Politiques de l'eau et dimensions de la pauvreté hydraulique - Ird

Inégalités face à la ressource et pauvreté hydraulique en Tunisie .... de l'
exploitation des ressources souterraines à travers la création de nouveaux
besoins et .... d'où l'intérêt d'un examen des formes de pauvreté hydraulique
dans cet espace.

Part of the document


Inégalités face à la ressource et pauvreté hydraulique en Tunisie
Le cas des populations rurales de la Jeffara (Sud-est tunisien)
Sébastien Palluault 1, Mohammed Elloumi2, Bruno Romagny3, Mongi Sghaier4
(1) Doctorant en géographie, Université Paris X-Nanterre, Laboratoire
GECKO. Contact : s.palluault@laposte.net.
(2) Agro-économiste. Institut national pour la recherche agronomique de
Tunis (INRAT).
(3) Économiste des ressources renouvelables, Institut de recherche pour le
développement (IRD- Tunis)
(4) Agro-économiste, Institut des régions arides de Medenine (IRA).
Introduction La modestie du potentiel hydrique de la Tunisie confère à la gestion de la
ressource un rôle de levier essentiel au développement économique et
social. Avec des disponibilités de l'ordre de 450m3 par habitant et par an,
ce pays fait face à des risques de pénurie conjoncturelle, qui nécessitent
des formes d'ajustements en vue de sécuriser l'approvisionnement des
secteurs de consommation. Jusqu'aux années 1990, celles-ci se sont appuyées
en priorité sur un renforcement progressif des volumes mobilisés et une
stratégie de transferts interrégionaux destinés à réduire les disparités
géographiques. Depuis, les politiques de l'eau se déclinent autour d'une
inflexion de la croissance de la demande, la recherche d'une valorisation
maximale du m3 et la mobilisation optimale de l'eau avec des formes
d'appoint liées au recours aux ressources non conventionnelles (Khanfir et
al., 1998). Les efforts importants consentis permettent à la Tunisie
d'afficher au début du XXIème siècle des résultats encourageants (taux de
desserte très élevé, maîtrise des eaux distribuées en quantité et
qualité,...). Par ailleurs, les interventions des pouvoirs publics
effectuées dans le cadre d'un modèle "d'Etat providence", garant d'une
prospérité économique "partagée", ont abouti à la réduction massive de la
pauvreté depuis les années 1970 (Boukhari, 1999). Aussi, sur ce dernier
plan comme en matière de gestion des ressources en eaux, la Tunisie
apparaît comme un modèle dans le Monde Arabe, ce qui pourrait questionner
la pertinence d'une approche visant à associer pauvreté en eau et pauvreté
sociale dans ce pays.
Pourtant, la question des contraintes qui tournent autour des ressources en
eaux offre bien une clé de lecture intéressante des conditions de
développement économique dans les espaces ruraux tunisiens. En effet,
l'application de politiques de gestion de la demande déplace la
problématique de l'eau d'une approche "conventionnelle" tournée autour de
la viabilité et la durabilité du dispositif de gestion de la pénurie à la
prise en compte de l'impact socio-économique des modalités d'arbitrage et
de régulation de l'accès et de l'usage de la ressource. Or, les nouvelles
orientations, qui portent en leur c?ur la contrainte financière comme mode
de régulation de la demande à travers la tarification et la recherche d'une
efficacité économique de l'allocation, nous interrogent légitimement sur
les implications qui en découlent dans les zones rurales tunisiennes. Les
populations rurales, au détriment desquelles se sont souvent exacerbées les
formes de concurrences intersectorielles malgré le poids prédominant que
conserve le secteur agricole dans l'utilisation des ressources, restent
caractérisées par une certaine vulnérabilité et une dépendance importante
aux programmes d'aides publiques. Elles sont d'autant plus concernées par
l'évolution des politiques de l'eau que le secteur agricole est
principalement visé par la mise en place de règles juridiques, de mesures
techniques et d'un système de tarification destinés à favoriser la
transition vers une agriculture "performante" et durable.
La question de la pauvreté hydraulique des populations rurales tunisiennes
s'articule donc autour des contraintes liées à l'eau, qui portent non
seulement sur les modalités d'accès, mais aussi sur les aspects
institutionnels, juridiques, économiques et environnementaux qui permettent
ou non aux populations de pouvoir disposer effectivement des ressources
hydriques et de les valoriser. Elle intègre, en outre, une analyse sur les
formes d'équité des secteurs d'activités et des populations devant la
ressource. Nous illustrerons notre propos à travers l'analyse de la
situation du Sud-est tunisien, et plus particulièrement de la plaine de la
Jeffara. Dans cet espace aride, la fragilisation des activités
agropastorales et la précarité des revenus extra-agricoles confrontent les
ménages ruraux à la nécessité d'un recours plus intensif aux ressources en
