2 Description des deux épidémies - SSA

Correspondance : S. BANZET, Service Médical d'Unité du 3ème Régiment ....
Pour affirmer le diagnostic l'examen a dû être répété dans quelques cas de ...

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LEISHMANIOSE CUTANEE chez les militAIres en opération EN GUYANE FRANCAISE S. BANZET ( Service Médical d'Unité du 3ème Régiment Etranger d'Infanterie (S.B.,
Docteur en médecine), Kourou, Guyane française.
( Correspondance : S. BANZET, Service Médical d'Unité du 3ème Régiment
Etranger d'Infanterie, 97310 Kourou ( Fax : 05 94 33 88 75 ( e-mail :
bzt.sebastien@wanadoo.fr ( La leishmaniose tégumentaire est une maladie endémique dans les zones
forestières tropicales d'Amérique du sud, en particulier en Guyane
française. Le vecteur est la femelle du phlébotome, diptère dont plus de 55
espèces sont connues en Guyane. Les espèces parasitaires rencontrées dans
le département sont, par ordre de fréquence, Leishmania guyanesis (97%), L.
amazonensis et L braziliensis. L'incubation varie de 15 à 30 jours en
moyenne, mais des durées beaucoup plus longues ont été décrites (plusieurs
mois). Caractérisée par des lésions cutanées indolores d'aspects variés, la
maladie évolue en dépit de tous les traitements locaux mis en ?uvre. Les
formes ulcéro-croûteuses et nodulaires sont les plus fréquentes. Les
parasites ont tendance à diffuser à distance des lésions initiales. Le
traitement est à base de pentamidine administrée par voie générale. La
transmission est maximale pendant la saison des pluies, avec un pic en
décembre-janvier.
Implanté à Kourou depuis 1973, le 3ème Régiment Etranger d'Infanterie
s'est spécialisé dans les missions en forêt amazonienne. A ce titre il
participe à la protection du centre spatial guyanais, à la surveillance du
fleuve Oyapock, frontière est avec le Brésil, et assure des missions de
renseignement (surveillance de l'orpaillage clandestin) et de souveraineté
sur une grande partie du territoire. Ces « missions profondes » durent
environ 3 à 4 semaines et sont effectuées par une section d'une trentaine
d'hommes. Par ailleurs, le régiment possède à proximité de Régina le Centre
d'entraînement en forêt équatoriale (CEFE), véritable école de la jungle
qui reçoit toute l'année des stagiaires de nombreuses unités françaises ou
étrangères.
Lors des séjours en forêt, les légionnaires portent un pantalon et une
chemise dont les manches sont souvent relevées pour des raisons de confort.
Le soir au bivouac, ils portent un survêtement long, des chaussettes et des
chaussures de sport, le visage et les mains doivent être protégés par de la
lotion insectifuge. Dans un soucis de prévention des maladies à
transmission vectorielle, paludisme et leishmaniose, les consignes imposent
un arrêt des activités vers 16h pour permettre à chacun de s'installer, de
faire sa toilette et d'être en tenue de nuit avant 18h. L'éclairage est
assuré par des bougies, l'usage des lampes électriques qui attirent les
insectes devant être limité au strict nécessaire. La nuit se passe dans un
hamac avec une moustiquaire à maille fine (taille du phlébotome de 1 à 3
mm) intégrée, préalablement imprégné d'insecticide (deltaméthrine). Ces
consignes sont permanentes et doivent être observées avec rigueur lors de
toute mission.
Ce travail se propose de décrire la chronologie, les aspects cliniques et
thérapeutiques de deux épidémies de leishmaniose survenues lors de missions
en forêt (un stage réalisé au CEFE et une mission profonde) et d'étudier
les facteurs qui peuvent expliquer la survenue de ces épidémies.
Les missions 1 La mission profonde 37 (MP37)
La mission a duré 6 semaines en octobre-novembre 1998 dans la région de
Saint Elie, village situé dans une zone de forêt équatoriale
essentiellement primaire, mais également secondaire aux endroits remaniés
par la main de l'homme. L'accès au village est assuré par voie aérienne ou
fluviale par le lac du barrage hydro-électrique de Petit Saut, puis par une
piste. La commune compte officiellement quelques dizaines d'habitants. Au
moment de la mission, un grand nombre de travailleurs clandestins venant
essentiellement du Brésil portait la population à environ 500 personnes.
Ces ouvriers travaillaient et vivaient dans des conditions extrêmement
précaires sur les nombreux sites d'orpaillage clandestins répartis dans la
forêt aux alentours du village. En temps normal, un dispensaire est tenu
par une infirmière et un médecin y réalise une journée de consultation par
mois. Saint Elie est une région d'endémie leishmanienne connue.
