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Dans l'examen de cette question, je prendrai le parti de considérer l'homme ...
des dorsales océaniques, des écosystèmes qui exploitent le déséquilibre entre
le ...
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Les Horizons terrestres.
André Lebeau. Je me propose de vous parler des menaces que fait peser sur l'espèce
humaine son enfermement dans un habitat de dimensions finies, la planète
Terre. Un habitat dont elle n'aura aucun moyen de s'échapper pour trouver
ailleurs des espaces qui, ici-bas, lui sont comptés. L'espèce humaine.
En quoi l'espèce humaine diffère-t-elle de toutes les autres formes de la
vie terrestre et pourquoi ces différences sont-elles porteuses de menaces
sur son destin, sans parler de celles qu'elles font peser sur les autres
espèces vivantes ? Dans l'examen de cette question, je prendrai le parti de
considérer l'homme comme un animal parmi d'autres.
La réponse qui vient immédiatement à l'esprit, invoque des caractères
spécifiques de l'animal humain, comme la station debout qui a libéré des
tâches de locomotion une main devenue purement préhensile et qui a dégagé
la boîte crânienne des contraintes que lui imposait l'horizontalité du
corps. Une croissance de la masse et de la complexité du cerveau était
alors possible. La paléontologie a reconstruit les étapes de cette
évolution vers l'animal humain[1] [2]. Ces spécificités anatomiques ont
permis un succès croissant de l'espèce dans la compétition darwinienne. Sur
la puissance du cerveau se sont construits des comportements culturels et
sociaux dont la complexité est sans commune mesure avec ce qui existe ou a
existé dans l'histoire du vivant.
La place atteinte par l'homme dans l'écosystème global n'a, elle non plus,
aucun précédent. Jamais une espèce n'a exercé sur le règne vivant une
emprise qui ne peut être menacée par aucune des autres espèces supérieures.
Peut-être est-ce là un aboutissement normal de la compétition darwinienne,
mais c'est un aboutissement qui, en quatre milliards d'années, n'avait
jamais été atteint par l'évolution du vivant et cela explique que l'espèce
humaine rencontre des problèmes qui n'ont aucun précédent.
Cependant, ces caractères humains ne sont pas différents par nature de ceux
que l'on observe, sous des formes moins évoluées, chez d'autres
représentants du règne animal. Les différences sont d'ordre quantitatif,
non d'ordre qualitatif. Aucune observation biologique ne vient attester de
l'altérité de l'homme.
D'où proviennent, dans ce contexte de dominance, les menaces qui peuvent
peser sur l'avenir de l'espèce ?
Il serait trop simple et peu démonstratif de relever que le destin commun
des espèces est de disparaître, et ce serait ignorer l'idée, tout à fait
plausible, que la position unique de l'homme dans le règne animal pourrait
aussi s'accompagner d'une longévité illimitée de l'espèce.
Pour tenter de concevoir ce que réserve l'avenir, on peut partir d'une
vision globale de l'interaction entre le règne vivant et la Terre réduite à
ses composantes minérales. Un effet global du vivant est de construire des
déséquilibres thermodynamiques entre l'atmosphère et cette mince coquille
qui embrasse la Terre, qui est le siège la vie, et que l'on dénomme la
biosphère. En d'autres termes, le vivant emprunte de l'énergie au
rayonnement solaire pour créer une forme particulière de matière, la
matière vivante. Il le fait en rejetant de l'oxygène dans l'atmosphère
terrestre. On peut restituer sous forme de chaleur l'énergie solaire
absorbée par le vivant en brûlant les produits de son activité, par exemple
en brûlant du bois pour se chauffer, ce que l'humanité sait faire depuis
plusieurs dizaines de millénaires.
Encore faut-il distinguer, entre les diverses formes du vivant, celles qui
créent directement de la matière vivante à partir des matériaux minéraux de
l'écorce terrestre, que l'on nomme les espèces autotrophes, et les espèces
hétérotrophes qui consomment cette matière en s'alimentant à partir des
premières. En gros, cette distinction sépare le règne animal, hétérotrophe,
du règne végétal autotrophe. Seules les espèces autotrophes ont le pouvoir
de contribuer à la création du déséquilibre énergétique en produisant de la
matière vivante à partir de l'énergie solaire et des minéraux de l'écorce
terrestre. Le mécanisme le plus puissant dont use la nature pour
l'engendrer est la synthèse chlorophyllienne qui construit les végétaux.
Elle capture pour cela le dioxyde de carbone dans l'atmosphère, y rejette
de l'oxygène, et élabore les composants de la matière vivante qui sont des
matériaux carbonés.
Mais chaque fois qu'existe, dans l'environnement terrestre, une source
d'énergie, la vie peut l'exploiter pour se développer. C'est ainsi, par
exemple, que se sont construits, sur les souffleurs des dorsales
océaniques, des écosystèmes qui exploitent le déséquilibre entre le liquide
très chaud que rejette le souffleur et l'eau froide des abysses.
