Hygiée contre Panacée - Hal-SHS

Finalement, l'on se retrouve face à un phénomène de prédiction ... ait été laissée
aux ménages ou à leurs mutuelles (hausse du ticket modérateur, forfait .... Pour
les questions d'éthique liées au risque d'exclusion sociale est mis en place en .....
d'autres ont eu une attitude trop passive ou ne se sont pas assez informés des ...

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Publié dans « Humanisme et Entreprise » N° 257, février 2003, pp 17-40.
Hygié contre Panacée : Les blocages de la santé publique en France[1]
Marc Loriol
Laboratoire Georges Friedmann / ISST (CNRS-Paris I), 16 Bd. Carnot, 92 340
Bourg-la-Reine.
Si la sagesse populaire affirme depuis longtemps qu'il vaut mieux
prévenir que guérir, la logique comptable du financement de notre système
de santé comme le prestige supérieur, aux yeux de la plupart des médecins,
du curatif par rapport à la prévention font que les politiques sanitaires
restent largement tournées, en France, vers l'accès aux soins. Pourtant,
dès les années 1970, des experts du commissariat général au Plan avaient
développé l'idée qu'une action plus en amont sur les déterminants sociaux
des problèmes de santé pourrait, à terme, éviter des dépenses de soins
autrement plus coûteuses. Mais les économies liées à un plus grand effort
de prévention sont difficiles à chiffrer avec précision et n'apparaissent
pas immédiatement : elles représentent dans un premier temps un surcoût
qui ne sera compensé qu'à long terme.
Plus, près de nous, le Haut Comité à la Santé Publique (HCSP), depuis sa
création en 1992, milite pour une plus grande cohérence des politiques de
santé afin de mieux faire correspondre les dépenses aux besoins et aux
priorités de santé tels qu'ils peuvent être dégagés par les différentes
instances de recherche et de débat en santé publique. De même, depuis plus
de quinze ans, des responsables politiques de différentes tendances, des
économistes de la santé, des responsables associatifs divers ont constaté
et déploré le manque d'efforts en matière de prévention par rapport aux
dépenses de soins (Loriol, 2002).
La France, en effet, dépense beaucoup pour la santé (quatrième rang
mondial pour la dépense par rapport au PIB) et, si elle possède
globalement de bons indicateurs sanitaires, elle présente tout de même
quelques points noirs durables : les inégalités de santé, entre catégories
sociales, entre sexes ou entre régions y sont parmi les plus fortes
d'Europe ; de même, la mortalité prématurée (avant 65 ans) reste élevée en
France, équivalente à celle du Portugal (HCSP, 2002). Ces problèmes
dépassent largement la simple question de l'accès aux soins. D'où les
appels répétés pour concevoir une autre politique de santé, plus globale,
moins centrée sur le curatif.
Pourtant, la part de la médecine préventive (médecine du travail, services
de santé scolaire, PMI, dépistages et vaccins et programmes spécifiques de
santé publique) dans la consommation médicale totale est passée de 2,9% en
1980 à 2,1% en 2001. De plus, le prestige des professionnels qui en ont la
charge reste faible et le médecin qui ne soigne pas, surtout s'il est
salarié, est encore considéré comme un médecin raté par beaucoup des ses
confrères. Comment comprendre les blocages politiques, professionnels et
institutionnels qui empêchent les programmes de revalorisation de la
prévention de se traduire par des actes concrets ? Quels sont les
mécanismes qui maintiennent dans la marginalité professionnelle tous les
médecins qui n'ont pas une pratique curative et biomédicale ? 1 - Un financement et une pratique médicale centrés sur le soin Les difficultés à faire évoluer notre système de santé sont parfois
expliquées en terme de « pouvoir médical ». Cela mériterait d'être nuancé.
