Les trois dimensions de l'espace et les quatre dimensions ... - Hal-SHS

Cette assurance est confirmée ou étayée par l'examen critique, historique et .....
cet espace n'est ni métrique ni projectif, et n'a que des propriétés topologiques ...

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in Flament, Dominique (éd.), Dimension, dimensions I, Série Documents
de travail, Fondation Maison des Sciences de l'Homme, Paris, 1998, p.
87-112.
LES TROIS DIMENSIONS DE L'ESPACE
ET LES QUATRE DIMENSIONS
DE L'ESPACE-TEMPS # PAR Michel Paty * CONTENU ET RÉSUMÉ Ce travail présente le problème de la dimensionalité de l'espace,
du temps et de l'espace-temps, du point de vue des mathématiques, de la
physique et de l'épistémologie dans une perspective historique, qui le
fait voir dans sa relation générale et particulière à la question de
l'abstraction des grandeurs d'expression mathématique et de leur
rapport au monde physique. Il comprend les aspects suivants. 1.
Remarques introductives. Naturalité et abstraction - 2. Les trois
dimensions de l'espace. Nombres - Grandeurs - Relations et abstractions
- Courbures physiques - Physiologie des trois dimensions - Topologie
- Continu mathématique et coupures. 3. Les quatre dimensions de
l'espace-temps. Des étrangers parallèles - Espace simultané, temps sans
extension - Une quatrième dimension possible - Variétés continues et
différentiables - La quatrième dimension nécessaire. L'espace entre
dans le temps - Espace-temps physique : dimensions courbes -
Spécificité de la quatrième dimension. 4. Remarques terminales :
physique et dimensionalité. Le texte est accompagné d'une bibliographie
détaillée.
Contents and abstract The three dimensions of space and the four dimensions of space-time
The present work deals with the problem of dimensionality of
space, time and space-time, from the points of view of mathematics,
physics and epistemology in historical perspective, that show it in its
relationships -general as well as particular- with the question of the
abstraction of mathematically expressed magnitudes and of their link
with the physical world. The following aspects are considered. 1.
Introductive remarks: naturality and abstraction. 2. The three
dimensions of space. Numbers - Magnitudes - Relations and abstractions
- Physical curvatures - Physiology of the three dimensions - Topology-
Mathematical continuum and cuts. 3. The four dimensions of space-
time. Parallel foreigners - Simultaneous space, unextended time - A
possible fourth dimension - Continuous and differenciable manifolds -
The necessary fourth dimension. Space enters into time - Physical space-
time : curved dimensions - Specificity of the fourth dimension. 4.
Terminal remarks : physics and dimensionality. A detailed bibliography
is provided.
1 Introduction
Naturalité et abstraction L'espace et le temps sont des concepts abstraits constitués à
partir de l'expérience des sens et de celle du raisonnement
scientifique. Qu'il s'agisse de notions très naturelles et qui n'ont
pas besoin de définition, comme le pensait Newton, qui éprouva
cependant le besoin d'en proposer une "clarification", nous n'en
croyons rien. Kant lui-même s'estimait en mesure d'en faire la matrice
ou les éléments directeurs de l'expérience sensible (les "formes a
priori de la sensibilité"), tout en les construisant en tant que
grandeurs suivant l'"intension" et l'extension conçues au moule des
quantités continues et différentiables.
Mais la conscience de l'origine physiologique des connaissances
et de leurs notions de référence, jointe à l'examen critique,
historique et épistémologique, de ces notions épurées en concepts
scientifiques, qui s'affirmèrent au xixè siècle, mirent en évidence
leur caractère de constructions rationnelles, historiquement
constituées. Les trois dimensions de l'espace et l'unidimensionalité du
temps, conçues par la raison, avaient semblé s'accorder à une sorte
d'évidence naturelle. tout en correspondant à des "réalités" de natures
fondamentalement différentes. Leur rapprochement, occasionné avec
l'entrée en scène du temps comme variable physique, s'était imposé par
la rencontre de la géométrie et de la mécanique et l'"analytisation" de
la mécanique à la suite de celle de la géométrie. Pour cette pensée
géométrique et analytique de la mécanique, le rapprochement et la
comparaison de l'espace et du temps comme grandeurs revenaient à la
juxtaposition de leurs 3+1 dimensions (comme d'Alembert et Lagrange le
formulèrent très explicitement).