En l'absence de l'homme, ou tant qu'il est resté une espèce animale
ordinaire, un équilibre s'est construit et maintenu pendant des milliards
d'années entre le règne vivant et les flux d'énergie qu'il exploite. Les
végétaux ont extrait de l'atmosphère primitive le gaz carbonique dont elle
était riche et l'ont progressivement enrichie en oxygène. Ils ont accumulé,
à la surface de la planète des matériaux carbonés dont certains ont été
enfouis par les processus tectoniques pour donner la houille, le pétrole et
le gaz naturel. Ils ont ainsi accumulé, au cours des âges géologiques, un
stock de matériaux carbonés, un déséquilibre global entre l'écorce
terrestre et l'atmosphère.
Dans ce processus d'accumulation, seules interviennent les espèces
autotrophes. Les espèces hétérotrophes, elles, consomment les réserves
accumulées, qu'il s'agisse des herbivores qui se nourrissent des végétaux
ou des carnivores qui se nourrissent des herbivores. Cette consommation se
fait à un rythme qui est limité, pour chaque individu, par son métabolisme,
c'est-à-dire par la quantité de travail et de chaleur qu'il est capable de
produire.
Dans le processus d'accumulation et de destruction d'énergie dans la
biosphère, l'homme a pris, une place particulière qui le distingue de
toutes les autres espèces du règne animal et que matérialise le système
technique. Beaucoup d'espèces animales exercent ce que l'on peut appeler,
au sens le plus général du terme, une activité technique, c'est-à-dire
qu'elles créent dans leur environnement une forme ou un aménagement, avec
lequel elles établissent une relation d'usage.[3] L'oiseau construit son
nid, l'araignée tisse sa toile, l'abeille fabrique ses rayons. L'homme pour
sa part développe un ensemble vaste et complexe d'activités techniques
interactives qui constituent ce que j'appelle le système technique. Le système technique.
Le volume des activités techniques humaines est sans commune mesure avec
ce que font les animaux. Mais la différence entre l'homme et l'animal ne
réside pas seulement dans la quantité. Sous-jacente à une disparité
quantitative existe une triple altérité.
D'une part, le système technique humain se développe en empruntant
directement de l'énergie à l'environnement terrestre, sans passer par
l'intermédiaire de l'organisme humain. D'autre part l'homme a acquis la
capacité de stocker et de transmettre de l'information. À ces deux
capacités, aucune autre espèce animale n'a su accéder.
Enfin et surtout, la technique humaine évolue à un rythme rapide et sans
cesse accéléré, sans commune mesure avec l'évolution des techniques
animales. Celles des abeilles ou des castors, par exemple, sont stagnantes
en comparaison de celle des hommes. Cela tient à ce que la technique
humaine se fonde sur un apprentissage, qu'elle est un phénomène culturel,
alors que la technique animale repose sur une base génétique. Je ne vais
pas entrer ici dans l'analyse des mécanismes qui engendrent ce phénomène
massif, visible pour chacun de nous, qu'est l'accélération de l'évolution
technique[4].
Considérons seulement les conséquences qui s'attachent à l'exercice des
trois singularités humaines.
Les techniques informationnelles engendrent des effets profonds sur les
structures et les comportements de la société, effets dont nous sommes
chaque jour témoins.
Quant à l'emprunt direct d'énergie à l'environnement terrestre, il a
affranchi l'homme des limitations que lui imposaient, comme à toutes les
espèces animales, les capacités de son organisme.
L'essence de l'activité technique est de donner une forme à la matière. Or,
pour donner une forme à la matière, c'est-à-dire pour créer quelque chose
de défini et de différent à partir de ce qu'on trouve dans la nature, pour
faire un bijou avec une pépite ou un champ labouré avec une prairie, il
faut dégrader de l'énergie, il faut transformer du travail en chaleur ; il
n'existe aucune échappatoire à cette nécessité parce qu'elle procède d'une
loi fondamentale de la nature.
Dans le passé lointain de l'espèce humaine, alors qu'elle se réduisait à
une modeste population de chasseurs-cueilleurs dont l'effectif total était
de l'ordre de quelques millions d'individus, elle ne différait pas de
toutes les autres espèces animales astreintes à la lutte pour la vie. C'est
avec la découverte du feu que les choses ont changé et qu'elle a commencé,
en brûlant du bois pour créer de la chaleur, à consommer des déséquilibres
créés par le règne végétal.
Les premières traces d'une exploitation technique de l'environnement, c'est-
à-dire d'une exploitation qui ne se réduise pas à la consommation directe
des aliments et à l'utilisation des abris qu'il fournit, remontent aux âges
de la préhistoire qui ont vu l'apparition des pre