Les modèles économiques et financiers en crise - UCL

Cet article met en lumière les défaillances de ces modèles et propose quelques
... absolument pas à l'examen de l'intermédiation financière (voir Woodford, .... Il
en va de même pour le calcul de mesures d'efficience tel que le Sharpe ratio[6].

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Regards économiques, n°78 - Mars 2010
Les modèles économiques et financiers en crise Serge Wibaut[1] La récente crise financière et économique a mis en exergue les lacunes des
modèles utilisés par les banques centrales et les institutions financières
commerciales. Cet article met en lumière les défaillances de ces modèles et
propose quelques pistes, basées sur la littérature récente, pouvant
déboucher sur une meilleure représentation du monde macro-monétaire et
financier. La crise que nous connaissons depuis deux ans maintenant a remis en cause
le rôle du monde financier et de ses acteurs : banquiers, régulateurs,
agences de notation (ou de «rating») et autres «hedge funds»[2] sont dans
la ligne de mire du grand public et des législateurs. La profession
d'économiste, qui porte cependant une lourde responsabilité intellectuelle
dans la crise, échappe toutefois jusqu'à présent à la critique. Pourtant,
rares sont les économistes qui ont mis en garde le monde contre l'explosion
de la bulle immobilière aux Etats-Unis et l'impact qu'aurait cette
explosion sur le bilan de banques hyper-endettées. Si l'on excepte quelques
personnalités telles que Roubini et Shiller, peu ont vu la crise surgir.
Face à ce silence coupable, nous devons également nous interroger sur la
capacité analytique et formelle qu'ont eue les économistes, et surtout
leurs modèles, à gérer l'avant-crise. Une des finalités majeures des modèles économiques est de simplifier la
complexité de la réalité économique. Il appartient aux économistes de ne
retenir que les relations essentielles et pertinentes de cette réalité afin
de construire un modèle reflétant au mieux les faits et les données
observables. En cela, les modèles sont devenus des outils indispensables
tant à l'analyse des phénomènes économiques qu'à la prise de décision. Les
capacités des modèles à aider les gestionnaires économiques sont souvent
très élevées, mais parfois ces capacités font oublier leurs limites. Celles-
ci apparaissent cependant de manière criante dans les périodes de crise
lorsque des mouvements brutaux bousculent les relations économiques
«normales». La crise des «subprimes»[3] doit nous forcer à porter un regard critique
sur les modèles macroéconomiques utilisés par les banques centrales et sur
les modèles de gestion des risques financiers développés par les banques
commerciales et leurs régulateurs. Force est de reconnaître que tous deux
ont faillis à leur mission de prévision et de compréhension de la réalité.
Ce numéro de Regards économiques examine les problèmes posés par ces deux
types de modèles dans leur état actuel et fournit quelques pistes de
réflexion pour des développements futurs. Il ne s'agit pas ici de décrier
l'utilisation des modèles, mais bien de déceler là où ces outils de prise
de décision ont été défaillants et surtout de trouver des solutions aux
lacunes constatées. 1. Les modèles macroéconomiques Les banques centrales de par le monde sont fort dépendantes pour leur prise
de décision de modèles macroéconomiques et ce depuis de nombreuses années.
Nous ne rentrerons pas ici dans le détail de ces modèles, mais une chose
apparaît très clairement après l'éclatement de la bulle des prêts
subprimes : ces modèles sont lacunaires et ne fournissent qu'une
représentation très imparfaite du monde financier et de son mode de
fonctionnement. La plupart de ces modèles - qui sont aussi, ne l'oublions
pas, le reflet de la pensée de leurs créateurs - prennent en effet pour
acquis la complétude des marchés (à savoir, qu'il existe un prix pour tout
actif à tout moment du temps), négligent le rôle des intermédiaires
financiers (et donc ignorent leur structure financière) et méconnaissent
grossièrement les crises de liquidité. La récente crise financière a malheureusement mis en exergue les hypothèses
simplificatrices de ces modèles. Les transactions, tant au comptant qu'à
terme, se réduisirent comme peau de chagrin et mirent à mal l'hypothèse des
marchés complets. Le gel des transactions entraîna une crise de liquidité
(qui en fait fut une augmentation soudaine et brutale de la préférence pour
la liquidité) qui ne fut jamais prise en compte dans les modèles des
banques centrales. De même, l'ignorance dans les modèles macroéconomiques
du rôle, si pas de l'existence des intermédiaires financiers, a occulté aux
yeux des régulateurs le risque encouru par un secteur bancaire et para-
bancaire («shadow banking sector») surendetté. Il y avait là comme un air
de confiance candide dans l'efficience des marchés et des intermédiaires
