Les dictionnaires de langue française document - Défense de la ...

Le rédacteur de dictionnaires est le lexicographe, mot apparu au XVIe siècle,
alors ...... mais sans se présenter à des examens, d'où sa réputation d'
autodidacte.

Part of the document


Conférence de M. Jacques Dargaud
Délégation de Champagne-Ardenne LES DICTIONNAIRES DE LANGUE FRANÇAISE Il y a des dictionnaires dans chaque bibliothèque, il y en a un dans
presque chaque foyer. Cependant, pour commencer, voyons précisément ce
qu'est un dictionnaire. L'Académie en donne cette définition : « Recueil
méthodique de mots rangés le plus souvent dans l'ordre alphabétique ». Le
plus souvent ? En effet - même sans parler des langues transcrites en
idéogrammes - il peut y avoir des exceptions à l'ordre alphabétique. Dans
la première édition de son dictionnaire, l'Académie elle-même utilisa
l'ordre des racines : il fallait chercher humain et inhumain dans l'article
homme. Les dictionnaires étymologiques actuels peuvent présenter les mots
dans l'ordre des étymons : ainsi pour trouver huître dans le Französisches
etymologisches Wörterbuch (dictionnaire étymologique français) en
25 volumes, il faut chercher le mot latin ostrea ; c'est dire que la
consultation n'est pas aisée (et encore moins si on ne comprend pas
l'allemand). Cependant, les étymons sont bien sûr rangés par ordre
alphabétique. De même dans un dictionnaire analogique, les mots peuvent
être regroupés autour de mots-centres, lesquels sont rangés, eux, par ordre
alphabétique. Dans un dictionnaire de rimes, ce sont d'abord les rimes qui
sont rangées par ordre alphabétique. Le mot dictionnaire a été emprunté tout au début du XVIe siècle au
latin médiéval dictionarium (avec un seul n), dérivé au XIIe siècle de
dictio « action de dire, discours ». Dictionnaire est actuellement le terme
générique par rapport à quelques autres : trésor, lexique, vocabulaire,
glossaire.
Le trésor à l'origine est monolingue, par opposition au dictionnaire
bilingue (ou plurilingue). Cette distinction a disparu. Mais la métaphore
trésor se trouve encore de nos jours dans certains titres d'ouvrages :
petits ouvrages de l'éditeur Belin, mais aussi ouvrage monumental en quinze
volumes (TLF).
Lexique (grec lexicon, de lexis « mot ») et vocabulaire (latin
médiéval vocabularium, de vocabulum, « mot ») sont deux mots forgés à la
Renaissance. Ils désignent un dictionnaire succinct et spécialisé :
lexique français-grec, lexique des mots de Corneille, lexique des termes
ferroviaires, vocabulaire des sportifs, de l'architecture...
Glossaire (1585, à l'origine avec un seul s), contrairement à lexique
et vocabulaire, provient de l'Antiquité latine. En effet le glossaire (ou
les gloses) est la forme la plus ancienne de ce qui deviendra le
dictionnaire. Les gloses (on trouve glossae dès le premier siècle avant J.-
C. chez Varron) sont les explications nécessaires de certains mots rares,
explications en bas de pages ou en interlignes et finalement reprises en
liste. Après l'Antiquité, citons, fort célèbres, les Gloses de Reichenau
(VIIe siècle), recueil de mots de la Vulgate avec leurs équivalents en
roman ; c'est le plus ancien document où apparaissent des mots de ce qui
deviendra notre langue.
Encyclopédie (mot d'origine grecque, de enkuklios, « en cercle, en
cycle » et paideia, « éducation ») est proche du même champ lexical : dans
la conscience collective, les mots encyclopédie et dictionnaire sont
étroitement liés, les notions qu'ils recouvrent interférant souvent et
étant parfois confondues. En effet, il existe des dictionnaires
encyclopédiques et l'encyclopédie alphabétique ayant son origine au XVIIe
siècle se distingue peu du dictionnaire. Si le dictionnaire en son enfance
(ou glossaire) est d'abord une liste de mots, l'encyclopédie n'est pas
initialement un livre, mais, comme l'indique l'étymologie, un cycle
d'études à parcourir (cf. Vitruve, Quintilien). Encyclopedia est attesté en
anglais en 1531 comme cycle de connaissances et encyclopédie est employé
l'année suivante par Rabelais dans un contexte passablement ironique.
L'encyclopédie est, depuis le XVIIIe siècle, un ouvrage où l'on tente de
traiter exhaustivement de l'ensemble du savoir ; par extension c'est un
ouvrage qui traite systématiquement d'un domaine des connaissances (ex :
encyclopédie d'architecture). Le classement peut être thématique ou
alphabétique ; dans ce dernier cas l'encyclopédie tient du dictionnaire.
Les grands noms de la démarche encyclopédique de l'Antiquité au XVIIIe
siècle sont Varron, Pline l'Ancien, saint Augustin, Isidore de Séville,
Hugues de Saint-Victor, l'Italien Latini, l'Anglais Chambers, Diderot et
d'Alembert....
La différence entre encyclopédie et dictionnaire se révèle aux
