La quête de "l'Autre" en linguistique

De l'identité du sujet-locuteur en linguistique pragmatique. ... Ce n'est pas
étonnant que l'examen de ces présences effectives dans la communication et le
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De l'identité du sujet-locuteur en linguistique pragmatique.
Nouveaux points de vue
Lector dr. Simina MASTACAN
Universitatea din Bac?u
La nature du sujet-locuteur en linguistique et la manière dont il se
construit l'identité à travers l'altérité, à l'intersection de plusieurs
"voix", qu'il s'agisse de son propre dédoublement, du celui de
l'interlocuteur ou de la mise en scène de l'Autre a fait couler beaucoup
d'encre. Le sujet reste quand même ouvert aux analyses les plus diverses,
puisque l'Autre ne saurait être seulement "il", celui dont on parle, la
non-personne, mais aussi les diverses hypostases de "je" et de "tu" en tant
que voix présentes dans le discours
L'Autre n'est pas seulement le dissemblable, l'étranger, le marginal,
l'exclu, celui qui dérange par sa présence (il). Il peut être aussi perçu
comme une absence, comme un terme qui manque, comme une présence non-
présente, celui par le biais duquel on aboutit à un nouveau type de quête,
la quête de soi, qui est, en linguistique, la quête de "je" et,
corrélativement, de "tu".
Le sujet de réflexion que nous nous y proposons provient,
premièrement, d'un souci de méthode pédagogique. Les études que nous avons
consultées concernant la nature du sujet-locuteur en linguistique nous on
formé la conviction que l'identité discursive se construit à travers
l'altérité, à l'intersection de plusieurs "voix", qu'il s'agisse du
dédoublement du sujet-locuteur, du celui de l'interlocuteur ou de la mise
en scène de l'Autre. La question nous a ouvert, en tant que professeur,
des pistes à la fois inquiétantes et incitantes, vu qu'il fallait
accommoder les étudiants de la quatrième année à une nouvelle approche en
linguistique moderne, celle proposée par la pragmatique et les théories de
l'énonciation.
La difficulté de la démarche esquissée là-dessus n'a pas tardé à
surgir. En effet, comment faire comprendre aux étudiants une question de
linguistique délicate et apparemment opaque, qui a suscité depuis toujours
des discussions contradictoires même dans des milieux scientifiques plus
habitués aux rigueurs de la recherche et aux abstractions qu'elle suppose?
Contraints, à la suite des nécessaires études structuralistes des premières
années d'étude, à une perspective transitive sur la langue et la
communication, à une vision mécanique sur le "message" qui circule entre
deux pôles, l'émetteur et le récepteur, les étudiants ont du mal à saisir,
derrière ce modèle idéal et commode, mais trompeur, le fonctionnement
effectif de la parole humaine, l'enjeu effectif de la communication et les
implications réelles de l'énonciation. Celle-ci suppose non seulement une
interaction réelle, entre des personnes réelles, mais aussi la mise en
contact d'autres "êtres" de discours, dont l'existence est moins évidente.
Le rôle de ces derniers est tantôt de dédoubler les acteurs traditionnels,
"je" et "tu", tantôt d'incarner les intentions les plus obscures de la non
personne - "il" (selon l'appellation de Benveniste). A ce moment-là, se
former une opinion concernant l'identité de celui qui parle devient une
entreprise assez difficile, puisque sa présence est construite à de
différents niveaux et implique plusieurs "êtres" de discours.
Ce n'est pas étonnant que l'examen de ces présences effectives dans
la communication et le discours a été possible grâce aux recherches
entreprises par la sémiotique, la pragmatique et,
particulièrement, par les analyses sur l'énonciation. De cette manière,
saisir les principales hypostases du sujet-locuteur en linguistique doit
commencer avec l'approfondissement des concepts et des instruments dont ces
théories font usage. A mes yeux, la discussion pourrait commencer par la
redéfinition de la "communication" du point de vue de la théorie de
l'énonciation. Il y a bien des situations où le terme "communication" est
employé dans un sens restreint, en désignant un type particulier de
relation intersubjective, la transmission d'information: "Communiquer, ce
serait, avant toute chose, mettre l'interlocuteur en possession des
informations dont il ne disposait auparavant"[1] Ducrot propose, à juste
titre, qu'on cesse de définir la langue, à la façon de Saussure, comme un
code, c'est-à-dire comme un simple instrument de communication. Il faudrait
aussi dépasser la conception linguistique qui a fait carrière au dix-
neuvième siècle, selon laquelle les langues auraient comme origine première
l'effort de l'humanité pour représenter "la pensée" et en constituer une
image perceptible, une sorte de tableau.
