La symbolique franco-allemande en panne d'idées - Hal-SHS
L'UNIVERSITÉ DU LIBRE-EXAMEN ET SES JUIFS 41. 5. ..... révisionnisme
signifie que j'y étudie les sources documentaires du génocide des Juifs de
Belgique, ...
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Introduction : La symbolique franco-allemande en panne d'idées ?
Pour un retour critique sur le grand récit de la réconciliation.
Mathias Delori, ATER en science
politique à l'IEP de Grenoble, Doctorant
à l'UMR PACTE
On sait, depuis les travaux de Valérie-Barbara Rosoux[i], qu'un
élément moteur du rapprochement franco-allemand fut la diffusion, par les
chefs d'Etat et de gouvernement, d'un grand récit historique[ii] visant à
apaiser le souvenir du passé conflictuel et à poser les bases d'une
coopération. A partir du début des années 1960, les discours officiels des
chefs d'Etat et de gouvernement français et allemands ont en effet exhibé
une représentation finalisée de l'histoire qui contrastait avec les
instrumentalisations du passé valorisées à d'autres époques. Ce travail sur
le sens des guerres franco-allemandes était rendu possible par le caractère
malléable de la mémoire : « L'élaboration de ce récit rappelle que la
représentation officielle du passé possède à la fois une dimension
historique et une dimension de fiction, de construction imaginaire, le but
étant de donner à l'histoire un sens parmi d'autres »[iii]. Ce « travail de
mémoire » s'appuyait sur un certain nombre de mécanismes caractéristiques :
dilution du souvenir des guerres franco-allemandes dans une histoire
ancestrale (pensons à toutes les références gaulliennes ou mitterrandiennes
à un Regnum Francorum mythifié[iv]), présentation de la Grande guerre comme
une « guerre civile européenne », célébration des moments d'harmonie etc.
On trouve un condensé de ce grand récit dans l'image de François Mitterrand
et Helmut Kohl se tenant la main en septembre 1984 devant l'ossuaire de
Douaumont. Le communiqué de presse énonçait alors : « La guerre a laissé à
nos peuples ruines, peines et deuils. La France et la République
d'Allemagne ont tiré la leçon de l'Histoire. L'Europe est notre foyer de
civilisation commun et nous sommes les héritiers d'une grande civilisation
européenne. C'est pourquoi, Français et Allemands, nous avons choisi il y a
près de 40 ans de renoncer aux combats fratricides et de nous atteler à la
construction en commun de l'avenir. Nous nous sommes réconciliés. Nous nous
sommes entendus. Nous sommes devenus des amis » (F. Mitterrand, Helmut
Kohl, 22.9.1984).
Comme toute représentation historique, le grand récit de la
réconciliation franco-allemande comporte une part d'oubli[v]. Il suffit
pour s'en rendre compte de mesurer à quel point cette mémoire officielle
franco-allemande privilégie les lieux de mémoires consensuels aux épisodes
historiques qui inspirent la plupart des débats mémoriels contemporains.
Depuis les années 1970, ces derniers sont incontestablement centrés, en
France comme en Allemagne, sur la Seconde guerre mondiale et plus
précisément sur la question des responsabilités nationales dans les crimes
commis à l'encontre des populations civiles[vi]. Pourtant, les questions
posées par la dernière guerre sont très largement[vii] exclues du grand
récit de la réconciliation. Les principaux théâtres des grand-messes franco-
allemandes ont ainsi pour noms Reims, Verdun ou Versailles, trois lieux de
mémoire essentiellement associés à l'Histoire de France et à la Première
guerre mondiale. Lorsque de Gaulle et Adenauer écoutent un Te Deum dans la
cathédrale de Reims en 1962, l'image de la capitulation du Reich le 7 mai
1945 ne se situe qu'en arrière plan ; la symbolique vise plutôt à confondre
dans un même récit l'histoire de France et celle des relations franco-
allemandes : détruite par l'artillerie allemande en 1918, la cathédrale de
Reims est aussi et surtout le lieu mythique du Baptême de Clovis et du
sacre des rois. Lorsque Mitterrand et Kohl se recueillent ensemble à Verdun
devant l'ossuaire de Douaumont en septembre 1984, les images de la dernière
guerre pèsent également bien peu au regard de l'évocation de la partition
de l'Empire de Charlemagne et du martyre partagé de 1916[viii]. En
choisissant de commémorer le traité de l'Elysée à Versailles en janvier
2003, G. Schröder et J. Chirac se sont inscrits dans la même veine
narrative que leurs prédécesseurs : le lieu renvoie, lui aussi, à la
question du règlement malheureux des conflits de 1871 et de 1918. Au final,
les rares incursions de la symbolique du côté de la deuxième guerre
mondiale ne semblent se produire que lors des grandes commémorations
internationales[ix]. Il existe donc un décalage entre la mémoire officielle
franco-allemande et l'évolution des débats dans les deux sociétés.
