RACINE - Esther - Comptoir Littéraire
puis successivement l'examen de : ..... notamment par les jésuites, capables d'«
exécrables calomnies», et d'«effroyables impostures», ..... pour l'acte III : «Le
théâtre représente les jardins d'Esther et un des côtés du salon où se fait le festin
».
Part of the document
www.comptoirlitteraire.com André Durand présente ''Esther
Tragédie tirée de l'Écriture sainte''
(1689) Tragédie en trois actes en vers et avec ch?urs
de Jean RACINE
pour laquelle on trouve un résumé
puis successivement l'examen de :
la raison de la composition (page 2)
le sujet (page 3)
l'intérêt de l'action (page 6) l'intérêt littéraire (page 9)
l'intérêt psychologique (page 10)
l'intérêt philosophique (page 13)
la destinée de l'?uvre (page 14) Bonne lecture !
RÉSUMÉ Acte I Après un «prologue» qui célèbre la gloire de Louis XIV et de Madame de
Maintenon, nous sommes à Suse, en Perse, dans le palais du roi Assuérus, où
Esther raconte à sa confidente, Élise, que celui-ci avait répudié son
épouse, Vasthi ; puis que, parmi toutes les jeunes filles qu'on lui
présenta, l'avait choisie elle, séduit par sa beauté, sans savoir qu'elle
est juive ; qu'elle était devenue reine, et l'avait sauvé en dévoilant un
complot, avec l'aide de Mardochée, son oncle et père adoptif. Or celui-ci,
parvenu jusqu'à elle en secret, vient justement lui annoncer que le roi,
conseillé par Aman, son ministre, va faire connaître un décret visant à
mettre à mort, quelques jours plus tard, tous les Juifs du royaume perse.
Un ch?ur, formé de jeunes filles juives qu'Esther garde cachées dans son
palais, et qui sont dirigées par Élise, chante une lamentation qui s'achève
en une prière d'abord tendre, puis pressante et enflammée. Acte II Aman raconte que les Juifs ont toujours persécuté le peuple amalécite, dont
il fait partie. Toutefois, ce n'est pas cette raison qui le pousse à
éliminer le peuple juif, mais le manque de respect de Mardochée, qui, tous
les jours, à l'entrée du palais, seul parmi les sujets, refuse de le
saluer, de lui rendre un hommage servile. Or Assuérus, au cours d'une nuit
sans sommeil, se fait lire les annales de son royaume, et se rappelle ainsi
que Mardochée I'avait averti d'une conjuration qui le menaçait. Ne l'ayant
pas encore récompensé pour cela, il décide de le faire maintenant. Il
demande à Aman ce que pourrait être la plus haute récompense qu'un roi
puisse octroyer à un loyal sujet ; I'ambitieux ministre, se croyant visé,
conseille à Assuérus de le promener dans la ville, recouvert de pourpre,
ceint d'un diadème, chevauchant un coursier royal ; Assuérus ordonne alors
qu'on accorde cet honneur à Mardochée. Esther, qui cherche à sauver son
peuple, demande à Assuérus de venir dîner chez elle avec Aman.
Le ch?ur traduit son inquiétude en même temps que sa foi inébranlable. Acte III Aman est furieux d'avoir dû mener Mardochée en triomphe. Il prend toutefois
son invitation chez Esther comme une marque de faveur. Mais, au cours du
banquet, elle révèle à Assuérus qu'elle est juive, exalte la gloire du vrai
Dieu, narre I'Histoire du peuple juif, ses fautes et ses malheurs, affirme
qu'il ne complote pas contre lui, et a placé en sa personne un espoir qui
vient d'être déçu à cause des calomnies d'Aman qui veut l'exterminer pour
des raisons personnelles. Aman implore Esther, mais le roi décide de
I'envoyer à la potence qu'il avait fait préparer pour Mardochée, et offre à
ce dernier la place de premier ministre. Les Juifs recouvrent leur entière
liberté, et, victorieux, font périr Aman sous leurs coups.
Le ch?ur chante la gloire du vrai Dieu, le triomphe de Dieu et de son
peuple, et la félicité du juste opposée au faux bonheur du méchant. Analyse La raison de la composition La marquise de Maintenon, que Louis XIV avait épousée secrètement en 1693,
était pieuse, comme le devint le roi lui-même à partir de cette date. Comme
eIle avait une vocation d'éducatrice, et qu'elle se souvenait de sa
jeunesse difficile d'orpheline démunie, le 2 août 1686, elle ouvrit, au
domaine de Saint-Cyr, contigu à l'extrémité occidentale du parc du château
de Versailles, la Maison royale de Saint Louis, une fondation pour deux
cent cinquante jeunes filles de Ia noblesse pauvre, qui devaient y être
éduquées entre leur huitième et leur vingtième année. Il s'agissait, comme
Ie dit Racine dans sa préface, de les «élever dans Ia piété», mais aussi de
leur apprendre tout ce qui peut «contribuer à les rendre capables de servir
Dieu dans les différents états où il lui plaira de les appeler», tout ce
qui peut aider «à leur polir I'esprit et à leur former Ie jugement», à
parler agréablement, à chanter aux offices et ailleurs, à développer leur
mémoire, à se comporter avec élégance dans la vie mondaine. D'où
l'importance de divers exercices qui «les instruisent en les
divertissant» : «conversations ingénieuses», exposés improvisés,
récitations, déclamations, chants.