Initialement programmée sur 3 semaines, la mission avait pour but de
quadriller la zone afin de renseigner la préfecture sur les activités
d'orpaillage clandestin. La section s'est installée en bivouac à 1,5 km du
village, à proximité de la piste d'aviation et d'un des rares point d'eau
salubre (l'orpaillage génère une forte pollution des eaux). Des groupes
partaient de ce camp de base pour reconnaître les zones désignées,
bivouaquant souvent à proximité des sites clandestins. Contrairement aux
missions classiques, le recueil de renseignement imposait, pour être
efficace, des déplacements de nuit et des retours tardifs au camp de base,
dérogeant ainsi aux règles élémentaires de vie en forêt amazonienne. Devant
l'ampleur des activités mises à jour, la préfecture a demandé de prolonger
la présence militaire de 3 semaines afin de réaliser une intervention avec
la gendarmerie. Le soutien sanitaire a été assuré par un médecin du
régiment pendant les 2 premières semaines, par un infirmier polyvalent
pendant les 2 semaines suivantes (pas de médecin disponible et possibilité
évacuation aérienne rapide), puis par un autre médecin en vue de
l'intervention.
2 Le stage éclaireur jungle
Ce stage, appelé aussi stage Aide moniteur forêt (AMF), est destiné à
former des spécialistes des techniques de vie, survie et combat en forêt
amazonienne. Il a duré 6 semaines aux mois de septembre-octobre 1998. Le
stage se déroule dans la zone d'instruction du CEFE, forêt primaire avec
quelques zones de forêt secondaire. Parmi les activités à risque il
comporte plusieurs jours d'instruction bûcheron, ainsi que 5 jours de
survie pendant lesquels les stagiaires sont dépourvus de paquetage et de
nourriture, imposant la construction d'abris (abattage d'arbres et nuits
sans moustiquaire) et la recherche de nourriture (chasse, parfois la nuit).
Le soutien sanitaire est assuré par le médecin du centre. Les militaires du
rang ainsi formés sont destinés à retourner en section de combat ou à être
affectés au CEFE comme aides moniteurs forêt pour seconder les
instructeurs.
Description des deux épidémies
Pour la mission profonde 37, les premiers cas de leishmaniose ont été
suspectés durant la 3ème et la 4ème semaines de présence dans la zone,
devant des plaies cutanées ne cicatrisant pas malgré des soins quotidiens
par antiseptiques et antibiotiques locaux. L'évolution des lésions et le
contexte épidémiologique (très nombreux cas autochtones constatés lors des
consultations réalisées par le médecin de la mission au dispensaire du
village) plaidaient en faveur du diagnostic de leishmaniose. D'autres cas
sont apparus après le retour de mission, le dernier ayant été diagnostiqué
à la fin du mois de janvier 1999.
Au total, 21 militaires sur les 25 présents durant toute la mission ont
contracté la maladie, soit un taux d'attaque de 84%. Chacun présentait en
moyenne 5,4 lésions (de 1 à 22). Leur localisation est représentée sur la
figure 1 qui présente sur un même schéma les 112 lésions relevées chez les
21 patients. La répartition en zones normalement couvertes (membres
inférieurs, tronc et bras) et zones découvertes (tête, cou, coude, avant-
bras et mains) montre qu'un fort pourcentage de lésions (42,9%) siégeaient
sur des zones normalement protégées par les vêtements. Pour les personnels du stage éclaireur jungle, le diagnostic a été plus
tardif. A la fin du stage certains ont rejoint leurs sections pour partir
en mission profonde ou en stage à l'étranger, d'autres ont pris leurs
nouvelles fonctions au CEFE ou sont partis en permission. Les deux premiers
cas ont été suspectés à la fin du mois d'octobre par un médecin du régiment
lors d'un stage au Surinam. Une fois le diagnostic confirmé, tous les
participants au stage ont été convoqués et examinés. L'interrogatoire a
montré que la majorité des patients avait consulté des médecins en
métropole (y compris un dermatologue) ou des médecins en compagnie
tournante qui n'avaient pas évoqué le diagnostic ou l'avaient récusé en
absence d'examens biologiques. Ce type de retard de diagnostic est fréquent
chez des patients pris en charge hors des zones d'endémie (1).
Dix des 11 légionnaires ayant participé au stage ont contracté la maladie,
soit un taux d'attaque de 91%. Les patients présentaient en moyenne 8,8
lésions (de 1 à 32). La figure 2 montre la répartition des 88 lésions
relevées chez les 10 patients et montre que 23,9% d'entre elles siègeaient
en zones protégées.
Aspects cliniques
Dans ces deux épidémies, la maladie se manifestait le plus souvent par une
ou plusieurs ulcérations non douloureuses, à bords nets et fond sanieux, ou
recouvertes d'une croûte (figure 3). Parfois il s'agissait de lésions
nodulaires ou ulcéronodulaires, plus rarement de lésions purement
croûteuses (figure 4). La périphérie des lésions était souvent infiltrée
mais non inflammatoire. Des lésions de plus petite taille étaient parfois
observées dans la périphérie immédiate de lésions plus importantes,
traduisant une diffusion locale intradermique des parasites (figure 5). La
présence d'adénopathies satellites indolores ou de cordons lymphan