Une approche par compétences en philosophie

27 mai 2003 ... Être compétent en dissertation philosophique implique par exemple le plus
souvent ..... Pour les devoirs sur table ou à l'examen, il faudra évidemment .....
pensée à développer (Tozzi 2001, 2002-1, 2002-2, 2003, 2004, 2007).

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Une approche par compétences en philosophie ?
Unesco - 11 Novembre 2010
Michel Tozzi
professeur de philosophie dans un lycée technique pendant 26 ans,
professeur émérite des Universités en sciences de l'éducation à Montpellier
3, didacticien de la philosophie, expert de l'Unesco pour la philosophie à
l'école primaire. I) Introduction
La définition des programmes « par compétences », l'orientation de
travailler à développer des compétences est, au niveau mondial, une
tendance actuelle significative de l'évolution des systèmes éducatifs, qui
institutionnalisent progressivement cette approche. Avec des conséquences
profondes sur l'écriture des programmes, la façon d'évaluer des
enseignants, la manière de faire travailler les élèves...
Le Parlement européen et le Conseil de l'Union européenne par exemple ont
publié des recommandations sur les huit compétences clés pour l'éducation
et la formation tout au long de la vie, et décrit « les connaissances,
aptitudes et attitudes essentielles qui sont attachées à chacune d'elles »
(J.O. du 30/12/2006). La Belgique francophone a publié un décret-mission le
24/7/1997 sur les compétences, cadre réglementaire d'élaboration de tous
les programmes. La compétence y est définie comme « une aptitude à mettre
en ?uvre un ensemble organisé de savoirs, de savoir-faire et d'attitudes
permettant d'accomplir un certain nombre de tâches ». Le Québec, le canton
de Genève sont connus pour leurs avancées institutionnelles sur cette
question, qui ne va pas de soi lorsqu'on passe à la pratique. De son côté,
le socle commun français implique d'« être capable de mobiliser ses acquis
dans des tâches et des situations complexes, à l'école puis dans la vie »
(Décret du 11 juillet 2006). Les élèves disposent désormais d'un livret de
compétences à faire valider à l'issue du collège.
La philosophie comme discipline scolaire est confrontée à cette évolution :
on trouve en effet dans le programme actuel des séries générales français
(arrêté du 27-05-03) une référence explicite à des compétences à
développer : « Il convient d'indiquer clairement à la fois les thèmes sur
lesquels porte l'enseignement et les compétences que les élèves doivent
acquérir pour maîtriser et exploiter ce qu'ils ont appris... ». « C'est
dans leur étude que seront acquises et développées les compétences définies
au titre III ci-dessous ». On y parle d' « apprentissage de la réflexion
philosophique », d' « aptitude à l'analyse », de « l'aptitude de l'élève à
utiliser les concepts élaborés et les réflexions développées ainsi qu'à
transposer dans un travail philosophique personnel et vivant les
connaissances acquises par l'étude des notions et des ?uvres » On
souligne « les capacités à mobiliser »... Vocabulaire, avec son implication
théorique sous-jacente assez nouveau dans l'histoire des programmes de
philosophie.
La philosophie est donc interpellée, d'une part, en tant que matière
scolaire - comme les autres - par les nouvelles normes ambiantes de la
compétence, d'autre part en tant que démarche réflexive critique sur les
évolutions sociétales et scolaires, pour réfléchir sur ce nouveau paradigme
(notamment en philosophie de l'éducation) : l'approche par compétences en
philosophie est-elle légitime, ou à proscrire ? Peut-elle nourrir la
réflexion didactique de la discipline ? A-t-elle des aspects bénéfiques,
tant pour les élèves que pour le maître, dans une perspective
d'apprentissage du philosopher ? Et si elle apparaissait souhaitable,
quelles sont les dérives possibles, et comment les éviter ? II) La démarche théorique et pratique de l'approche par compétences
A) La question de la définition du concept Le concept de compétence a été introduit dans les mondes professionnel et
éducatif depuis de nombreuses années (les années soixante et dix dans les
programmes de l'enseignement professionnel, les années quatre-vingt pour la
classe de seconde), et intégré dans une démarche dite d'« approche par
compétences ». Ce concept reste discuté dans la recherche, notamment en
sciences de l'éducation : définition exacte du concept et de la démarche
d'approche par compétences ; question controversée en psychologie cognitive
et dans les didactiques de la notion de compétence transversale. Il
interroge sur la pertinence de son institutionnalisation (écriture des
programmes où l'on met un verbe d'action devant un contenu) ; sur son
utilisation en classe (où on le confond souvent avec un simple objectif ou
une connaissance procédurale) etc. Il n'est pas totalement stabilisé, et
doit donc être utilisé avec prudence épistémologique et méthodologique. La
recherche actuelle se nourrit sur ce plan, en France, notamment des
recherches en psychologie cognitive et en ergonomie du travail non
anglophone. D'un point de vue philosophique, le concept a été confronté par
certains à celui d'hexis (disposition acquise et durable par une praxis
renouvelée) d'Aristote (Ethique à Nicomaque, livre II, chap. 4), mais celui-
ci donnait une dimension éthique à cette sorte de seconde nature ; par
d'autres à celui d'habitus de Bourdieu, mais celui-ci, distinct de celui
d'habitude, est plutôt inconscient...