Le « pouvoir médical » a été réduit, dans la sociologie critique des
années 1970, à la volonté supposée des médecins d'étendre leur sphère
d'influence à des domaines de plus en plus vastes de la vie privée et
sociale. Cette approche est caricaturale et trompeuse. En effet, la
profession médicale ne forme pas un corps homogène à l'idéologie unique et
les attentes des usagers pour une plus grande médicalisation de leurs
problèmes ne rencontrent souvent qu'une petite minorité d'innovateurs,
marginaux auprès de leurs confrères. En fait, le « pouvoir médical » se
manifeste surtout de deux façons : tout d'abord comme capacité de
résistance - très inégalement partagée - aux projets qui menacent les
intérêts et les valeurs - variables - des médecins ; ensuite, de façon
plus diffuse, à travers un formatage cognitif des problèmes de santé
perçus essentiellement comme des dysfonctionnements individuels appelant
une réponse en terme d'accès aux soins. Cette vision plus pragmatique et
différentialiste du « pouvoir médical » permet de mieux comprendre la
structure de notre système de santé et les effets des politiques actuelles
de maîtrises des dépenses de santé. 1-1 L'élaboration des politiques sanitaires autour de l'accès aux soins 1-1-1- Aux origines du système actuel Dès les premières lois permettant un accès socialisé à la médecine de
ville, les syndicats médicaux se sont montrés soucieux de défendre les
intérêts financiers et l'indépendance du médecin face aux organismes
payeurs. Si les différentes formes de protection sociale apportent une
clientèle solvable nouvelle à la profession médicale, elles portent en
elles le risque de contre-pouvoir et de contrôle sur les tarifs et donc
les revenus des médecins. Le premier syndicat national de médecins,
l'Union des Syndicats Médicaux Français (USMF), fondé en 1884, apparaît
divisé sur cette question. Si certains de ses dirigeants, représentants
des médecins des villes moyennes de province, désireux de pouvoir mieux
gagner leur vie tout en étendant la médecine à tous, sont plutôt
favorables aux assurances sociales et au système de tiers payant avec des
tarifs opposables, d'autres refusent d'avoir à soigner des malades à des
tarifs assez nettement inférieurs à ceux qu'ils pratiquent avec leurs
patients aisés. Lors de la discussion de la loi de 1893 sur l'aide
médicale gratuite (AMG), l'USMF réclame le droit pour les médecins de
refuser les malades indigents. La loi de 1898 sur les accidents du travail
permet aux ouvriers blessés de recevoir une consultation, payée au tarif
de l'AMG, pour établir un certificat. Si les syndicats médicaux se battent
pour « obtenir » ces malades et imposer le principe du libre choix (alors
que les blessés étaient souvent orientés vers le médecin de l'usine), ils
revendiquent également des tarifs plus élevés qui seront obtenus en 1905.
Mais dans le même temps, un nombre croissant de médecins se plaint d'avoir
à soigner cette nouvelle clientèle moins rémunératrice et appartenant à
des milieux sociaux différents de ceux que fréquentent habituellement les
médecins aisés.
Toutefois, c'est avec la prise en charge des blessés et invalides de la
première guerre mondiale que les véritables conflits éclatent. Les lois de
1919 sur les pensions de guerre et sur les maladies professionnelles
imposent le système du tiers-payant (le médecin n'est remboursé qu'après-
coup) avec, à partir de 1920, un tarif fixe et une limitation du libre
choix du médecin par le patient. Devant le mécontentement suscité par ces
mesures, les tenants de la médecine libérale - exerçant plutôt dans les
grandes villes - prennent, au sein de l'USMF, l'avantage sur les partisans
de l'hygiénisme - plutôt représentés par les médecins des campagnes,
notamment du sud de la France. C'est dans ce contexte qu'est déposé en
1921 le premier projet de loi sur les assurances sociales. Une majorité
des adhérents de l'USMF se montre favorable à l'idée d'une socialisation
des dépenses de santé à condition que soient respectés le libre choix et
le paiement à l'acte avec des tarifs qui seraient négociés entre les
syndicats et les caisses. Mais une forte minorité s'exprime contre toute
forme de contrôle collectif et quitte l'USMF pour fonder, en 1925, la
Fédération nationale des médecins de France (FNMF).
En 1927, la FNMF parvient à faire voter les fameux sept principes de la
médecine libérale et fusionne avec l'USMF pour fonder la Confédération de
syndicats de médecins de France (CSMF). Le tout nouveau syndicat s'oppose
alors avec vigueur à la loi de 1928 sur l'assurance maladie qui prévoit la
négociation de tarifs dans le cadre de contrats locaux et la possibilité
du tiers-payant. Une nouvelle loi doit être votée en 1930 qui laisse de
côté cette fois la question de la fixation des honoraires et du tiers-
payant. Ce coup de force des tenants de la médecine libérale fige pour
longtemps la position des syndicats de médecins face à la protection
sociale et la nécessaire régulation des coûts qu'elle implique. Encore
aujourd'hui, les principes de la médecine libérale de 1927 pèsent sur les
revendications et les débats. 1-1-2- la médecine libérale, une notion spécifiquement française Les sept principes de la médecine libérale promulgués en 1927 doivent
pourtant beaucoup aux enjeux spécifiques de la confrontation entre l'Etat
et les syndicats médicaux à l'époque. Présentés comme traditionnels et
universels, ils ne constituent qu'une tendance parmi d'autres, celle qui
s'impose à ce moment en France mais n'a pas d'équivalent exact chez nos
voisins.
Le premier principe est celui du libre choix du médecin par le malade.
Contre les pratiques des caisses patronales qui préfèrent le plus souvent
passer un accord avec un médecin, les syndicats médicaux avaient imposé en
1905 ce principe qui commençait à se répandre. D'autres pays, comme la
Grande Bretagne ne l'appliquent pas. Le deuxième principe est celui du
respect du secret professionnel. S'il n'est contesté par personne, la
définition des ses limites peut-être problématique et il peut être invoqué
pour refuser de communiquer toute information permetta