Le caractère "volontariste" de ce rapprochement d'un espace et
d'un temps ontologiquement différents sembla disparaître avec la
physique du xxè siècle, puisqu'avec les théories de la relativité la
rencontre et la fusion de l'espace et du temps en une seule entité se
présente comme un trait structurel nécessaire pour la formulation de
théories physiques, directement lié à l'expression mathématique
constitutive de ces dernières. Construite abstraitement par la raison
en forçant apparemment l'intuition commune, la pensée conjointe de
l'espace et du temps comme entité à quatre dimensions semblait dès lors
correspondre à un caractère fondamental de la nature du monde physique,
et retrouver par là un caractère de "naturalité".
C'est au point que l'espace-temps à quatre dimensions (trois pour
l'espace, une pour le temps) représentait pour Minkowski la réalité
fondamentale sous-jacente à tous les phénomènes physiques. Il
récupérait, dans cette conception, la naturalité antérieure supposée de
l'espace et du temps pris séparément avec leur caractère absolu :
l'espace-temps absolu ou univers de Minkowski serait en quelque sorte
la notion naturelle fondamentale, comme l'espace et le temps absolus de
Newton étaient pour ce dernier l'espace et le temps naturels, qui
s'imposaient à l'esprit parce qu'ils étaient ceux du monde (vrais et
mathématiques). Cependant cette nouvelle ontologie mathématique du
monde physique ne réussit pas vraiment à s'imposer (au contraire de
l'ancienne, qui domina durant deux siècles), même si l'espace-temps à
quatre dimensions reste aujourd'hui un cadre privilégié pour les
représentations théoriques.
Le caractère naturel et absolu de ce cadre fut en effet très tôt
mis en doute, de plusieurs manières : tant par Einstein lui-même, qui
lia sa forme (la métrique, ou la structure, de l'espace-temps) à celle
de la matière qui y est contenue (les champs de gravitation et leurs
sources), que par d'autres chercheurs qui proposèrent, de la théorie de
Kaluza-Klein jusqu'aujourd'hui (par exemple, les théories de cordes),
de considérer l'éventualité d'un nombre supérieur de dimensions pour
l'espace ou l'espace-temps, voire pour le temps lui-même (tentatives
d'un "temps complexe"), ces dimensions étant repliées à notre échelle
où seules sont rendues manifestes les quatre que nous savons.
Le caractère résolument abstrait des théories physiques
actuelles, exigé par la nécessité même de les mettre en correspondance
avec le monde physique et ses phénomènes (très concrets), nous invite à
nous interroger sans relâche sur la nature des concepts qu'elles
mettent en ?uvre et auxquels ce sont elles qui donnent, en fait, un
contenu. Mais il ne suffit pas que des grandeurs portant ces noms
(espace, temps, espace-temps, dimensions...) apparaissent dans des
formes théoriques destinées à représenter des aspects du monde physique
pour qu'elles soient identifiées immédiatement aux notions
correspondantes figurant dans les théories précédemment acquises, et à
plus forte raison à celles de l'expérience commune. Le contenu, ou
l'interprétation, physique des grandeurs exprimées mathématiquement est
donnée par la théorie (dans ses relations de structure), si celle-ci
est une théorie physique légitime, corrélée de manière satisfaisante
aux données d'expérience, et la pensée physique est normalement à même
d'en juger directement[1]. Cette assurance est confirmée ou étayée par
l'examen critique, historique et épistémologique, de ces grandeurs et
des concepts qu'elles expriment : cet examen en explore les
significations et précise leur rapport aux grandeurs et notions
antérieures.
Ayant ainsi rappelé le sens, considéré en toute généralité, d'un
tel examen, en relation aux recherches contemporaines, je me
cantonnerai dans ce qui suit à la question de l'espace et de sa
tridimensionalité, à celle du temps et de son unidimensionalité, et à
celle de leur "fusion" quadridimensionnelle, telles que ces questions
apparaissent proposées et débattues au long de l'histoire des idées
scientifiques. Nous voudrions ainsi baliser un terrain conceptuel ferme
sur lequel il soit possible de s'appuyer avec quelque sécurité pour
l'examen d'autres élaborations, récentes ou futures.
2 Les trois dimensions de l'espace Si l'on effectue un parcours à grands pas à travers les textes de
grands auteurs sur les mathématiques, la physique et la cosmologie de
l'Antiquité jusqu'à nous, on y trouve mentionnée la tridimensionalité
de l'espace comme un fait acquis dont les justifications sont cependant
très diverses, d'une époque à l'autre. J'en livrerai quelques éléments
significatifs, commençant avec les Pythagoriciens pour parvenir aux
conceptions contemporaines, sans, bien entendu, aucune prétention à
l'exhaustivité, d'autant que je n'entrerai pas dans les détails des
conceptions les plus connues. Cette diversité même est instructive des
conceptions respectives de ces auteurs, mathématiciens, physiciens