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Ethnography - Fictions? 28-3, 2004
Etnografia -Ficciones? 28-3, 2004
COMPTES RENDUS
Mauricio SEGURA, Janusz PRZYCHODZE?, Pascal BRISSETTE, Paul CHOINIÈRE et
Geneviève LAFRANCE (dir.), Imaginaire social et discours économique.
Montréal, Département d'études françaises de l'Université de Montréal,
2003, 148 p., réf.
D'entrée de jeu, il convient de préciser que l'ouvrage dont il est question
ici n'a pas de prétentions anthropologiques explicites. Son ancrage
disciplinaire et théorique y est clairement établi par les auteurs comme
appartenant à l'analyse socio-discursive et à la veine sociocritique des
études sur l'imaginaire social. L'ambition des auteurs est d'y analyser «
le regard oblique que jette la littérature sur la vie économique » (p. 8)
et, plus précisément, les contextes discursifs qui ont conditionné la
méfiance de plusieurs littéraires, par ailleurs forts différents, face à
l'argent.
Les textes de la première partie portent sur les représentations critiques
du capitalisme dans des ?uvres littéraires québécoises et françaises. La
dépossession de Menaud, maître draveur et l'avarice chez Un homme et son
péché sont ici mises en regard par Janusz Przychodche? ; Anne Caumartin
aborde la critique de la société de consommation dans l'?uvre de Jacques
Godbout ; Marc Angenot y fait un survol érudit du rapport à l'argent dans
la littérature française du XIXe siècle et Mauricio Segura revient sur la
critique de la société de consommation, mais dans le contexte français des
années soixante. Il n'est pas possible ici de résumer les contributions
importantes de chacun de ces textes, mais tous traitent de ces « apories de
l'argent » (Przychodze?) qui entrent dans les consciences et deviennent
agents de servitude. Angenot note bien que la littérature peut devenir un
site de résistance par rapport à ces discours et à ceux qui les véhiculent,
comme elle l'a été lors de la grande expansion capitaliste du XIXe siècle.
Caumartin et Segura montrent également que les discours critiques face à
l'argent et la spirale de la consommation qui lui donne une valeur sociale
toujours plus grande, peuvent connaître une flambée même dans les sociétés
dites « d'abondance ».
Dans la seconde partie de l'ouvrage, Sylvain David, Johann Sadock et
Olivier Parenteau examinent tour à tour des ?uvres littéraires qui entrent
en résonance avec les écrits anthropologiques pour relever l'envers de
cette abondance imaginaire, c'est-à-dire certaines représentations de l'«
indigent ». L'intérêt que porte la discipline anthropologique à la pauvreté
et à sa description détaillée semble lui avoir fait oublier un aspect
important de ce phénomène, celui de la construction imaginaire de ces «
pauvres » par ceux qui ne le sont pas. En fait, une lecture sociocritique
des travaux d'Oscar Lewis, ce Zola anthropologique, serait probablement
fort instructive quant au rôle que les anthropologues ont eux-mêmes joué
dans cette construction du pauvre et de sa culture. Et ce serait une
contribution importante à l'inventaire des « figures de l'indigent » amorcé
par les auteurs de cette section à partir de matériaux littéraires.
La troisième partie de l'ouvrage quitte un peu la question des
constructions et représentations discursives de divers tropes économiques
en littérature ; elle se penche plutôt sur l'analyse sociale de l'«
économie » de l'acceptation et sur la diffusion des auteurs et des ouvrages
littéraires. Le texte de Michel Lacroix, intitulé « Des formes de capital
dans les sociabilités littéraires », particulièrement intéressant, analyse
comment le capital social se convertit en capital symbolique, voire en
capital économique, dans les cercles mondains parisiens du début du XXe
siècle. Anthony Gliboer, pour sa part, poursuit cette réflexion sociale en
se penchant sur les réseaux littéraires privés. Il s'attarde à
l'imbrication de stratégies textuelles et de stratégies institutionnelles
que révèlent les poésies dites « cénaculaires » (diffusées par leurs
auteurs à travers cénacles et salons pendant la période romantique en
France), pour en arriver à décrire le fonctionnement de ces réseaux de
reconnaissance mutuelle - si importants pour les carrières de l'écrit.
La dernière section du livre retourne à des études davantage centrées sur
le contenu des ?uvres littéraires et examine le langage du don (et le don
de langage) dans Delphine de Madame de Staël (texte de Geneviève Lafrance)
et dans La fille errante (texte de Florence Ogilvy-Magnot). Encore une
fois, voir la question du don traitée par des littéraires, et par des
méthodes littéraires, peut devenir une invitation au dialogue entre deux
champs d'études qui, malheureusement, se croisent encore trop peu souvent.
