Oeconomies - Hal-SHS

Lexicographie et encyclopédisme. a. ..... sous un aspect général » alors qu'on «
ne peut connaître ces objets que par un examen fort étendu et fort approfondi ».

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?conomies
Les articles '?/Economie' et leurs désignants dans l'Encyclopédie Christophe Salvat, CNRS, Greqam Introduction[1] Le regard de l'historien de la pensée économique sur l'Encyclopédie
est, le plus souvent, attiré par les deux contributions séminales, que sont
les articles FERMIERS et GRAINS de Quesnay, considéré comme l'un des
principaux fondateurs de la discipline. Sa curiosité est également attisée
par un évènement linguistique majeur, l'usage jusque-là rarissime de la
dénomination 'moderne' d'économie politique, en tant que désignant de ces
deux articles. L'affaire semble claire, l'économie politique, en tant que
discipline nouvelle, serait née dans l'Encyclopédie. Marie-France Piguet, dans un article publié récemment[2], a cependant
montré toute la complexité inhérente aux dénominations économiques dans
l'Encyclopédie. Se concentrer sur le seul usage de économie politique, a
fortiori dans deux articles seulement, est une démarche trop réductrice.
S'interroger sur l'originalité de l'emploi de l'expression économie
politique, et sur sa signification, exige d'interroger préalablement
l'ensemble des syntagmes ?/économie et de ses composés : économie rustique,
animale, domestique, politique.... Marie-France Piguet a ainsi pu mettre en
évidence la rareté relative du syntagme 'économie politique' et de la
grande polysémie du terme ?/économie. Notre étude s'inscrit directement
dans la continuité de son article, et se propose plus spécifiquement
d'identifier deux sémantiques de l'économie politique, articulées chacune
autour d'un syntagme lexicalement identifié, l'économie domestique et
l'économie rustique. Nous nous proposons donc ici de revenir, dans un premier temps, sur
la tradition lexicographique du terme ?/économie afin de mieux identifier
la nouveauté de l'Encyclopédie en la matière, puis sur les emplois propres
à cette dernière, les articles et les désignants ?/économie. Dans une
seconde partie, nous envisagerons l'économie publique et/ou politique dans
ses rapports à l'économie domestique et l'économie rustique. Nous
montrerons ainsi que Rousseau défend une économie entendue comme mode
d'administration d'une communauté, qu'elle soit familiale ou nationale,
alors que Quesnay et Leroy la perçoivent davantage comme mode de production
(agricole), au niveau individuel comme au niveau national. Bien
qu'appartenant à des perspectives différentes, ces deux approches peuvent
fortuitement se recouper et/ou s'opposer, par exemple sur la question des
flux monétaires, de l'industrie agricole ou de la fiscalité, mais elles ne
peuvent être considérées comme des théories économiques concurrentes.
1. Lexicographie et encyclopédisme a. Les sources de l'Encyclopédie L'édition de 1690 du Dictionnaire universel de Furetière définit le
substantif '?conomie' comme suit : ?CONOMIE. Subst. Masc. [sic ?] Mesnagement prudent qu'on fait de son
bien, ou de celuy d'autruy. L'?conomie est la seconde partie de la
Morale, qui enseigne à bien gouverner une famille, une Communauté. Ce
prieur entend bien l'?conomie. Quelquefois on couvre l'avarice du nom
honneste d'?conomie.
?conomie, signifie quelquefois, bel ordre & disposition des choses.
C'est une chose admirable que l'?conomie & la disposition des parties du
corps humain, & de voir comme chacune fait ses fonctions. On dit aussi
l'?conomie d'un bastiment, en parlant du mesnagement de la place, & de la
belle & commode disposition des appartements. On admire aussi l'?conomie
des abeilles, & la belle maniere dont elles se gouvernent dans leur
petite Republique[3]. Sa forme adjectivée, ?conomique, renvoie explicitement aux écrits
apocryphes d'Aristote[4]. Cette définition servira de base aux entrées
postérieures du dictionnaire de Trévoux et de l'Encyclopédie. On y retrouve
les trois principaux sens du terme, à savoir l'administration (familiale)
des biens, l'ordre d'un ensemble et le gouvernement d'une communauté.
L'oe/économie désigne donc communément et indistinctement la conduite d'un
ménage ou d'une société politique. Le dictionnaire de Trévoux fut, ainsi que l'a montré Marie Leca-Tsiomis[5],
une source fondamentale pour l'Encyclopédie. Il développe et organise les
différentes acceptions du terme supportées par des citations. L'article
ECONOMIE comprend une définition générale et deux sous-entrées Economie. A
l'intérieure de celles-ci sont insérées des variantes ou des locutions, qui
sont, surtout dans l'édition 1771, indiquées par un petit pictogramme en
forme de main. L'édition de 1752 définit, dans sa forme générale,
l'économie comme la « conduite sage, [le] ménagement prudent qu'on fait de
son bien ou de celui d'autrui.[...] L'économie est la seconde partie de la
Morale, qui enseigne à bien gouverner une famille, une communauté»[6].