financiers. On peut de même affirmer que la recherche académique reste fort
muette sur le rôle du crédit et de l'état du bilan des intermédiaires
financiers (ou des ménages) sur la politique macroéconomique. Par exemple,
le modèle standard d'équilibre général dynamique, utilisé par les banques
centrales, ne considère qu'un agent représentatif et ne se prête absolument
pas à l'examen de l'intermédiation financière (voir Woodford, 2003, ou
Christiano et al., 2005). Si des recherches récentes (voir par exemple Curdia et Woodford, 2009)
tentent d'incorporer dans des modèles monétaires des agents hétérogènes et
différents taux d'intérêts, il n'en demeure pas moins qu'il subsiste encore
beaucoup de travail à accomplir avant d'obtenir un modèle crédible de
macroéconomie monétaire tenant compte des contraintes institutionnelles. On
notera cependant quelques frémissements encourageant dans l'incorporation
du secteur bancaire, et de ses contraintes en capital, dans le mécanisme de
la transmission de la politique monétaire (voir Meh et Moran, 2008,
Goodfriend et McCallum, 2007, ou encore Canzoneri et al., 2008). Derrière ces lacunes de modèle se cache naturellement la question cruciale
du rôle des banques centrales dans la prévention des bulles spéculatives
sur les marchés financiers ou immobiliers. Si les modèles - correctement
conçus et calibrés - doivent aider à déceler l'émergence des bulles, il
reste à déterminer quels seront le rôle et la capacité d'action laissés aux
banquiers centraux dans leur dégonflement. Il semble évident que la
politique du «Greenspan's put» (à savoir que la Banque centrale des Etats-
Unis résoudra toujours le problème en baissant les taux) ne peut plus être
la seule alternative et qu'il faudra peut-être se résoudre à l'avenir à des
interventions préventives plus déterministes et activistes de la part des
banques centrales. Le récent séisme observé sur les marchés financiers doit déboucher sur une
profonde mise en question des modes de pensée des macro-économistes et des
modèles économétriques utilisés par les régulateurs des marchés. Si cette
crise a sérieusement mis en cause la crédibilité des économistes, elle
pourrait aussi être à l'origine de nouvelles avancées et de créativité dans
leur champ d'investigation. 2. Les modèles de gestion des risques financiers Plus encore que les modèles macroéconomiques, les systèmes de gestion des
risques financiers utilisés par les acteurs financiers doivent sérieusement
être remis en cause. Les paradigmes dominant la toute grande majorité de
ces modèles sont l'efficience des marchés et la normalité des rendements
des actifs financiers. Alors que les preuves abondent depuis des années que
ces deux hypothèses sont fausses et simplificatrices, elles continuent à
sous-tendre les raisonnements et les modèles financiers (souvent il faut
bien le reconnaître par absence d'alternatives crédibles ou simples). L'hypothèse de normalité est présente dans la littérature financière depuis
les années 50 et se retrouvent dans des applications aussi diverses et
populaires que celles du portefeuille moderne de Markowitz (qui sert à
déterminer un portefeuille de risque minimal pour un niveau de rendement
donné), du Capital Asset Pricing Model (qui livre le prix d'équilibre d'un
actif financier sur base du risque qu'il court), du modèle de Black-Scholes-
Merton du calcul du prix des options (une option est un actif financier
donnant le droit d'acheter ou de vendre dans le futur un autre actif à un
prix fixé) ou encore des modèles de Value at Risk (cette mesure est
couramment utilisée dans les salles de marché des banques afin de mesurer
la perte pouvant être encourue avec un niveau de probabilité prédéfini
)[4]. Cette hypothèse trouve sa popularité essentiellement dans la facilité
du traitement analytique et de l'économie de paramètres engendrée par la
loi normale (à savoir que deux paramètres, moyenne et variance, suffisent à
caractériser toute la distribution des rendements). Si des centaines, si pas des milliers, d'articles académiques ont été
consacrés à la vérification empirique de cette hypothèse, le simple bon
sens et l'observation devraient nous convaincre que la loi normale ne
prévaut pas à tout moment et en tout lieu sur les marchés financiers. Par
exemple, si les rendements boursiers étaient véritablement distribués
suivant une loi normale les krachs de 2000 et de 2008 n'auraient chacun pas
pu se produire au cours de l'entièreté de la durée d'existence de
l'univers. De même, et par exemple, si on s'arrête aux cas des banques et
des assurances, il apparaît que le bilan de ces entreprises est truffé
d'options- et donc de profils de risque asymétrique - en tout genre et donc
ne peut pas générer des rendements symétriques, se mettant ainsi en porte-à-
faux avec l'hypothèse de normalité. Le même constat vaut évidemment pour
les