Examen du matériel destiné aux enfants dans le programme de ...

Loin du modèle exposé dans le premier chapitre de cette histoire, le processus
de ..... Sharp, Ann Margaret, Laurence Splitter, Teaching for Better Thinking : the
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Actes du colloque Autour de l'adulte de demain : développer l'enfant
philosophe et critique par la littérature jeunesse dans la société du
savoir
2-3 avril 2012
BAnQ - UQAM
La philosophie pour les enfants : finalités, pédagogie et outils
littéraires : examen du matériel destiné aux enfants dans le programme de
Philosophie pour les enfants de Matthew Lipman
Michel Sasseville
Professeur, Faculté de philosophie, Université Laval Notice biographique
Michel Sasseville est professeur à la Faculté de philosophie de
l'Université Laval (Québec) et responsable des programmes de formation en
philosophie pour les enfants dans cette université. Auteur de plusieurs
livres en philosophie pour les enfants, il a prononcé de nombreuses
conférences sur ce sujet. Conseiller ou membre de différentes associations
ou regroupements en philosophie pour enfants, tant au Québec qu'en Europe
(Belgique, France, Suisse), il travaille au développement de cette pratique
depuis près de 30 ans. Il a reçu des prix d'excellence pour son travail de
formation, dont l'un du ministère de l'Éducation, du Loisir et du Sport du
Québec pour son cours en ligne « L'observation en philosophie pour les
enfants » (meilleur cours en ligne en 2007). Résumé
Le programme de philosophie pour les enfants de Matthew Lipman s'appuie sur
des histoires philosophiques écrites pour les enfants. Remplissant
plusieurs fonctions dans ce programme, elles ont notamment pour but de
motiver les enfants à s'engager dans des pratiques de la philosophie; elles
fournissent des modèles de ces activités en montrant différentes pratiques
de la philosophie; elles permettent d'inviter les enfants à examiner leur
expérience quotidienne en centrant l'attention sur ses dimensions
intrigantes et problématiques; elles visent à initier les enfants à la
culture philosophique de manière non dogmatique; prenant la forme d'une
recherche dialogique, elles donnent à l'enfant-lecteur la possibilité de ne
pas avoir à lutter avec les prétentions de vérité d'un auteur; combinées à
des pratiques de la philosophie en classe, elles pourraient contribuer à
une unification du curriculum scolaire.
En s'appuyant sur un matériel philosophique - histoires écrites pour les
enfants et guides d'accompagnement destinés aux enseignants - et un cadre
pédagogique permettant la mise en route de pratiques philosophiques - la
communauté de recherche -, le programme de philosophie pour les enfants
créé par Matthew Lipman à la fin des années 1960 vise la formation d'une
pensée de qualité supérieure, en mettant l'accent sur le développement
d'une pensée multidimensionnelle, fruit de la rencontre de la pensée
critique, créative et attentive[1]. Lors de ma communication au mois
d'avril 2012, j'ai d'abord pris soin de présenter les finalités et la
pédagogie du programme de Lipman. Puis, j'ai examiné quelques fonctions du
matériel philosophique destiné aux enfants. Dans les pages qui suivent, je
souhaite m'en tenir principalement à la seconde partie de mon exposé, soit
l'examen de certaines fonctions du matériel s'adressant aux enfants[2]. La discipline à l'étude dans le programme de Matthew Lipman - la
philosophie - se présente sous la forme d'une histoire[3]. L'une des
raisons, peut-être la première, qui poussa M. Lipman à introduire la
philosophie aux enfants par le biais d'une histoire tient au fait que la
plupart des enfants aiment les histoires[4]. Si on souhaite que ces
derniers s'engagent avec ardeur dans la pratique d'une activité qui exige
des efforts - un travail -, il importe qu'ils soient motivés. Or, si une
matière scolaire est présentée sous la forme littéraire d'une histoire,
elle a plus de chance de nourrir cette motivation que le traditionnel
manuel expositif.[5] Mais encore faut-il, estime Lipman, que cette histoire
soit en rapport avec l'expérience quotidienne des enfants-lecteurs. C'est
pourquoi toutes les histoires écrites par ce philosophe montrent des
personnages qui vivent des expériences en lien étroit avec celles des
enfants de la classe. Loin de représenter des héros qui seraient impliqués
dans des situations impossibles à vivre par l'enfant-lecteur, les
personnages des histoires de Lipman sont des enfants ordinaires qui vivent
des expériences relativement banales de la vie au quotidien. On les voit
discuter dans la classe au sujet de ce qui est important ou non d'apprendre
à l'école ; délibérer lors d'une joute de baseball en s'interrogeant sur la
justice entourant un geste posé lors de la partie ; se diriger vers un zoo
et s'adonner en cours de route à l'invention d'histoires
invraisemblables... Une liste détaillée de toutes les situations imaginées
par Lipman montrerait que, sauf exception, nous sommes toujours en présence
d'expériences bien ordinaires que les enfants de la classe ont déjà vécues
ou pourraient vivre éventuellement[6]. Une seconde raison, de nature didactique cette fois, qui incita Lipman à
écrire des histoires pour les enfants tient à la nécessité de devoir leur
présenter, au début du processus visant la mise en route de pratiques
philosophiques en communauté de recherche, des modèles de ce qui les attend
par la suite. Car, on ne peut présumer que les enfants sont capables de
faire de la philosophie par eux-mêmes dans ce contexte. Si les activités
impliquées dans l'acte de philosopher[7] en communauté de recherche se
résumaient à (se) poser de grandes questions (Qu'est-ce que la justice?
