à moins, dira-t-on, qu'il ne s'agisse seulement
d'un concept mathématique auxiliaire, si l'on s'en tient à sa
caratéristique d'avoir la forme d'une fonction définie sur un espace de
Hilbert. On a pu considérer que, dans ce cas, l'importation du formalisme
mathématique s'est faite d'une manière quelque peu aveugle, de telle sorte
que l'interprétation physique n'a pas été immédiatement évidente;
d'ailleurs, elle suscite encore le débat. L'adéquation du formalisme aux
développements subséquents de ce domaine de la physique n'en est que plus
frappant.
Lorsqu'on s'interroge sur cette coïncidence ou harmonie remarquable
entre la théorie physique qui donne une représentation des phénomènes de la
nature et les concepts et théories mathématiques qui lui servent à
s'exprimer, on est parfois tenté de la formuler d'une manière universelle,
sans tenir compte de la spécificité des cas et des périodes historiques,
sans référence aux systèmes particuliers de rationalité physique et
mathématique définis à un stade donné de l'élaboration des objets de ces
sciences.
Pourtant, tout ce que nous pouvons dire avec quelque certitude de cet
accord entre les mathématiques et la physique, c'est qu'il est effectif en
tels moments donnés, historiquement situés, relativement à telles formes
mathématiques précises et à tels types de problèmes physiques définis. Pour
le faire voir, nous devrions parcourir les étapes de la constitution de la
physique telle qu'elle s'est réalisée à l'aide des mathématiques. Le
présent travail ne saurait y prétendre dans ses limites, même à s'en tenir
à la période qui commence avec l'élaboration de l'analyse différentielle et
sa mise en oeuvre en mécanique et en astronomie. Nous limiterons donc notre
propos dans le temps, nous attachant ici à tenter de donner quelques
indications sur la constitution de la mécanique rationnelle et analytique
de la fin du dix-septième siècle à la fin du dix-huitième. Nous observerons
que cette constitution s'accompagne d'une transformation de la conception
du rapport des mathématiques à la physique, des "mathématiques mixtes" à la
"physique mathématique", que suivra ultérieurement un clivage entre cette
dernière et la "physique théorique", qui elle-même rendra compte de la
spécificité de la mathématisation, au dix-neuvième siècle, de l'ensemble
des domaines de la physique au-delà de la mécanique. La présente étude doit
être vue comme préliminaire à un examen plus systématique et étendu de ces
transformations. Mécanique et calcul différentiel
L'étude des lois de la mécanique des corps solides bénéficie, dès le
début du dix-huitième siècle, de l'invention du calcul différentiel faite
quelques décennies plus tôt[4]. Si la formulation du calcul des fluxions
par Newton est issue de résultats relatifs aux suites infinies, c'est en
même temps l'étude des problèmes du mouvement des corps considérés selon
des méthodes géométriques qui l'a amené à la découverte de cette nouvelle
branche des mathématiques[5]. Newton n'écrit-il pas, dans la préface de la
première édition des Principia, que "la géométrie est fondée sur la
pratique mécanique, et n'est pas autre chose que cette partie de la
mécanique universelle qui propose et démontre exactement l'art de la
mesure" ?[6]. D'ailleurs, chez ses prédécesseurs immédiats, l'étude des
propriétés des courbes, des maxima et minima et des tangentes, dans les
Lectiones geometricae de Barrow par exemple, fait appel à leur mode
d'engendrement par le mouvement et s'a