Shlomo Sand - Denis Rolland, Amérique latine et relations ...
... générale de l'année permet une meilleure préparation à l'examen tout en
préservant le plaisir de l'étude historique. ... L'Europe allemande et le génocide
juif.
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août 2008
Déconstruction d'une histoire mythique Comment fut inventé le peuple juif
Les Juifs forment-ils un peuple ? A cette question ancienne, un historien
israélien apporte une réponse nouvelle. Contrairement à l'idée reçue, la
diaspora ne naquit pas de l'expulsion des Hébreux de Palestine, mais de
conversions successives en Afrique du Nord, en Europe du Sud et au Proche-
Orient. Voilà qui ébranle un des fondements de la pensée sioniste, celui
qui voudrait que les Juifs soient les descendants du royaume de David et
non - à Dieu ne plaise ! - les héritiers de guerriers berbères ou de
cavaliers khazars.
Par Shlomo Sand Tout Israélien sait, sans l'ombre d'un doute, que le peuple juif existe
depuis qu'il a reçu la Torah (1) dans le Sinaï, et qu'il en est le
descendant direct et exclusif. Chacun se persuade que ce peuple, sorti
d'Egypte, s'est fixé sur la « terre promise », où fut édifié le glorieux
royaume de David et de Salomon, partagé ensuite en royaumes de Juda et
d'Israël. De même, nul n'ignore qu'il a connu l'exil à deux reprises :
après la destruction du premier temple, au VIe siècle avant J.-C., puis à
la suite de celle du second temple, en l'an 70 après J.C.
S'ensuivit pour lui une errance de près de deux mille ans : ses
tribulations le menèrent au Yémen, au Maroc, en Espagne, en Allemagne, en
Pologne et jusqu'au fin fond de la Russie, mais il parvint toujours à
préserver les liens du sang entre ses communautés éloignées. Ainsi, son
unicité ne fut pas altérée. A la fin du XIXe siècle, les conditions
mûrirent pour son retour dans l'antique patrie. Sans le génocide nazi, des
millions de Juifs auraient naturellement repeuplé Eretz Israël (« la terre
d'Israël ») puisqu'ils en rêvaient depuis vingt siècles.
Vierge, la Palestine attendait que son peuple originel vienne la faire
refleurir. Car elle lui appartenait, et non à cette minorité arabe,
dépourvue d'histoire, arrivée là par hasard. Justes étaient donc les
guerres menées par le peuple errant pour reprendre possession de sa terre ;
et criminelle l'opposition violente de la population locale.
D'où vient cette interprétation de l'histoire juive ? Elle est l'?uvre,
depuis la seconde moitié du XIXe siècle, de talentueux reconstructeurs du
passé, dont l'imagination fertile a inventé, sur la base de morceaux de
mémoire religieuse, juive et chrétienne, un enchaînement généalogique
continu pour le peuple juif. L'abondante historiographie du judaïsme
comporte, certes, une pluralité d'approches. Mais les polémiques en son
sein n'ont jamais remis en cause les conceptions essentialistes élaborées
principalement à la fin du XIXe siècle et au début du XXe.
Lorsque apparaissaient des découvertes susceptibles de contredire l'image
du passé linéaire, elles ne bénéficiaient quasiment d'aucun écho.
L'impératif national, telle une mâchoire solidement refermée, bloquait
toute espèce de contradiction et de déviation par rapport au récit
dominant. Les instances spécifiques de production de la connaissance sur le
passé juif - les départements exclusivement consacrés à l'« histoire du
peuple juif », séparés des départements d'histoire (appelée en Israël
« histoire générale ») - ont largement contribué à cette curieuse
hémiplégie. Même le débat, de caractère juridique, sur « qui est juif ? »
n'a pas préoccupé ces historiens : pour eux, est juif tout descendant du
peuple contraint à l'exil il y a deux mille ans.
Ces chercheurs « autorisés » du passé ne participèrent pas non plus à la
controverse des « nouveaux historiens », engagée à la fin des années 1980.
La plupart des acteurs de ce débat public, en nombre limité, venaient
d'autres disciplines ou bien d'horizons extra-universitaires : sociologues,
orientalistes, linguistes, géographes, spécialistes en science politique,
chercheurs en littérature, archéologues formulèrent des réflexions
nouvelles sur le passé juif et sioniste. On comptait également dans leurs
rangs des diplômés venus de l'étranger. Des « départements d'histoire
juive » ne parvinrent, en revanche, que des échos craintifs et
conservateurs, enrobés d'une rhétorique apologétique à base d'idées reçues. Le judaïsme, religion prosélyte Bref, en soixante ans, l'histoire nationale a très peu mûri, et elle
n'évoluera vraisemblablement pas à brève échéance. Pourtant, les faits mis
au jour par les recherches posent à tout historien honnête des questions
surprenantes au premier abord, mais néanmoins fondamentales.
La Bible peut-elle être considérée comme un livre d'histoire ? Les premiers
historiens juifs modernes, comme Isaak Markus Jost ou Leopold Zunz, dans la
première moitié du XIXe siècle, ne la percevaient pas ainsi : à leurs yeux,
l'Ancien Testament se présentait comme un livre de théologie constitutif
des communautés religieuses juives après la destruction du premier temple.