Parmi les définitions qui circulent, voici quelques exemples francophones
de chercheurs reconnus dans le champ éducatif. Une compétence, c'est :
- « la capacité d'associer une classe de problèmes précisément identifiée
avec un programme de traitement déterminé » (Philippe Meirieu, 1989).
- « Une capacité d'action efficace face à une famille de situations, qu'on
arrive à maîtriser parce qu'on dispose à la fois des connaissances
nécessaires et de la capacité de les mobiliser à bon escient, en temps
opportun, pour identifier et résoudre de vrais problèmes » (Philippe
Perrenoud, de l'Université de Genève, 1997). Il précise aussi qu'il
« s'agit de faire face à une situation complexe, de construire une réponse
adaptée sans la puiser dans un répertoire de réponses préprogrammées ».
- « Un ensemble intégré et fonctionnel de savoirs, savoir-faire, savoir
être et savoir-devenir, qui permettront, face à une catégorie de
situations, de s'adapter, de résoudre des problèmes et de réaliser des
projets » (Marc Romainville, de l'université de Namur, 1998).
- « Un savoir agir complexe prenant appui sur la mobilisation et la
combinaison efficaces d'une variété de ressources internes et externes à
l'intérieur d'une famille de situations » (Jacques Tardif, de l'Université
de Sherbrooke, conférence du 27 avril 2006 dans cette université).
- « Être compétent, c'est pouvoir mobiliser un ensemble intégré de
ressources, pour résoudre des situations problèmes » (F. M. Gérard, 2008).
Ou bien : « Quelqu'un est compétent quand, placé dans des situations qui
impliquent de résoudre un certain type de problèmes ou d'effectuer un
certain nombre de tâches complexes, il est capable de mobiliser
efficacement les ressources pertinentes pour les résoudre ou les effectuer,
en cohérence avec une certaine vision de la qualité ».
Il s'agit d'une conception dynamique de la compétence en relation avec les
démarches d'apprentissage des élèves, faisant appel à la contextualisation
des processus, à leur décontextualisation nécessaire au transfert des
acquisitions, et à leur recontextualisation dans de nouvelles situations.
Une compétence développe donc une « intelligence des situations »
(Jonnaert). Laurent Talbot précise (dans XYZEP n° 34), que « l'approche par
compétences est une approche socioconstructiviste, ce qui signifie que
l'activité de l'élève est comprise comme essentielle pour
l'apprentissage... Ce sont les élèves qui construisent leurs compétences »,
notamment en réinvestissant des savoirs. B) Les éléments de la définition
Nous retiendrons de cette approche - ce sera la définition que nous
testerons dans l'apprentissage philosophique - qu'on on est compétent quand
« on peut mobiliser de façon intégrée des ressources internes et externes
pour accomplir dans son activité un type de tâche déterminé dans une
situation complexe et nouvelle ». Cette définition reprend un certain
nombre d'éléments récurrents chez les chercheurs.
Exemple : on considère, en classe terminale, qu'un élève est compétent en
philosophie s'il sait rédiger convenablement une dissertation le jour du
bac.
Précisons :
- Une compétence n'est pas innée mais s'apprend en s'entraînant, elle
est le résultat d'une démarche d'acquisition, d'apprentissage qui
prend du temps.
- La compétence ne s'oppose pas aux connaissances, puisqu'elle suppose
la mobilisation de savoirs. Elle prend le savoir au sérieux. Être
compétent en dissertation philosophique implique par exemple le plus
souvent la connaissance d'auteurs. Mais des connaissances ne suffisent
pas à définir une compétence : je peux connaître ma table de
multiplication, ou telle règle grammaticale (savoirs déclaratifs),
sans savoir faire convenablement une multiplication ou utiliser la
règle dans une phrase (savoir-faire d'ordre procédural). Réciter la
doctrine d'un auteur sans la mettre en perspective de la question
posée ne convient pas dans une dissertation philosophique. Il faut
donc de distinguer une compétence (qui implique un « savoir vivant »)
d'un savoir décontextualisé, inerte, coupé des tâches et des
situations.
- Une compétence s'accomplit dans l'action (c'est un « savoir