Les milices provinciales sous Louvois et Barbezieux, 1688 ? 1697 ...

Belle conduite du régiment de du Gua, des milices du Dauphiné, au siège de la
Seo d'Urgel, en .juin 1691. -Mort de Louvois, au mois de juillet 1691 - Examen ...

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Les milices provinciales sous Louvois et Barbezieux, 1688 - 1697, par
Maurice Sautai, Paris, librairie militaire, R. Chapelot et Cie 1909 Photocopie possible à la bibliothèque du SHAT à Vincennes (ne pas confondre
avec les Archives du SHAT)
Chapitre 1er
En 1688, une coalition formidable s'annonçait contre la France. La lutte
n'avait point seulement un caractère redoutable par le nombre des princes
ligués contre Louis XIV. Les passions religieuses s'y mêlaient encore
âprement. Le champion du protestantisme, Guillaume d'Orange, se préparait à
renverser les Stuarts, c'est-à-dire le catholicisme, du trône d'Angleterre.
Dans l'homme que les catholiques devaient appeler bientôt l'usurpateur,
Louvois était convaincu que les nouveaux convertis entrevoyaient un
libérateur prochain et que, courbés sous sa main de fer, ils espéraient
bientôt, avec l'appui des flottes réunies de la Hollande et de
l'Angleterre, reconquérir leur indépendance et le libre exercice de leur
religion.
Comme cette étude le montrera, ces sentiments sacrilèges étaient le partage
d'une minorité et le Ministre se trompait sur les sentiments de la masse
des Protestants demeurés dans le royaume en les jugeant capables de
reporter contre leur patrie la haine que ses mesures de rigueur lui avaient
personnellement attirées. Louvois croyait donc devoir compter avec un
ennemi intérieur, soumis en apparence, mais sur le réveil duquel il fallait
se prémunir, comme avec les menaces d'un débarquement de nos ennemis à
l'extérieur. Il lui fallait en même temps opposer à la coalition, sur
toutes nos frontières, de puissantes armées. Ces armées constituées, la
garde de nos places de première ligne assurée, le Roi ne pouvait consacrer
au-dedans du royaume qu'une très faible partie de ses troupes réglées.
Louvois se voyait donc dans la nécessité d'accroître à bref délai nos
ressources militaires s'il voulait se réserver, à l'intérieur, une force
armée de quelque importance.
Cette augmentation de ressources aurait pu se réaliser par la création de
nouveaux régiments de troupes réglées ou par un nouvel accroissement de
l'effectif des compagnies alors sur pied, mais elle eut entraîné un
surcroît de dépenses à l'heure où le trésor royal pouvait à peine suffire
aux premières charges de la guerre et où Louis XIV était contraint
d'envoyer à la Monnaie les chef-d'?uvres d'argenterie qui décoraient ses
appartements.
Louvois eut-il voulu créer de toute pièce ces nouveaux régiments, après les
augmentations déjà opérées dans l'infanterie et dans la cavalerie, qu'il se
fût heurté à un obstacle presque insurmontable. L'enrôlement volontaire,
seul mode de recrutement de l'armée ne suffisait déjà plus pour entretenir
les régiments sur pied.
De toute part, on signalait au Ministre les exactions sans nombre des
officiers qui étaient alors chargés de recruter leurs compagnies. Sur les
routes conduisant aux marchés, il n'y avait plus de sécurité pour les
paysans. Des enfants de 15 ans, des hommes chargés de famille étaient
enlevés de force aux armées, et les intendants ne cessaient de se faire
l'écho des plaintes que suscitaient ces violences, sources de troubles et
de désolations dans les provinces du royaume.
Quand à recourir à l'arrière-ban, à imposer aux détenteurs de fiefs
l'obligation de prendre les armes à tout appel du Roi et de se porter là où
son service l'exigerait, Louvois savait par expérience combien il fallait
faire peu de fonds sur ces troupes sans discipline et sans organisation
définie, et combien il était difficile d'empêcher les gentilshommes
d'éluder sous milles prétextes, l'obligation qui leur était imposée de
marcher en personne à l'arrière-ban, ou de s'y faire remplacer.
Cet accroissement de forces militaires que la Royauté pouvait tirer avec
peine du recrutement volontaire et qu'elle ne pouvait plus attendre de la
noblesse, Louvois se résolut à le demander directement au peuple. Appuyé
sur le pouvoir des intendants, les puissants détenteurs de l'autorité
royale dans chaque province, le Ministre se crut assez fort pour instituer
une milice recrutée non plus volontairement mais obligatoirement dans les
rangs du peuple et qui, primitivement destiné à servir à l'intérieur,
devait bientôt être appelé à un rôle plus actif et plus étendu.
Cette idée de l'établissement du service obligatoire n'avait pas été sans
préoccuper les hommes d'Etat du 17e siècle. Un retour de deux siècles sur
notre histoire leur en offrait d'ailleurs un exemple frappant dans cette
admirable institution des francs archers de Charles VII qui, au dire de
Machiavel ( « Et n'y a point de doute que la puissance française était
invincible et l'institution de Charles Septième était augmentée ou bien
entretenue ». Machiavel, Du Prince, chap. 13.), eut rendu Louis XI
invincible si ce prince avait voulu la maintenir. Dans les papiers qu'il
nous a laissés, Chamlay, le conseiller toujours écouté de Louis XIV et de
Louvois a maintes fois examiné les moyens de fournir à l'infanterie ses
recrues par une voie moins dispendieuse et moins violente que l'enrôlement
confié aux officiers.