Qu'est-ce que l'amitié? Comment déterminer ce qu'il est bon de faire?
Qu'est-ce que le bonheur? Etc.), on pourrait peut-être penser que les
enfants sont en mesure de s'engager par eux-mêmes dans ces activités sans
devoir recourir à des supports exemplaires leur permettant de voir ce qu'il
convient de faire. Mais, les activités impliquées dans l'acte de
philosopher en communauté de recherche vont bien au-delà de cette habileté
(nécessaire, certes, mais non suffisante) qui consiste à (se) poser des
questions, fussent-elles existentielles. Elles exigent, en fait,
l'orchestration de nombreuses habiletés cognitives (formuler des
hypothèses, exemplifier, envisager l'envers d'une position, formuler des
arguments, évaluer les raisons, définir les termes employés, examiner les
outils d'enquête, identifier des conséquences, dégager des présupposés,
s'engager dans une pratique auto-correctrice faisant appel au dialogue,
etc.) et de dispositions (écoute, entraide, collaboration, esprit critique,
souci d'être en recherche, etc.) qui ne sont pas nécessairement développées
chez les enfants[8]. Du coup, ces derniers ont besoin d'avoir des exemples
portant sur les manières dont on peut procéder lorsqu'il s'agit de
pratiquer la philosophie en communauté de recherche. Les histoires du
programme de philosophie pour les enfants servent alors de modèles pour les
enfants de la classe en leur présentant des personnages engagés dans une
recherche philosophique qui accorde une importance considérable au
dialogue. Certes, l'adulte qui anime une communauté de recherche
philosophique avec les enfants peut donner l'exemple en formulant à
l'occasion une question ou une hypothèse, en montrant qu'il est intéressé
par les questions, qu'il aime la recherche, qu'il prend le temps d'évaluer
les raisons avancées par tous et chacun, etc. En d'autres termes, il peut
exemplifier des habiletés et des dispositions associées à des pratiques
philosophiques en communauté de recherche. Mais, il ne peut, à lui seul,
exemplifier un groupe de recherche en train de s'exercer à des pratiques
philosophiques. Les histoires de Lipman remplissent ce mandat didactique. Qui plus est, bien que Lipman n'ait eu de cesse d'affirmer que la
communauté de recherche devait être le contexte pédagogique à utiliser si
on souhaite pratiquer la philosophie avec les enfants (à ses yeux, la
pratique auto-correctrice qu'est la recherche en commun devrait être le
creuset intégrateur d'une éducation visant la formation d'une pensée de
qualité supérieure), il n'a jamais endossé l'idée qu'une seule façon de
pratiquer la philosophie devait servir de modèle aux enfants de la classe.
Ainsi, si le premier chapitre de sa première histoire - Harry
Stottlemeier's Discovery - trouve son inspiration dans les travaux de John
Dewey[9] et propose au lecteur un modèle de recherche comportant des étapes
analogues à celles qui existent dans la démarche scientifique visant la
découverte (ou l'invention) d'une solution à un problème[10], Lipman n'a
jamais soutenu, du moins à ma connaissance, que cette façon de s'engager
dans la recherche philosophique - et les différentes étapes qu'elle
comporte - était la seule qui puisse être rigoureusement acceptée lorsqu'il
s'agit d'exemplifier des pratiques philosophiques. En effet, si on examine
attentivement l'ensemble des histoires faisant partie de son programme, on
constatera que la pratique de la philosophie, bien que s'inscrivant
fréquemment dans une démarche de recherche visant à trouver une, voire
plusieurs solutions à un problème, ne s'en tient pas à un seul modèle. À
titre d'exemple, le chapitre 6 de Harry Stottlemeier's Discovery exemplifie
une pratique de la philosophie prenant la forme d'un examen attentif des
différentes significations qu'un terme aura selon les contextes
d'utilisation (la question centrale de ce chapitre porte sur la nature de
l'esprit). Bien que les personnages commencent leurs investigations par la
formulation d'une question (Qu'est-ce que l'esprit et comment savons-nous
que nous en avons un?) et qu'ils formulent alors une série d'hypothèses
(l'esprit est le cerveau, l'esprit est un langage, l'esprit est un acte,
etc.), ils ne tentent pas systématiquement d'éprouver chacune de ces
hypothèses en suivant le pas à pas des étapes de la démarche de recherche
exposées dans le premier chapitre. On les voit plutôt s'attarder à examiner
les circonstances dans lesquelles nous utilisons le mot «esprit». Cette
procédure conduira peu à peu les personnages à comprendre que ce mot
possède plusieurs significations