A nos filles, Laura et Celine - Paroles de patients
Finalement, j'ai bien réussi mes études mais pas l'examen de passage dans la
classe des ...... Aujourd'hui, mes garçons ont 17 et 18 ans, l'aîné passe son bac.
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A nos filles, Laura et Celine
A Bob, à mes parents A mon amie Maurie
A tous ceux qui m'ont soutenue J'emprunte à Julien Clerc, chanteur pour lequel j'ai la plus grande
admiration depuis plus de 30 ans, le texte de sa chanson «Coquetier Bleu » écrite par Etienne Roda Gil :
« Il faut oser tresser l'osier
pour laisser au moins un panier »
Voici mon panier...
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L'heure du rendez-vous -si l'on peut qualifier ce moment de « rendez-vous »-
approche. Je me sens de plus en plus fébrile, comme si mes jambes se dérobaient sous
moi, comme si la Terre s'ouvrait en deux sous mes pas pour m'engloutir
toute entière, et me faire disparaître à tout jamais. Je guette l'appel de mon nom. Non, ce n'est pas aujourd'hui. Non, il n'est pas possible que cela s'arrête là. Non, je goûte trop le bonheur de vivre, ma liberté, pour envisager d'en
être privée, sous l'autorité de ceux qui décideront de tout pour moi. Non, je refuse que l'échéance arrive, que l'incarcération se concrétise,
ici et maintenant, demain et même jamais. Pourtant, le véhicule est là, stationné en double file. On me porte mon
« petit bagage », on m'ouvre la porte et on me demande de m'introduire dans
l'habitacle. Je quitte le sol de ma ville, comme si je le quittais pour
toujours. L'absence de contact avec l'asphalte me prive d'oxygène. Je me
sens happée par cette fourgonnette. J'entends le bruit de la porte à glissière qui se referme, avec la violence
du couperet de la guillotine. Je laisse derrière moi, les miens, mon
« nid », mon « donjon » (comme on se plaît à dénommer notre appartement
situé au dernier étage), enfin ma vie de femme, libre et autonome. La porte se verrouille dans un claquement qui n'est pas sans me rappeler le
bruit des lourdes grilles des prisons. Depuis toujours attirée par le milieu pénitentiaire, ce son m'est presque
familier. Je ne manque jamais un film qui se déroule dans l'enceinte d'une
prison, que ce soit celle de Fleury Merogis, de la Santé, des Baumettes ou
encore d'Alcatraz. Me voilà à présent enfermée dans ce fourgon qui me transporte jusqu'à mon
lieu de détention, pour une durée que j'ignore. La voiture roule rapidement
sur la Nationale 19 au milieu du flot de véhicules qui se faufilent dans
la circulation, assez dense pour ce mercredi matin de Juin.
Où vont tous ces automobilistes à cette heure-ci ? Il est 11 heures... Des représentants de commerce qui se rendent chez leurs
clients, des livreurs chargés de leurs diverses marchandises, des aides à
domicile allant apporter un peu d'assistance et de réconfort aux personnes
âgées, des infirmières et leurs seringues, des artisans et leurs outils,
des femmes au foyer parties courir les galeries marchandes pour les soldes,
des retraités en balade, des demandeurs d'emploi convoqués à un entretien,
des étudiants prêts à passer un oral d'examen ? Je me surprends à observer leurs visages, comme si les sourires, rides ou
rictus pouvaient me renseigner sur la nature de leurs déplacements. J'envie
celui qui va négocier au Centre des Impôts, celle qui se rend stressée à
l'occasion d'un rendez-vous professionnel, celui qui est perdu sur cette
route ou encore ceux qui se disputent pour un trousseau de clés égaré, ou
quelques minutes de retard. J'aimerais pouvoir ralentir le rythme de la circulation, et pour une fois,
être bloquée dans les embouteillages -moi qui ai, d'habitude, tant de mal à
supporter les encombrements- pour repousser l'échéance... profiter encore
un peu de ce semblant de liberté. Comme si, tout d'un coup, cette atmosphère polluée de vapeurs d'échappement
avait le parfum des fleurs des champs. Curieuse aussi cette impression que tout est beau autour de soi... Jamais
auparavant je n'avais trouvé de charme à ces zones urbaines, entachées de
cette forêt de panneaux publicitaires, avec ces balcons fleuris de
paraboles. Pas plus séduisants ces centres commerciaux aux gigantesques
parkings guettant le maigre pouvoir d'achat des habitants de ces quartiers
dits « défavorisés ». Pourtant, je vous l'assure, même une zone industrielle aurait pu présenter
quelque attrait en ces circonstances : synonyme de liberté, de lieu de
travail, d'endroits où l'on peut aller et venir à son gré. Tout est
question de références et de moyens... Pour quelqu'un qui est privé de
liberté, le moindre espace peut s'avérer séduisant et magnifique. Je pense
à ces prisonniers de guerre, coupables de rien, privés de communiquer avec