Il a fallu attendre la seconde moitié du même siècle pour trouver des
historiens, en premier lieu Heinrich Graetz, porteurs d'une vision
« nationale » de la Bible : ils ont transformé le départ d'Abraham pour
Canaan, la sortie d'Egypte ou encore le royaume unifié de David et Salomon
en récits d'un passé authentiquement national. Les historiens sionistes
n'ont cessé, depuis, de réitérer ces « vérités bibliques », devenues
nourriture quotidienne de l'éducation nationale.
Mais voilà qu'au cours des années 1980 la terre tremble, ébranlant ces
mythes fondateurs. Les découvertes de la « nouvelle archéologie »
contredisent la possibilité d'un grand exode au XIIIe siècle avant notre
ère. De même, Moïse n'a pas pu faire sortir les Hébreux d'Egypte et les
conduire vers la « terre promise » pour la bonne raison qu'à l'époque celle-
ci... était aux mains des Egyptiens. On ne trouve d'ailleurs aucune trace
d'une révolte d'esclaves dans l'empire des pharaons, ni d'une conquête
rapide du pays de Canaan par un élément étranger.
Il n'existe pas non plus de signe ou de souvenir du somptueux royaume de
David et de Salomon. Les découvertes de la décennie écoulée montrent
l'existence, à l'époque, de deux petits royaumes : Israël, le plus
puissant, et Juda, la future Judée. Les habitants de cette dernière ne
subirent pas non plus d'exil au VIe siècle avant notre ère : seules ses
élites politiques et intellectuelles durent s'installer à Babylone. De
cette rencontre décisive avec les cultes perses naîtra le monothéisme juif.
L'exil de l'an 70 de notre ère a-t-il, lui, effectivement eu lieu ?
Paradoxalement, cet « événement fondateur » dans l'histoire des Juifs, d'où
la diaspora tire son origine, n'a pas donné lieu au moindre ouvrage de
recherche. Et pour une raison bien prosaïque : les Romains n'ont jamais
exilé de peuple sur tout le flanc oriental de la Méditerranée. A
l'exception des prisonniers réduits en esclavage, les habitants de Judée
continuèrent de vivre sur leurs terres, même après la destruction du second
temple.
Une partie d'entre eux se convertit au christianisme au IVe siècle, tandis
que la grande majorité se rallia à l'islam lors de la conquête arabe au
VIIe siècle. La plupart des penseurs sionistes n'en ignoraient rien :
ainsi, Yitzhak Ben Zvi, futur président de l'Etat d'Israël, tout comme
David Ben Gourion, fondateur de l'Etat, l'ont-ils écrit jusqu'en 1929,
année de la grande révolte palestinienne. Tous deux mentionnent à plusieurs
reprises le fait que les paysans de Palestine sont les descendants des
habitants de l'antique Judée (2).
A défaut d'un exil depuis la Palestine romanisée, d'où viennent les
nombreux Juifs qui peuplent le pourtour de la Méditerranée dès
l'Antiquité ? Derrière le rideau de l'historiographie nationale se cache
une étonnante réalité historique. De la révolte des Maccabées, au IIe
siècle avant notre ère, à la révolte de Bar-Kokhba, au IIe siècle après J.-
C, le judaïsme fut la première religion prosélyte. Les Asmonéens avaient
déjà converti de force les Iduméens du sud de la Judée et les Ituréens de
Galilée, annexés au « peuple d'Israël ». Partant de ce royaume judéo-
hellénique, le judaïsme essaima dans tout le Proche-Orient et sur le
pourtour méditerranéen. Au premier siècle de notre ère apparut, dans
l'actuel Kurdistan, le royaume juif d'Adiabène, qui ne sera pas le dernier
royaume à se « judaïser » : d'autres en feront autant par la suite.
Les écrits de Flavius Josèphe ne constituent pas le seul témoignage de
l'ardeur prosélyte des Juifs. D'Horace à Sénèque, de Juvénal à Tacite, bien
des écrivains latins en expriment la crainte. La Mishna et le Talmud (3)
autorisent cette pratique de la conversion - même si, face à la pression
montante du christianisme, les sages de la tradition talmudique exprimeront
des réserves à son sujet.
La victoire de la religion de Jésus, au début du IVe siècle, ne met pas fin
à l'expansion du judaïsme, mais elle repousse le prosélytisme juif aux
marges du monde culturel chrétien. Au Ve siècle apparaît ainsi, à
l'emplacement de l'actuel Yémen, un royaume juif vigoureux du nom de
Himyar, dont les descendants conserveront leur foi après la victoire de
l'islam et jusqu'aux temps modernes. De même, les chroniqueurs arabes nous
apprennent l'existence, au VIIe siècle, de tribus berbères judaïsées : face
à la poussée arabe, qui atteint l'Afrique du Nord à la fin de ce même
siècle, apparaît la figure légendaire de la reine juive Dihya el-Kahina,
qui tenta de l'enrayer. Des Berbères judaïsés vont prendre part à la
conquête de la péninsule Ibérique, et y poser les fondements de la symbiose
particulière entre juifs et musulmans, caractéristique de la culture
hispano-arabe.
La conversion de masse la plus significative survient entre la mer Noire et
la mer Caspienne : elle concerne l'immense royaume khazar, au VIIIe siècle.
L'expansion du judaïsme, du Caucase à l'Ukraine actuelle, engendre de
multiples communautés, que les invasions mongoles du XIIIe siècle refoulent
en nombre vers l'est de l'Europe. Là, avec les Juifs venus des régions
slaves du Sud et des actuels territoires al