L'exemple type d'une bonne économie, celle du père de famille, est donné en
référence à Bossuet. L'édition de 1771 sera plus explicite sur ce que doit
être une bonne gestion familiale[7]. La locution Economie rustique y sera
également rattachée. La première sous-entrée 'Economie' présente ensuite une première variation
sémantique. Par extension, l'économie désigne également le « bon usage
qu'on fait de son esprit, & de ses autres qualités : de la prudence à les
bien placer, ou à les bien ménager. ?conomia, prudens administratio »[8].
Suivent ensuite les locutions Economie légale[9] et Economie
évangélique[10]. Le chevalier de Jaucourt reprendra à son compte, en les
synthétisant, ces définitions dans ?conomie (Critiq. sacrée.)[11]. La sixième édition comprend également une seconde extension : l'économie
« dans une signification plus étendue, se dit, au figuré, de l'ordre par
lequel un corps politique subsiste principalement. Renverser toute
l'économie d'un Etat »[12]. Cette acception, absente dans l'édition de
1732, sera principalement celle que Rousseau désignera dans l'Encyclopédie
par Economie publique ou politique. Dans l'édition de 1718 du Dictionnaire
de l'Académie françoise (les termes d'économie ou d'?conomie sont absents
de l'édition de 1694), l'?conomie désigne cependant déjà l'organisation du
corps politique : « L'ordre, la règle qu'on apporte dans la conduite d'un
ménage, dans la dépense d'une maison. [...] se dit figurément de l'ordre
par lequel un corps politique subsiste principalement »[13]. La seconde sous-entrée de l'article est essentiellement un dérivé
métonymique de la précédente : Economie, signifie quelquefois le bel ordre, & la juste disposition des
choses. Concinna series. C'est une chose admirable que l'économie & la
disposition des parties du corps humain, & de voir comme chacune fait
réguliérement ses fonctions. On dit aussi l'économie d'un bâtiment, en
parlant du ménagement de la place, & de la belle & commode disposition
des appartemens. (L'économie d'un tableau. Economie du dessein. Une belle
économie. On admire aussi l'économie des abeilles, & la belle manière
dont elles se gouvernent dans leur petite république. On dit aussi, par
la même raison, l'économie d'un Etat.[14]
On y retrouve partiellement la rédaction de Furetière, notamment l'exemple
des abeilles, ici étendu à l'Etat. Dans un premier temps, en 1752, Trévoux
considère l'économie d'un corps politique en tant qu'ordre ou harmonie d'un
ensemble, Concinna series, alors qu'en 1771, il l'associe à la prudens
administratio. Nous pouvons légitimement y voir l'influence de l'article
ECONOMIE de Rousseau. La notion d'économie animale, ajoutée en 1771,
appartient sans ambiguïté à l'économie Concinna series. Si les 4e et 5e éditions (respectivement 1743 et 1752) du dictionnaire de
Trévoux ont sans aucun doute été exploitées pour la rédaction des articles
de l'Encyclopédie, il est donc également juste de noter que la 6e édition
du dictionnaire, publiée en 1771, s'est aussi beaucoup inspiré des avancées
de l'Encyclopédie. On le note en tout cas pour l'article ECONOMIE. Les deux
nouvelles locutions qui font leur apparition dans la 6e édition, l'économie
rustique[15] et l'économie animale[16] semblent, en effet, beaucoup devoir
leur rédaction à celle de l'Encyclopédie, quoique l'hypothèse d'une
troisième source ne soit théoriquement pas à exclure[17].
b. Les articles 'ECONOMIE' et '?CONOMIE' dans l'Encyclopédie L'économie fait l'objet de deux entrées dans l'Encyclopédie, usant
ainsi de la polygraphie du terme, pour compléter ou corriger dans le tome
XI ce qui avait été publié, dix ans plus tôt, dans le tome V. La première
entrée se compose du célèbre article ECONOMIE (Morale et Politique) de
Rousseau, réédité en 1758 sous le titre Discours sur l'économie politique,
et d'une sous-entrée Economie rustique.
La seconde entrée du mot, à la lettre O, répond davantage au souhait
exprimé par Diderot dans l'article ENCYCLOPEDIE de mieux intégrer les
termes de la langue usuelle[18]. Elle se décline en quatre parties, la
définition générale, et trois sous-entrées, ?conomie (Critiq. sacrée) de
Jaucourt, ?conomie animale (Médec.) de Ménuret de Chambaud, et ?conomie
politique (Hist. Pol. Rel. ant. & mod.) de 'feu Boulanger'. La définition
générale renvoie aux entrées du tome V : « ?conomie, conduite sage et
prudente que tient une personne en gouvernant son propre bien ou celui d'un
autre. Il y a l'?conomie politique. Voyez ce mot à l'orthographe Economie.
Il y a l'?conomie rustique ; c'est ce qui a rapport à toute la vie
rustique »[19]. En réintégrant les deux sous-entrées