les leurs. Je pense aussi à leur capacité à se remémorer le monde du
dehors, aux bienfaits de ces souvenirs et aussi au côté pervers de cette
pensée qui renforce le contraste avec la détention. Comment se souvenir sans souffrir ? Bizarrement donc, cette nationale de banlieue parisienne, encombrée, n'est
plus en Ile de France et je me mets à penser, comme pour me protéger, que
je suis dans une région méridionale. Le soleil brille de tous ses feux en
ce début d'été. Pas un nuage dans le ciel, une température au-dessus de
25°... Bref, les conditions idéales pour que je me sente habituellement
bien ! Le chant des cigales est remplacé par la symphonie tonitruante des klaxons
et les injonctions des automobilistes agressifs qui s'apostrophent, vitre
ouverte. Quelle violence ! J'ai toujours été choquée par le comportement des gens détenant un volant
entre les mains... comme si ce cercle de bakélite ou de cuir leur conférait
un droit de passage exclusif et aussi celui d'écarter tout ce qui les gêne
sur leur passage. Une recherche de pouvoir, de gain de temps ? Quel
bénéfice ou quelle « gloire » de se trouver 30 mètres en avant au prochain
feu tricolore, ou d'avoir pu doubler en insultant le conducteur du véhicule
d'à côté... Mais revenons à mon parcours sur cette route ensoleillée, qui m'amène à
imaginer la chaleur des contrées du Sud de la France ou celles encore plus
lointaines, évocatrices de voyages et de dépaysement. Sauf que ma
destination n'est ni la campagne, ni la montagne, ni le bord de mer.
Annulées les vacances en Italie. Je ne ferai pas découvrir la ville de
Sienne à Franck-Eric. Il était si heureux : au début de notre relation, il
m'avait dit « Giulia, tu me feras découvrir un coin d'Italie, chaque
année ». Moi aussi j'en rêvais depuis que nous nous sommes rencontrés.
Cette ville, et plus particulièrement sa « Piazza del Campo » a pour moi
une résonnance toute particulière. Quand nous avons décidé cet hiver d'organiser un séjour en Toscane, le ciel
s'est coloré tout d'un coup. La grisaille parisienne a soudainement été
effacée à l'idée du charme siennois. Quelques années auparavant, j'avais eu le grand bonheur de partager ce
voyage avec ma fille Solenn. Nous avions passé quelques jours à Florence et
à Sienne. Je me souviens de nos déjeuners en plein air, nous délectant de salades de
poulpes sous les yeux de marbre du Davide -dont nous admirions les belles
fesses-, de nos dégustations de glace à la stracciatella !!! Nous
regardions les beaux italiens en nous donnant des coups de coude amusés.
C'était le fou rire assuré... Belle complicité avec une jeune fille devenue
femme... Nous communiquions d'égale à égale, capables de partager tant de belles
choses. Nous en avons passé des heures sur cette Piazza del Campo à
savourer cette douce atmosphère aux lendemains du fameux « Pallio », course
à cheval en pleine ville, au cours de laquelle chaque quartier défend ses
couleurs. Amusant de découvrir leurs bannières colorées, leurs parades en costumes
bigarrés et leurs banquets dans les ruelles pavées. Une ambiance unique :
de grandes tables sont dressées le soir au gré des rues, quartier par
quartier. La ville s'habille alors pour l'occasion. Des lanternes
multicolores sont installées sur les façades, reprenant les blasons de
chacune des équipes. On pourrait presque se croire au Moyen Age... Captivant et tellement dépaysant... J'avais déjà tout organisé : l'itinéraire était tracé - j'avais déjà repéré
une chambre d'hôtes au Palais Morante, pour faire escale à Gênes. J'avais
dressé la liste des sites à visiter et réuni la documentation
correspondante. Quelques clics sur Internet, quelques appels téléphoniques, une
confirmation par mail et le tour était joué. Chaque point d'étape était
défini... Mais tout tombe à l'eau, le voyage, les visites, les petits
plats délicieux de la cuisine toscane. Il n'est plus question de tout cela.
Balayé, effacé, rayé, le beau projet. Je suis bien loin de la Toscane et de ses divers attraits.
Je suis en route pour la détention... provisoire, je l'espère... Et
pourtant, plus rien n'est sûr dans mon avenir. J'ai l'impression que le temps marque une pause, comme un arrêt sur images
au cinéma, un focus sur ce moment particulier : départ pour l'inconnu avec
sa dose d'angoisse et même de peur. Le monde défile autour de moi, la radio continue d'annoncer les nouvelles,
de diffuser son programme musical comme si rien n'était changé. Je ne suis qu'un grain de poussière dans l'humanité et mon destin n'impacte
que moi et mes proches. Bien sûr, rien n'est changé, pour les autres, pour le monde... mais pour
moi, c'est un STOP sans savoir si, après la bande blanche, il me sera
capable de redémarrer, si même on me laissera enclencher la première