entrées. L'encyclopédie n'utilise l'entrée que comme accès au domaine à
décrire. Il n'y a pas d'entrée qui s'impose : tout mot voisin du même champ
pourrait convenir. Au contraire le dictionnaire, proprement dit s'intéresse
aux mots d'entrée pour eux-mêmes. Ainsi, par exemple, le dictionnaire
étudiera les mots abeille, apiculture, bourdon, hydromel, miel, ouvrière,
reine, ruche..., alors que l'encyclopédie en choisira un seul (abeille, ou
bien apiculture, ou bien miel) pour développer tout ce qu'il y a à dire
dans le domaine.
L'encyclopédie n'explique en principe que des noms - noms communs et
noms propres - et en tout cas pas de mots grammaticaux (prépositions,
conjonctions, pronoms, déterminants). Le dictionnaire proprement dit, c'est-
à-dire le dictionnaire de langue, n'a pas de noms propres.
Le dictionnaire encyclopédique est un genre intermédiaire entre
l'encyclopédie et le dictionnaire de langue. On dit justement que celui-là
est un dictionnaire de choses, celui-ci un dictionnaire de mots. Les
entrées du dictionnaire encyclopédique sont les mêmes que celles du
dictionnaire de langue ; mais la nature de l'information est fort
différente dans l'un et l'autre, le dictionnaire encyclopédique comportant
des développement scientifiques, techniques, historiques, bibliographiques,
pour tout dire des informations encyclopédiques qui n'auraient pas place
dans un dictionnaire de mots. Celui-là est illustré, celui-ci ne l'est pas
(du moins dans la tradition française) ; celui-là fait place aux noms
propres contrairement à celui-ci. Le rédacteur de dictionnaires est le lexicographe, mot apparu au XVIe
siècle, alors que lexicologue - la lexicologie ne datant que du XVIIIe -
est le linguiste qui étudie scientifiquement le vocabulaire. Même si les
sens furent autrefois confondus, même si les mêmes personnes peuvent être
compétentes dans l'un et l'autre domaines, on ne confond pas actuellement
lexicographe et lexicologue.
Remarquons qu'il existe encore un mot plus rare dictionnariste,
apparu dès le XVIIe siècle. Certains (Bernard Quemada) l'ont fait revivre
pour désigner le professionnel qui est chargé de la conception d'un
dictionnaire en tant que produit, par opposition au lexicographe à
l'origine de l'ouvrage. Et ce n'est pas tout : on parle encore de
métalexicographe, spécialiste de l'analyse et de l'histoire des
dictionnaires !
Sans revendiquer un titre aussi savant, nous allons nous intéresser
surtout, mais non exclusivement, aux grands dictionnaires de la langue
française, les plus importants par la quantité des mots définis et la
qualité des définitions. Soulignons préalablement que le dictionnaire
général décrivant une langue ou la traduisant en une autre n'existait pas
dans l'Antiquité. Il n'y avait pas par exemple de dictionnaire latin-grec
ou grec-latin ; il y avait seulement des listes de mots à but
essentiellement didactique, des gloses, comme nous l'avons dit, du genre de
celles ultérieures de Reichenau. Le dictionnaire n'apparaît qu'à la
Renaissance. C'est à partir de celle-ci que nous citerons une quinzaine de
grands lexicographes, sans oublier les institutions : l'Académie française,
bien sûr, mais aussi, contemporain, le CNRS. Volontairement, nous nous
limiterons en principe au français hexagonal.
XVIe SIÈCLE
ROBERT ESTIENNE
________ Robert Estienne est né à Paris en 1503 d'une famille d'imprimeurs
originaire de Provence. Ayant acquis une solide culture classique et appris
le métier d'imprimeur, il prend vite la direction de l'entreprise
familiale. En 1528, il épouse la fille du doyen des libraires
universitaires de Paris, femme très cultivée qui aura beaucoup d'influence
sur lui. Il va s'entourer d'intellectuels venus d'un peu partout, notamment
Budé, à la fois collaborateur et ami. Le roi François Ier aussi s'est pris
d'amitié pour lui, vient souvent à la librairie et accorde son privilège
pour chaque parution. La Bible et des ?uvres latines sont les deux grands
domaines de son activité éditoriale. Mais sa liberté critique lui attire
l'animosité des théologiens de la Sorbonne. Se révèle aussi sa vocation de
lexicographe : dès 1528, il entreprend, avec l'aide de plusieurs
collaborateurs, un Dictionarium seu Latinae linguae thesaurus..., qui
apparaîtra comme le premier « dictionnaire » bilingue, principalement
destiné aux savants. Par la suite il rédige le Dictionarium latinogallicum,
publié en 1538, destiné à ceux qui sont « en leur commencement et bachelage
de littérature ». On voit que la vocation didactique du dictionnaire n'est
pas un fait récent.
1539 est une date importante à double titre. D'une part, vous le
savez, François Ier, par l'édit de Villers-Cotterêts, impose la langue
française comme langue adm