La lecture de cet ouvrage à travers la lentille des problématiques
anthropologiques peut s'avérer fort stimulante et dynamisante. Ce que les
auteurs font pour le discours économique dans le roman pourrait stimuler
l'analyse d'autres types de discours qui, eux, seraient plus proches des
matériaux ethnographiques traditionnels. Les anthropologues vivent dans des
sociétés, et étudient des sociétés, où les revenus monétaires ont souvent
acquis une grande importance dans la vie des gens, et où les discours sur
ces thèmes abondent. Pourtant, dans une discipline qui accorde une grande
place aux études sur l'économie en tant que relation sociale, les
anthropologues semblent, paradoxalement, éprouver une certaine réticence à
se pencher sur les discours qu'articulent leurs informateurs à propos de
l'argent ; à tel point que l'on serait en droit de se demander si la
discipline anthropologique, comme le champ littéraire, n'aurait pas elle
aussi hérité de cette « antique peur de l'or » dont traite Angenot (p. 35).
L'ouvrage présenté ici nous permet d'attaquer de front la question du
rapport discursif et imaginaire à l'argent. Le concept d'imaginaire social,
qui était quelque peu en dormance depuis le milieu des années quatre-vingt
et qui semble reprendre du service en philosophie (Taylor 2004), en études
littéraires (dans le présent ouvrage par exemple) et chez les
anthropologues sociaux se disant « poststructuralistes » (par exemple
Escobar 1998), peut devenir un pont intéressant pour entreprendre le type
de dialogues auxquels nous invite implicitement cet ouvrage. Imaginaire
social et discours économique est donc un livre dont la fécondité théorique
peut facilement dépasser le champ des études littéraires.
Références
ESCOBAR A., 1998, Encountering Development. Princeton, Princeton University
Press.
TAYLOR C., 2004, Modern Social Imaginaries. Durham, Duke University Press.
Martin Hébert
Département d'anthropologie
Université Laval
Québec (Québec) G1K 7P4
Canada Centre de recherches et d'études anthropologiques (CRÉA) et Université
Lumière Lyon 2, Tohu-bohu de l'inconscient : paroles de psychiatres,
regards d'anthropologues. Actes de colloques. Bron, Éditions la Ferme du
Vinatier, 2001, 80 p.
Ce petit livre est le premier volume d'une série de quatre publications1
issues des rencontres intitulées « Tumultes et silences de la psychiatrie »
organisées par le Centre Hospitalier Le Vinatier, une institution
psychiatrique de la région lyonnaise (France), dont le but était de «
favoriser les mouvements entre l'établissement hospitalier et son
environnement social et urbain » (p. 7), comme le note la responsable du
projet Carine Delanoë-Vieux, et cela autour de trois axes : un axe
patrimonial et muséographique, un autre centré sur la production et la
diffusion artistique, le dernier enfin centré sur la recherche et le débat
en sciences sociale. Faisant alterner les contributions d'ethnologues
(François Laplantine, Jean Benoist, Axel Guïoux et Evelyne Lasserre), d'un
psychiatre (Jean Guyotat) et d'un écrivain (Sylvie Doizelet), le propos est
ici de s'interroger sur la nature du dialogue qui peut s'établir entre la
psychiatrie et l'anthropologie aujourd'hui.
Dans son texte, Jean Benoist s'interroge sur les relations entre approche
clinique et approche ethnographique. Alors que « ce qu'essaie de connaître
l'anthropologue, c'est l'expérience de la vie que représente ce fardeau, la
façon dont cette expérience se construit au croisement de ce qui est le
plus individuel en eux et de ce qui est modelé par la société » (p. 17), le
psychiatre quant à lui « pénètre nécessairement dans le même territoire,
même si sa préoccupation est de comprendre, par delà sa culture et son
histoire, l'individu, tandis que celle de l'anthropologue est de découvrir,
à travers l'expérience de l'individu, sa culture » (ibid.). Ainsi le regard
du clinicien et celui de l'ethnologue n'est pas le même et les informations
que chacun d'eux tire de ses observations sont différentes. L'écart entre
les deux démarches n'interdit pas le dialogue des deux disciplines. Si
l'anthropologie a un message à livrer à la médecine, c'est celui de la
contextualisation, car l'individu n'existe finalement pas en tant que tel,
mais de par sa position dans un faisceau de relations. Toutefois, cette
contextualisation ne peut se cantonner à l'attitude de la clinique
interculturelle qui en s'intéressant par exemple à « l'immigré » le fige
dans sa culture d'origine en oubliant qu'ils s'agit d'un individu « en
trajectoire », ce qui doit amener, selon Jean Benoist, à se méfier des
situations où le « culturel » est un alibi, un faux-semblant. Si la
médecine et la psychiatrie ne sont pas à l'abri d'une utilisation dévoyée
de l'anthropologie, l'ethnologie n'en est pas moins protégée d'une
utilisation vulgaire de la psychiatrie ou de la psychologie. Et l'auteur de
rappeler avec Georges Devereux que s'il faut « postuler l'interdépendance
de la donnée sociologique et de la donnée psychologique » (p. 24), cela
nécessite de « postuler en même temps l'autonomie absolue tant du discours
sociologi