Virginie Leroux: Tragique et tragédie

Tragique et tragédie : la réception de l'héritage aristotélicien dans les ... L'
intervention étudie comment la Poetica de Dubois, parue en 1520, le De poeta
de ... puis lors d'un examen des divers genres littéraires du point de vue des res
au ...

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Virginie Leroux (URCA - IUF)
Tragique et tragédie : l'héritage aristotélicien dans les poétiques néo-
latines
virginie@leroux.net
9 janvier 2010
Résumé de la communication (Virginie Leroux)
Travaux de Virginie Leroux sur le sujet :
* Anthologie des théories poétiques latines de la Renaissance, dir.
Virginie Leroux et Émilie Séris, Genève, Droz, à paraître fin 2010.
* « Tragique et tragédie : la réception de l'héritage aristotélicien dans
les poétiques néo-latines de la Renaissance », publiée dans les actes du
Colloque international Renaissances de la Tragédie. Poétique, philosophie,
esthétique, musique, Université Paris-Sorbonne (Paris IV), 17-19 septembre
2009, organisé par Florence Malhomme (Université Paris-Sorbonne), Laurent
Pernot (Université de Strasbourg), Gioia Rispoli (Università Federico II,
Naples) et Mary-Anne Zagdoun (CNRS, Paris), à paraître dans Accademia
Pontaniana.
* « L'émergence d'une quaestio : la catharsis aristotélicienne chez les
poéticiens de la Renaissance », intervention au colloque international
« Littérature et thérapeutique des passions : la catharsis en question »,
organisé par Jean-Charles Darmon (UVSQ-ENS) et le Centre de recherche sur
les relations entre littérature, philosophie et morale de l'ENS, les 4 et 5
juin 2010.
Le CV complet de Virginie Leroux est disponible à cette adresse
http://www.univ-reims.fr/rubrique-cachee/laboratoires-
labelises/crimel/chercheurs,10000,17871.html? ***
Les premières poétiques néo-latines ne traitent pas systématiquement
de la tragédie et lorsqu'elles en traitent, elles accordent au genre une
place restreinte et ne mentionnent pas la Poétique d'Aristote. Le florentin
Bartolommeo della Fonte se fonde exclusivement sur les Grammairiens et en
particulier Diomède, auquel le saint-gallois Joachim von Watt ajoute des
références à Horace et à Quintilien. Ce n'est qu'au terme d'une
redécouverte progressive que la Poétique du stagirite conquiert un rôle de
plus en plus important, du milieu du XVIe siècle jusqu'au XVIIe siècle.
Cependant, l'absence de mention d'Aristote ne signifie pas l'absence
d'influence de l'?uvre ni l'absence de convergences. L'intervention étudie
comment la Poetica de Dubois, parue en 1520, le De poeta de Minturno, paru
en 1559, et les Poetices libri septem de Scaliger, parus à titre posthume
en 1561, développent une conception aristotélicienne du tragique, définie
par les critères suivants : le critère premier concerne l'ergon tragique,
c'est-à-dire la primauté d'un agencement de l'action produisant de la
crainte et de la pitié et par là la catharsis. S'y ajoutent des « critères
adventices » qui déterminent la qualité du tragique, comme l'effet de
surprise, décrit comme proprement tragique au chapitre 18 (1456b19-23) et
suscité en particulier par les événements qui se produisent contre notre
attente et semblent se produire à dessein, qui fournissent d'après le
chapitre 9 les histoires les plus belles. Parmi ces critères figurent le
sens du renversement produit par le coup de théâtre (chapitre 13), la
qualification éthique de ceux qu'il affecte, caractérisés par leur
situation intermédiaire aux chapitres 13 et 18, et la relation entre les
personnages, l'alliance étant plus propre à susciter « l'effet tragique »
que l'hostilité ou la neutralité (chapitre 14).
Dubois, Minturno et Scaliger représentent trois modalités distinctes
d'intégration de l'héritage aristotélicien.
Dubois constitue un exemple original puisque, selon l'expression de
son éditeur moderne, Jean Lecointe, il compose « une Poétique d'Aristote
imaginaire ». Il ne cite jamais Aristote (du moins pas la Poétique), mais
il développe des problématiques aristotéliciennes par la médiation de
Cicéron. L'on regrette d'autant plus de ne pas connaître la façon dont il
interpréterait certaines notions problématiques, notamment la catharsis,
qu'à la différence de ses successeurs il privilégie le plaisir du texte à
sa fin morale.
Minturno et Scaliger, en revanche, citent ou paraphrasent la Poétique
et connaissent manifestement, même s'ils ne les citent pas, les premiers
commentaires humanistes du texte, celui de Robortello paru en 1548 et celui
de Maggi, paru en 1550, qui rassemble les explications communes de ce
dernier et de son maître Bartolomeo Lombardi. Dans le De poeta, qui
s'apparente à un dialogue cicéronien, la présentation sur la tragédie, qui
occupe le livre III, est confiée au philosophe Giovanni Ludovico Vopisco,
formé comme Minturno par le philosophe péripapéticien Agostino Nifo et
porte-parole privilégié de l'auteur du dialogue. Tenant d'Aristote et de la
supériorité du genre tragique contre Sannazar et les platoniciens, qui
attribuent la première place à l'épopée, Vopisco a ainsi pour ambition de
rapporter fidèlement les préceptes d'Aristote dans leur intégralité et se
voit reprocher par Pietro Summonte d'enfermer le genre dans des limites
trop étroites. Scaliger, en revanche, aborde la tragédie de façon
fragmentée : d'un point de vue historique dans le livre I (Historicus),
dans lequel il réintroduit notamment le contexte religieux des
représentations, évacué par Aristote, puis lors d'un examen des divers
genres littéraires du point de vue des res au chapitre III (Idea) et pour
revenir sur des questions problématiques au livre VII. En outre, s'il cite
ou paraphrase Aristote, c'est de façon beaucoup moins exclusive et sans le
sacraliser : il le conteste souvent, parfois avec la mauvaise foi dont il
est coutumier, et il privilégie Diomède et Horace dans la description du
genre tragique et de ses fins. Comme Minturno, il lit Aristote en adoptant
un filtre éthico-rhétorique qui assigne une fin morale à la tragédie ;
comme Minturno, il insiste sur les éléments de convergence avec Horace
(unité d'action, vraisemblance, grandeur du style tragique, participation
du ch?ur (ars, 193-201) ; comme Minturno, il majore par rapport à Aristote
l'importance des caractères et conteste la caractérisation trop étroite de
la qualification éthique du héros tragique par Aristote, mais il évacue la
catharsis et relègue au second plan la surprise admirative et les émotions
violentes propres à l'effet tragique, mises au premier plan par Dubois et
par Minturno.