C'est, à coup sûr, un nouveau point de départ pour les recherches
linguistiques actuelles, où la conception sur le sujet est renouvelée. En
passant de la sémantique (dans son sens référentiel) à la pragmatique, on
privilégie une théorie du langage qui rende compte de son emploi dans des
contextes déterminés d'interlocution. La recherche s'attardera, dorénavant,
sur les conditions de possibilité qui règlent l'emploi effectif du langage,
dans les situations où la référence attachée à certaines expressions ne
peut être déterminée sans la connaissance de leur contexte d'usage, de la
situation d'interlocution. C'est, selon Paul Ricoeur, un type
d'investigation "prometteur", vu "qu'il met au centre de la problématique,
non plus l'énoncé, mais l'énonciation, c'est-à-dire l'acte même de dire,
lequel désigne réflexivement son locuteur. La pragmatique met ainsi
directement en scène, à titre d'implication nécessaire de l'acte
d'énonciation, le je et le tu de la situation d'interlocution"[2]. On
embrasse, depuis lors, une conception interactive, dynamique du langage,
qui nous conduit à reconsidérer les théories anciennes, à accorder la
primauté à l'interlocution et à accueillir un nouveau concept, celui de "co-
énonciateur". On s'apercevra que l'approche énonciative a joué un rôle
décisif dans la réintégration du sujet parlant. C'est un type d'approche
qui va dans le sens d'une analyse interactive du langage, dès qu'elle
intègre les sujets, considérés comme co-producteurs de sens et de
signification.
L'analyse du discours, telle qu'elle se présente dans cette
perspective, opère un changement dans la manière de considérer le discours.
C'est l'identité même des formations discursives qui est à revoir. Il n'est
plus question d'envisager le discours comme "vision du monde", d'un sujet
unique, ni comme la manifestation du "vouloir-dire" d'un sujet collectif.
Les rapports avec l'Autre sont remis en question, car "qui veut se garder
se perd, l'intérieur n'est fait que de frontières et dans Être on devait
lire Autre"[3] Voilà donc que le principe d'altérité se trouve à la base du
concept d'Ego. Ainsi nous nous trouvons face à une réalité incontournable
qui parvient à infirmer l'autonomie du sujet par rapport aux significations
communiquées.
On est amené, donc, à la suite de ces observations, à proposer une
distinction plus fine, mais d'autant plus nécessaire à ce moment de
l'analyse: celle entre communiquer et énoncer. Une première suggestion nous
vient de Patrick Charaudeau, selon lequel "communiquer présuppose un
dispositif au c?ur duquel se trouve le sujet parlant (qu'il parle ou qu'il
écrive), en relation avec un autre partenaire (l'interlocuteur). L'acte de
communication équivaut, pour lui, à une mise en scène, dont le produit est
le texte qui "dépend directement de la situation de communication et du
projet de parole"[4]. "Enoncer" signifie, par ailleurs, "organiser les
catégories de la langue de sorte qu'elles rendent compte de la position du
sujet parlant par rapport à l'interlocuteur, à ce qu'il dit et à ce que dit
l'autre[5]" On identifie, par conséquent, trois fonctions du mode
énonciatif, à savoir:
- établir un rapport d'influence entre locuteur et interlocuteur;
- relever le point de vue du locuteur;
- témoigner de la parole de l'autre tiers.
Dans l'organisation de tout discours, le mode énonciatif a un statut
particulier. Selon Charaudeau, ce mode commande les autres, car, d'une
part, il permet d'établir des critères qui établissent la position du
locuteur par rapport à l'interlocuteur, à lui-même et aux autres. Autrement
dit, il y a tout d'abord un rapport d'influence du locuteur sur
l'interlocuteur; il y a, ensuite, son point de vue situationnel, qui relève
de sa position par rapport au dit et enfin, il y a le témoignage sur le
monde qui relève de la position du locuteur par rapport aux autres
discours.
Le fait que l'énonciation commence à se superposer abusivement à
d'autres notions, telles communication, subjectivité et acte de langage a
été observé par Jacques Fontanille. En ce qui concerne la distinction que
nous suivons ici, celle entre communication et énonciation, le sémioticien
s'avise que:
- du point de vue de la communication, on s'intéresse à la
circulation des messages à l'intérieur des collectivités, ou entre les
partenaires, dans le cadre d'une interaction particulière: "il s'agit par
conséquent d'un point de vue qui installe l'activité de langage dans un
contexte, dans une situation englobante qui n'est pas elle-même traitée
comme signifiante et qui n'est donc pas considérée comme un langage, mais
seulement comme la détermination extérieur d'un langage"[6] La situation
extra-linguistique qui y est esquissée est de nature socio