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Autorité parentale conjointe : le retour de la loi du père
Martin Dufresne et Hélène Palma (Octobre 2002)
publié originalement dans Nouvelle Question Féministe
Résumé
Une nouvelle loi française relative à l'autorité parentale - élément d'une
réforme plus globale du droit de la famille - est examinée à la lumière des
droits des femmes et d'un processus de « reconstruction patriarcale », où
l'État et le lobby masculiniste s'approprient les notions de parité, de
partage des tâches parentales et de droits de l'enfant pour, en fait,
réduire les obligations matérielles des hommes et accroître leur pouvoir à
l'égard des femmes et des enfants. L'article fait un compte rendu des
résistances féministes à ce « backlash » néo-libéral en France et au niveau
international, en se fondant sur des lectures empiriques et matérialistes
du travail et de l'expérience des mères qui luttent pour conserver le
contrôle de leurs conditions de vie, l'accès à la justice et le droit
d'échapper à la violence conjugale et incestueuse. L'article propose
également un extrait traduit d'unouvrage à paraître de Susan B. Boyd.
10 mai 2002, la session spéciale de l'ONU sur les enfants, à New York, est
le théâtre d'un coup d'éclat : les États-Unis, le Vatican et les pays
musulmans les plus conservateurs bloquent l'adoption du programme d'action
proposé. Motif allégué : la Convention internationale des droits de
l'enfant mettrait en péril " l'autorité parentale " en plaçant les droits
de l'enfant au-dessus des prérogatives parentales[1].
Quelques mois plus tôt en France, bousculant la procédure de la navette
parlementaire et juste avant de quitter le pouvoir, le gouvernement Jospin
fait adopter une Loi relative à l'autorité parentale qui réforme des
articles clés du code civil en matière de droit familial. Au nom du " rôle
fondateur des parents ", le gouvernement accepte de marginaliser l'intérêt
de l'enfant en biffant son rôle de fondement de l'autorité parentale : "
L'autorité parentale est un ensemble de droits et de devoirs ayant pour
finalité l'intérêt de l'enfant " (art. 371-1).
Ailleurs, sous les feux des médias ou dans le secret de sessions de
médiation, se multiplient des pressions pour imposer aux enfants et aux
adultes qui en ont la charge l'autorité continue de parents non résidents,
absents, agresseurs, parfois même emprisonnés pour violences
intrafamiliales (Armstrong, 1983; Chesler, 1986; ANFD, 1998; Mères en
lutte, 2000).
Quel est donc ce parent dont l'autorité doit être protégée à tel point des
droits des enfants et des mères, sous prétexte de parité? L'adoption en
France d'une nouvelle loi édictant l'autorité parentale conjointe constitue
un terrain privilégié où examiner des réformes qui témoignent d'une
tendance internationale, en dévoiler les dérives et en contester les
justifications. Nous voulons situer ces réformes dans le contexte matériel
et politique de l'expérience concrète et diversifiée des mères, en révélant
ce que Carol Smart et Selma Sevenhuijsen (1989) appellent un processus de "
reconstruction patriarcale ", mis en oeuvre au détriment d'une égalité
véritable.
Notions clés : de la " puissance paternelle " à la " résidence alternée "
Le lexique actuel du droit familial est en pleine évolution. Ce n'est que
récemment (loi du 4 juin 1970 en France) que la puissance paternelle
traditionnelle est devenue l'autorité parentale dans la plupart des pays
occidentaux.
En cas de séparation des parents biologiques, par défaut, décès ou divorce,
l'assignation de la responsabilité des enfants est longtemps passée par la
notion juridique de garde (custody dans les pays anglo-saxons), dévolue
automatiquement au père ou à sa lignée jusqu'au début du XXe siècle en
Europe (Delphy, 1974; Dhavernas, 1978; Hufton, 1995). Le père demeurait
libre de confier le soin des enfants à n'importe quelle femme ou de les
abandonner. Depuis, les revendications féministes du droit au divorce et
une attention accrue à l'intérêt de l'enfant ont conduit les tribunaux à
reconnaître progressivement aux mères - quand leur conduite est jugée
suffisamment morale - la possibilité d'obtenir la garde en cas de divorce
(Boyd, 2002). Contrairement au nouveau stéréotype culturel du père "
dépossédé ", cela se fait habituellement par consensus des parents ou par
défaut : la majorité des pères qui réclament la garde l'obtiennent
(Chesler, 1986; Côté, 2000). Depuis 30 ans en France, la garde des enfants
implique la reconnaissance de l'exercice de l'autorité parentale par le
parent gardien, ainsi que le droit à une pension alimentaire pour les
enfants et à certaines prestations d'assistance sociale.