Racine affecta modestement de ne pas nommer, parmi ces divertissements
éducatifs, les plus intéressants, c'est-à-dire les représentations
théâtrales, qui avaient été introduites au XVIe siècle dans la formation
des jeunes garçons pour les préparer à une vie sociale où les élites
vivaient en perpétuelle représentation, et où conversations, harangues et
cérémonies avaient bien plus d'importance qu'aujourd'hui. Il y en avait
jusqu'à trois ou quatre par an, ouvertes au public, sur des sujets
religieux ou édifiants.
Mais l'introduction du théâtre dans un établissement de jeunes filles était
une nouveauté. À Saint-Cyr, on commença par jouer des pièces pieuses
écrites par la directrice, Mme de Brinon. Selon Mme de Caylus, nièce de Mme
de Maintenon, elles étaient «détestables». On joua donc des pièces
d'écrivains reconnus. Mais ''Andromaque'' se révéla bien trop favorable aux
passions ; même ''Marianne'' de Tristan, et ''Polyeucte'' de Corneille
mêlaient l'amour profane à Ia piété, et, de plus, étaient trop difficiles.
En conséquence, Mme de Maintenon fit appel à Racine : il était très
apprécié du couple royal, d'une piété exemplaire, et, comme le dit
I'intendant de Saint-Cyr, c'était «le premier homme de ce siècle pour la
poésie». Le sujet Racine, voulant accomplir un acte de piété, choisit un thème biblique,
celui qui se trouve dans le ''Livre d'Esther'' où dix chapitres racontent
l'histoire de celle dont le nom hébreu est Hadassa (de «hadassah», myrte),
qui, au Ve siècle avant Jésus-Christ, se trouvait à Babylone où des Juifs
étaient en captivité après que Nabuchodonosor II, roi de Babylone, ait pris
Jérusalem en 597 avant J.-C. ; que, pour mater la résistance, il ait
détruit la ville en -587 ; qu'il ait, I'année suivante, ramené les
habitants avec lui pour les garder en captivité. En -539, I'empereur perse
Cyrus II s'empara de Babylone, et permit le retour progressif des Juifs
dans leur pays (vers 1062-1073). Mais son successeur, Cambyse, réduisit
cette possibilité (vers 1074-1077), et il y avait encore beaucoup de Juifs
dans I'empire perse, et notamment à Suse, sa capitale, sous Darius et sous
Xerxès Ier, dont le nom, transcrit en hébreux et latinisé, était Assuérus.
Esther était une belle Juive que, sans connaître son origine, il choisit
comme épouse. À la suite d'un conflit entre son cousin et père adoptif,
Mardochée, et le premier ministre, Aman, ce dernier obtint du roi l'ordre
d'exterminer les Juifs de son royaume. Mais la jeune reine parvint à
démontrer la vilenie d'Aman, et ce furent au contraire les Juifs qui
exercèrent leur vengeance : Assuérus leur permit de «tuer leurs ennemis,
avec leurs femmes, leurs enfants et toutes leurs maisons», et ils
massacrèrent soixante-quinze mille personnes, tandis qu'Aman fut pendu. Ce
retournement de situation est d'ailleurs commémoré depuis par les
réjouissances de la fête des Sorts (Pourim).
Dans sa version originale, cette histoire édifiante est purement profane
(Dieu n'y apparaît pas, n'est jamais nommé), est surtout un récit
nationaliste teinté de xénophobie, certains voulant d'ailleurs y voir une
première dénonciation de l'antisémitisme, Aman disant au roi : «Il y a dans
toutes les provinces de ton royaume un peuple dispersé et à part parmi tous
les peuples, ayant des lois différentes de celles de tous les peuples, et
n'observant point les lois du roi. Il n'est pas dans l'intérêt du roi de le
laisser en repos. Si le roi le trouve bon, qu'on écrive l'ordre de les
faire périr.» (II, 7, 8). Mais, dans le texte grec de la Bible, elle reçut
des ajouts (rêve de Mardochée, qui était «un homme puissant et des premiers
de la cour du roi» (XI, 3) ; évanouissement d'Esther quand elle entre chez
le roi ; prières au Seigneur de Mardochée et d'Esther ; décret et contre-
décret concernant les Juifs ; interprétation du rêve de Mardochée) qui
témoignent d'une relecture théologique, donnent une dimension religieuse
bien plus importante, indiquent que les ennemis du peuple de Dieu sont
puissants, et cherchent à le détruire, mais qu'il faut leur faire face sans
les craindre : Dieu sauvera son peuple, au besoin par l'intermédiaire de
l'innocente faiblesse ; il lui permettra même de massacrer ses enne