eaux pour étendre et intensifier la production agricole. Dans un contexte
de réaffirmation des priorités accordées à l'eau potable et au secteur
touristique dans l'allocation des ressources, à quelles formes de
contraintes liées à l'eau les populations de la Jeffara font-elles face ?
Les pouvoirs publics parviennent-ils à associer une approche sociale de la
rareté de l'eau à la préservation des ressources et aux exigences de
valorisation économique ?
L'objectif de cette communication est moins d'évaluer l'ampleur de la
situation de pauvreté hydraulique que d'illustrer la diversité de ses
facettes et la complexité de ses fondements. Ces éléments renvoient à la
confrontation des logiques diverses qui entourent la gestion de la
ressource en eau et à la difficulté de concilier développement des
activités économiques, équité sociale dans le partage de l'eau et
durabilité de l'exploitation des ressources.
Dans une première partie, nous retracerons succinctement les politiques
appliquées dans le Sud-est tunisien pour remédier à l'inégale répartition
des ressources et la croissance des besoins. Puis nous analyserons
successivement, dans une deuxième et troisième partie, les différentes
dimensions de la pauvreté hydraulique et la question des inégalités
croissantes face à l'eau en nous basant sur des recherches effectuées dans
les zones rurales de la plaine de la Jeffara. I] Politiques de l'eau et gestion de la rareté de la ressource dans le Sud-
Est tunisien Le Sud-Est tunisien est une région aride où la précarité de la situation
hydrique est renforcée par la médiocre qualité des aquifères souterrains et
une certaine inadéquation spatiale entre ressources et besoins. Autrefois
régulée par une faible emprise anthropique et l'élaboration d'activités peu
consommatrices en eau, elle s'est accentuée progressivement au cours des
dernières décennies en lien avec la croissance démographique et le
développement des activités économiques. I.1) Une ressource inégalement répartie et disponible à laquelle les
sociétés ont appris à s'adapter Le Sud-est tunisien présente plusieurs faciès géomorphologiques et des
nuances pluviométriques (carte n°1) qui ont favorisé un système
hydrogéologique complexe, basé sur une forte complémentarité entre des
ressources en eaux de surface limitées et des nappes souterraines plus
abondantes.
Les potentialités en eau de surface sont directement dépendantes de
l'apport faible et irrégulier des précipitations qui s'échelonnent entre
100mm et 200mm par an en moyenne. Les cours d'eau sont marqués par un
écoulement intermittent alimenté souvent par des crues violentes qui
entravent leur maîtrise. Bien qu'excentrée par rapport à la localisation
des vastes nappes sahariennes, le Sud-est tunisien est relativement riche
en formations aquifères, qu'on divise habituellement en nappes phréatiques
et nappes profondes. Les premières, constituées de nappes de sous-
écoulement d'oued et de nappes côtières, sont tributaires de l'infiltration
des eaux pluviales et de ruissellement, et dans certains cas, du soutien de
niveaux sous-jacents. Elles constituent des ressources facilement
disponibles mais limitées en volume et qualité et susceptibles de fortes
altérations.
Les nappes profondes sont divisées en plusieurs aquifères plus ou moins
connectés, dont les principaux sont les nappes de la Jeffara et des Grès de
Trias. La première est alimentée par le Continental Intercalaire via la
faille d'El Hamma, et dans une moindre mesure par les eaux d'infiltration.
Son taux de salinité très élevé en aval de la faille de Medenine, le long
de la bordure côtière, pose des limites importantes à sa valorisation. En
revanche, dans sa partie libre, en amont, l'infiltration a favorisé la
présence d'importantes réserves en eau douce (nappe de Zeuss-Koutine) au
sommet de la nappe. De même, la nappe des Grès de Trias qui se situe plus
au Sud présente des différences très importantes en terme de qualité entre
une fraction d'eau douce liée aux apports d'infiltration des oueds
descendant du jbel et des réserves plus profondes et saumâtres. Ainsi les
ressources les plus douces sont essentiellement situées dans le sous-sol de
la plaine centrale.
La problématique de l'eau dans le Sud-est tunisien est donc marquée par de
fortes disparités spatiales en terme de disponibilité et se pose autant sur
le plan qualitatif que quantitatif. Carte n°1 : Présentation géographique du Sud-est tunisien
[pic] Au cours de l'Histoire, l'absence de cours d'eau permanents, la rareté des
sources naturelles et l'irrégularité spatio-temporelle des faibles
précipitations ont amené les groupes sociaux à adapter leurs modes de vie
et d'occupation de l'espace à la médiocre disponibilité des ressources en
eaux. Etroitement associé à l'occurrence des pluies et leur répartition
spatiale, le cal