Cet arrangement bascule actuellement dans l'ensemble des pays occidentaux,
à la suite d'un mouvement généralisé de rétablissement des privilèges
paternels (Smart et Sevenhuijsen, 1989; Boyd, 2002). Un des éléments de
cette évolution est une scission progressive entre les composantes
juridique (l'autorité) et matérielle (le travail de soin) de la garde des
enfants. Brophy et Smart (1981) signalent l'apparition, dans l'Angleterre
des années 1950, de la pratique d'ordonnances de garde divisée (split
orders), où le tribunal ne laissait aux mères jugées indignes que la garde
physique des enfants, en réservant au père leur garde légale, c'est-à-dire
l'autorité parentale. Smart (1989) y voit la préfiguration de la garde
partagée (joint custody) que tente d'imposer le lobby des droits du p&egrav
e;re dans le monde anglo-saxon depuis le milieu des années 1970. La garde
partagée, c'est l'exercice conjoint de l'autorité parentale et,
contrairement à une impression répandue, elle n'entraîne pas nécessairement
un partage des tâches parentales, ni une alternance de la résidence (Côté,
2000).
En France, la notion de droit de garde avait déjà été marginalisée dans le
code civil par la loi du 22 juillet 1987 au profit d'une simple obligation
pour le tribunal de reconnaître à l'enfant une résidence habituelle chez
l'un des parents. Quant à l'exercice de l'autorité parentale, il était
conditionnel au consensus des parents et à leur vie commune lors de la
reconnaissance de l'enfant.
La loi française du 4 mars 2002 relative à l'autorité parentale, adoptée à
l'initiative du lobby des hommes divorcés[2], a une fois de plus transformé
ces conditions.
Que change la nouvelle loi?
En bref, les modifications principales apportées au code civil sont les
suivantes :
L'obligation de reconnaître à l'enfant une résidence habituelle est
supprimée. La résidence alternée - jusqu'ici interdite parce que contraire
à l'intérêt de l'enfant (article 287 de la version 1993 du code: " le juge
ne peut confier la garde des enfants communs alternativement au père et à
la mère ") - peut maintenant être accordée par le tribunal à la demande des
deux parents, ou de l'un seulement d'entre eux contre le gré de l'autre, ou
même être imposée à deux parents récalcitrants, et ce sans limitation d'âge
minimum de l'enfant.
L'État justifie la résidence alternée comme une application de l'autorité
parentale, attribuée conjointement par le nouvel article 371-1 du code "
aux père et mère jusqu'à la majorité ou l'émancipation de l'enfant ".
L'exercice de l'autorité parentale cesse donc d'être limité au parent qui
prend en charge l'enfant (résidence habituelle) et est conjoint aux parents
qui ont fait vie commune. L'autorité parentale est posée en droit absolu
pour tout géniteur qui " établit la filiation " de l'enfant, avec ou sans
l'accord de la mère, dans l'année suivant la naissance.
Un mouvement de privatisation se dessine : à la demande du lobby des pères
divorcés, la nouvelle loi permet de substituer aux ordonnances du juge aux
affaires familiales, garant de l'intérêt de l'enfant et des ordonnances de
pensions alimentaires, la simple homologation des conventions ou " accords
amiables " obtenus du parent gardien en matière d'entretien des enfants
(art. 372-3).
Même si la loi ne le reconnaît pas explicitement, les accords incluant une
promesse de partage de la résidence de l'enfant suppriment habituellement
toute pension alimentaire pour enfants[3]. Le gouvernement a reconnu
implicitement cet effet en ajoutant en dernière heure un amendement au
projet de loi, pour permettre à un parent lésé de retourner devant le
tribunal réclamer un " complément, notamment sous forme de pension
alimentaire " si l'autre parent ne s'acquitte pas de se s engagements (art.
373-2-4).
Mais le recours au tribunal est lui-même marginalisé : la loi institue en
effet un processus de médiation, spécifiquement limité à " faciliter un
exercice consensuel de l'autorité parentale " (art. 372-4). Un amendement
imposé par le Sénat et accepté par le gouvernement permet aux juges
d'imposer cette médiation aux parents en désaccord, même en cas de "
violences constatées ".
Le droit à la mobilité de territoire est supprimé : " Tout changement de
résidence de l'un des parents qui modifie les modalités d'exercice de
l'autorité parentale doit faire l'objetd'une information préalable et en
temps utile de l'autre parent. En cas de désaccord, le parent le plus
diligent[4] saisit le juge aux affaires familiales qui statue selon ce
qu'exige l'intérêt de l'enfant " (art. 373-2).
Mais la loi surdétermine cette évaluation en instituant le principe de la "
continuité et l'effectivité du maintien des liens de l'enfant avec chacun
de ses parents " (art. 373-2-6). Elle durcit les sanctions imposées à tout
parent qui chercherait à protéger l'enfant d'agressions subies lors d'une
visite. La " non-présentation d'enfant ", nouvellement passible de 3 ans de
prison et de 45 000 Euros d'amende en France, est déjà assimilée à un
enlèvement dans les arrêts judiciaires récents[5].
La place des femmes dans le processus d'adoption de la loi
Le gouvernement et les médias n'ont pas manqué de présenter la nouvelle loi
comme une réponse aux demandes des femmes pour " une plus juste répa