« Il y a longtemps qu'on a proposé d'obliger chaque paroisse de donner un
homme. Jamais cela n'a été si nécessaire », dit un mémoire sans date, du
début de la guerre de la Ligue d'Augsbourg, qui se trouve dans les écrits
rassemblés par Chamlay (Mémoire des abus qui se sont commis dans la levée
des recrues dans les routes et dans les étapes, cote Y, archives
historiques de la Guerre, volume 1 112).
« Si le roi se faisait informer du nombre qu'il y en a dans son royaume et
qu'à la fin des campagnes chaque capitaine d'infanterie, de cavalerie et de
dragons, demandât ce qu'il lui faut de recrues, sa majesté régalerait
également sur tout le royaume ce qui serait nécessaire pour rendre ses
troupes complètes ».
Un fragment de mémoire sans date, écrit de la main même de Chamlay, indique
que le Roi, touché des abus qui se commettent dans le recrutement, a
examiné plusieurs expédients pour y remédier. Entre les trois expédients
que sa Majesté a regardés comme « les moins impraticables », l'un d'eux
serait « de faire à l'avenir la levée des recrues réelle, c'est-à-dire,
après avoir fait un dénombrement juste des gens de chaque paroisse du
royaume capables de porter les armes, dont l'âge sera fixé depuis 17 ans
jusqu'à 30 ou 32 ans, et parmi lesquels on ne comprendra que le moins
possible de gens mariés, de faire tirer au sort, au mois d'octobre de
chaque année, celui ou ceux de chaque paroisse suivant le nombre d'hommes
que le Roi demandera qui devront servir, et qui, après s'être assemblés au
temps préfixé dans le chef-lieu de chaque élection, sénéchaussée ou
mandement, seront remis aux officiers des troupes désignés par le Roi, pour
être conduits par étape dans les lieux où seront les régiments dans
lesquels ils devront servir ».
(Cette note de Chamlay fait suite à un important mémoire sur la levée des
gens de guerre, du 1er décembre 1691, dont la copie parait faite par un
secrétaire de Chamlay. Le mémoire étudie dans tous leurs détails,
l'établissement et l'organisation d'un système de recrutement obligatoire -
A. H. G., volume 1 183).
En admettant que ce mémoire soit postérieur de quelques années à
l'ordonnance du 28 novembre 1688 sur l'institution des milices
provinciales, il n'en est pas moins vrai que la question du service
militaire obligatoire s'était posée à nombre d'esprits éclairés et qu'elle
ne pouvait échapper à celui de Louvois. L'ordonnance du 29 novembre 1688 doit être en effet regardée comme une
ordonnance de création, bien qu'elle n'inventât point de toute pièce les
milices dont on peut retrouver l'emploi à chacune de nos guerres du 17e
siècle. Récemment encore, dans la guerre de Hollande, les milices du
Languedoc avaient été mises sur pied pour servir en Catalogne, les paysans
de la Champagne avaient de même pourvu à la sécurité des bords de la Meuse.
Mais Louvois aura le mérite insigne de transformer ces milices temporaires,
accidentelles, en une institution stable et de ne rien négliger, jusqu'à sa
mort, pour leur assurer ce caractère de permanence qu'il leur avait imprimé
dès le début.
De plus, en introduisant dans leur recrutement le principe du service
obligatoire, il posera les bases d'une révolution entière des systèmes de
recrutement et d'organisation de nos armées.
C'est dans une lettre au Duc de Chaulnes, gouverneur de Bretagne, du 29
octobre 1688 que l'on rencontre pour la première fois, dans la
correspondance de Louvois, trace de ses projets sur la transformation des
milices.
« Le Roi, disait cette lettre, jugeant à propos de mettre cet hiver les
milices de Bretagne en meilleur état, qu'elles n'ont été par le passé, en
sorte que l'on en puisse tirer un bon service pour la défense de la
province pendant l'année prochaine, le roi m'a commandé de vous demander
votre avis sur ce que l'on pourrait faire de mieux.
La pensée de sa Majesté serait d'établir un nombre de compagnies
d'infanterie et de cavalerie tel que vous lui proposerez et auxquelles on
essayerait de donner des capitaines que l'on choisirait parmi la noblesse
des cantons dont seraient les compagnies, lesquels auraient servi dans les
troupes, de mettre ces compagnies en régiments dont les mestres de camp et
majors seraient choisis de même, de régler le nombre de ces compagnies de
manière que, si un diocèse pouvait fournir 1 000 hommes de milice, on n'y
en prit que 500, moyennant quoi on choisirait les meilleurs et on
obligerait ceux qui ne seraient point commandés à contribuer de quelque
chose à l'armement de ceux qui serviraient. « A l'égard de la cavalerie, l'on y devrait observer le même ordre. La
pensée du Roi serait encore que lorsque cette milice sortirait pour servir
hors de l'évêché dont elle est, sa Majesté la ferait payer sur le même pied
de ses troupes pour le temps qu'on l'a tiendrait ensemble.......... ». « Vous prendrez la peine de m'envoyer un état du nombre des milices que
l'on pourrait régler pendant cet hiver dans l'étendue de