Ce décalage est problématique pour au moins trois raisons. Il suggère
tout d'abord que la symbolique franco-allemande se trouve en panne d'idées.
Les mises en scènes franco-allemandes des années 1960 et 1970 avaient ceci
de remarquable qu'elles proposaient à la relation franco-allemande un sens
nouveau. Quelle direction la thématique de l'union carolingienne et des
martyres partagés suggèrent-elles aujourd'hui ? La reproduction du récit
sur la réconciliation a ensuite pour conséquence qu'il ne parvient plus à
fédérer les mémoires vives contemporaines. Ce déficit régulateur n'est
certes pas, en soi, problématique - la vitalité d'une société démocratique
se mesure aussi à sa capacité à laisser s'exprimer les mémoires dissidentes
ou contestatrices - mais certaines représentations de la réconciliation
franco-allemande qui ne trouvent pas voix au chapitre sont aujourd'hui
déviées de leur signification à des fins idéologiques contestables. Les
silences du récit de la réconciliation risquent en d'autres termes d'être
instrumentalisés. Une dernière considération plaide pour un retour critique
sur ce récit officiel. Comme tout épisode historique, la réconciliation
franco-allemande comporte quelques zones d'ombres que la mémoire des
sommets franco-allemands passe sous silence. Il semble permis, 60 ans après
la fin de Seconde guerre mondiale, d'exhumer quelques-unes de ces mémoires
honteuses. L'exemplarité tant proclamée du rapprochement franco-allemande
est à ce prix. L'air de la « commémoration convenue »[x] Le décalage entre la représentation officielle de l'histoire franco-
allemande et l'évolution des débats dans les deux pays pose problème du
point de vue de la raison d'être de cette symbolique. L'époque où l'amitié
entre les deux pays pouvait apparaître comme une fin en soi semble
heureusement révolue. L'évocation des martyres partagés et de la partition
de l'Empire de Charlemagne a certes incontestablement joué un rôle dans
l'apaisement des souvenirs du passé conflictuel. Mais cette symbolique
fait elle pour autant encore sens aujourd'hui ? Pourquoi continue-t-on à se
mettre en scène à Reims, Verdun ou Versailles alors que les lieux de
cristallisation des débats mémoriels contemporains ont pour noms Oradour-
sur-Glane, Drancy ou Buchenwald ? Face à la question essentielle de la
construction du sens dans la relation franco-allemande, la symbolique de la
réconciliation apparaît en panne d'idées.
Ces questions se trouvent au c?ur de la contribution de Valérie
Rosoux. Après avoir souligné combien le grand récit franco-allemand
constitue un cas d'école en termes d'usage pacifique du passé en relations
internationales, elle souligne que la mémoire officielle ne peut se penser
en dehors des dynamiques qui affectent la société. La mémoire officielle ne
saurait être purement artificielle ; elle contribue, dans un dialogue
permanent avec les mémoires vives et les souvenirs, à construire la mémoire
collective.
Or des mémoires dissidentes émergent qui visent à donner un sens
nouveau à la coopération entre les deux pays. Mathias Delori revient dans
son article sur une tentative, issue de la société civile, de construction
d'un sens nouveau dans les relations franco-allemandes. Il y a quelques
années, une organisation franco-allemande est en effet devenu le vecteur
d'une mémoire portée par les témoignages des acteurs[xi] et par les
historiens (voir sur ce point la contribution de Guilhem Zumbaum-Tomasi
dans ce volume), mais curieusement oubliée par les responsables officiels :
celle des Allemands, et plus généralement des émigrés antifascistes, dans
la Résistance française. A l'heure où l'amitié franco-allemandes ne
constitue plus une fin en soi, la consécration officielle de cette mémoire
permettrait peut-être d'exprimer avec force ce qui pourrait être une
nouvelle finalité du projet franco-allemand : la création d'une Europe
fondée non plus sur la nécessité mais sur des valeurs communes. L'instrumentalisation des silences du récit de la réconciliation Une deuxième considération plaide pour un examen critique du grand
récit de la réconciliation : des représentations historiques légitimes, qui
n'ont pas encore trouvé voix au chapitre, sont aujourd'hui captées par des
vecteurs de mémoire qui les écartent de leur signification véritable. Deux
exemples illustrent cette idée : le premier renvoie au problème de la place
de la mémoire juive dans le récit de la réconciliation ; le second concerne
la question des points de rupture ou de passage entre la période de la
Collaboration et le rapprochement de l'après-guerre.
Nous avons déjà mentionné le fait que le récit officiel de la
réconciliation franco-allemande penche vers la Première guerre mondiale et
n'offre guère de place à la mémoire du génocide des juifs. Ce fait
s'explique de plusieurs