Nicolas Couégnas - Hal-SHS

Evaluare: examen. Metode de predare: 1. clasic?, 2. interactiv?,. 3. comunicativ?.
Total ore: 150 ..... Berthet, A., Hugot C. Alter Ego, A1. Paris, Hachette, 2009. 2.

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Nicolas Couégnas
Université de Limoges
Centre de Recherches Sémiotiques (CeRes) Emotion et sous-conversation :
des tropismes sarrautiens au modèle sémiotique dialogique. Introduction
Nous ferons ici quelques propositions sur la relation entre émotion et
conversation à partir d'un examen attentif de la notion de tropisme chez
Nathalie Sarraute. Cette notion fondamentale de l'?uvre sarrautienne[1],
qui noue tout ensemble émotion, relation interpersonnelle et contraintes
sémiolinguistiques, semble capable de susciter de très fertiles
interrogations tant en linguistique conversationnelle qu'en sémiotique.
Ajoutons que nous voyons là matière à une interdisciplinarité efficace, où
certaines recherches de la sémiotique " actuelle "[2], qui s'attachent à
décrire la dimension sensible des discours, pourraient rejoindre les
préoccupations de la linguistique conversationnelle par le biais de la
problématique de l'émotion. Occasion, donc, d'une contribution, et d'une
présentation des premiers éléments de ce que nous proposons de dénommer une
sémiotique dialogique.
1. Tropisme et signification sensible de l'énonciation Venons-en aux faits. Un tropisme est un indicible malaise, un flot de
sensations et de perceptions confuses ressenties par les partenaires d'une
interaction verbale lorsqu'ils profèrent certains types d'énoncé. Nathalie
Sarraute désigne par le terme de sous-conversation[3] l'ensemble de ces
phénomènes sensibles et fluctuants générés par les dialogues. Ce qui fait
tropisme, ce qui crée le bref malaise sous-conversationnel, ce peut-être
l'énoncé lui-même ou son intonation. Quelques exemples de tropismes : Dans l'une des pièces de Sarraute intitulée Pour un oui pour un nom[4],
deux amis sont en scène qui conversent paisiblement. Tout à coup le
tropisme surgit, par le simple fait que l'un des deux interlocuteurs juge
de ce que l'autre lui raconte par un " c'est bien ça "[5] à l'intonation
paralysante. Dans une conversation normale, l'effroi provoqué par
l'intonation se résorberait en un instant. Mais dans le théâtre de
Sarraute la sensation du tropisme devient la matière du drame, ou plus
exactement du logo-drame[6], pour reprendre une expression d'Arnaud Rykner
qui indique bien la nature sémiolinguistique du tropisme. Dans la pièce
citée, le " c'est bien ça " agit comme une déclaration de guerre. Son
léger mépris condamne sans appel la relation amicale des interlocuteurs.
Comment, dira-t-on, une simple intonation, un peu relachée, un peu absente
à son propos, parvient-elle à produire de si grands effets ? Il semble que
la clé soit moins dans l'axiologie implicite au jugement modalisé par
l'intonation : " c'est bien ça " signifiant " oui, en effet, ce n'est
pas si mal pour toi ", que dans la possibilité linguistique d'énoncer une
telle axiologie comme malgré soit. En d'autres termes, l'allocutaire ferait
grief au locuteur de s'être laisser déborder par les pouvoirs de la parole,
comme si le locuteur n'était pas assez présent à son énonciation. Autre exemple, extrait cette fois de L'usage de la parole[7]. Il s'agit
d'un recueil d'article assez courts, dont chaque titre représente un
syntagme générateur de tropisme. Prêtons un peu l'oreille au pouvoir
émotionnel de l'expression " mon petit ". Sarraute précise que pour être
efficace l'expression doit émerger " inopinément au cours de la plus
paisible et amicale des conversations "[8]. Il faut de plus que les
interlocuteurs soit des égaux, que le " mon petit " ne soit rendu légitime
ni par une différence d'âge ni par une différence hiérarchique. Dans ces
conditions, le tropisme peut accomplir son office : le " mon petit " se
transforme en une fulgurante axiologie interpersonnelle sans qu'il y
paraisse : un bref instant, l'énonciataire se sent l'inférieur de
l'énonciateur, il se sent presque physiquement devenir un " pantin
ridicule " ; et plus l'émergence du tropisme apparaîtra comme indépendante
de l'énonciateur, comme imposée par la structure dialogique elle-même, plus
le malaise sera indicible et puissant. Ce qui est en jeu, ce n'est donc pas la volonté insidieuse du locuteur qui
voudrait asservir l'allocutaire, mais véritablement une propriété de la
structure dialogique de l'énonciation : " mon petit " ne fait que rendre
manifeste le pouvoir de la relation dissymétrique je-tu. L'expression
signifie avant tout " je dis que tu es mon petit ". Par le fait que le je
est toujours en position de transcendance par rapport au tu[9], comme
l'affirme Benveniste[10], toute énonciation dialogique entraîne de ce fait
l'assomption d'une axiologie interpersonnelle. Le tu ne peut être que le
serviteur du je. Ainsi, on peut rendre compte de ce qui semble générer le tropisme, mais il
manque encore l'explication des réactions sensibles qui l'accompagnent. Un
examen plus large et plus approfondi montrerait qu'en définitive chaque
sensation tropique apparaît comme un effet de l'inquiétante question de
l'ascription, du " qui dit ça ? ". " Qui dit ça ? ", c'est à dire : dans
quelle mesure l'assomption énonciative inhérente au je, sujet de
l'énonciation, avec ses effets sur le tu, traduit-elle, ou trahit-elle
l'identité " profonde " des personnes. Ainsi, dans le cas de l'expression " mon petit ", l'assomption énonciative
sature-t-elle le rapport du sujet énonçant à son énoncé, ou est-il besoin
de faire appel à d'autres types d'instances, qui seraient des instances de
la personnes, encore à localiser. C'est dans cet espace, dans cet écart
entre types d'instances que les sensations prendraient leur source. Sur la base de ces quelques exemples, trois étapes sont à distinguer pour
rendre compte du niveau de la sous-conversation. 1-la structure énonciative engage, au sens fort les instances de
l'énonciation ; en vertu du principe de Benveniste " est ego qui dit
ego "[11], quand le sujet se pose comme je, il énonce sa subjectivité. 2 -mais la structure de l'énonciation est par essence dialogique et
dissymétrique : le tu ne se résume pas en la possibilité de l'alternance
énonciative ; dans le présent du je qui s'énonce face à un tu, la
transcendance du je prend nécessairement valeur d'axiologie. Dans le temps
de parole du je, le tu ne peut qu'acquiescer en silence. Il est soumis à la
loi du solipsisme énonciatif. 3- à partir de l'engagement (1) et de l'axiologie interpersonnelle qui
résulte de la dissymétrie énonciative (2), se dessine les contours
d'instances de la personne qui manque à l'énoncé. Chez Sarraute, la
déperdition identitaire semble atteindre préférentiellement l'allocutaire
qui est comme délogé de sa profondeur par le tu ; néanmoins, dans la mesure
où c'est l'énonciation dans son ensemble qui fait sens, sa force qui fait
un défaut d'être, l'identité engagée par le sujet de l'énonciation n'est
pas non plus épargnée. On veut indiquer par là que, de façon générale, les
sensations tropiques rendent présents en discours les complexes mécanismes
de la perception intersubjective. Intersubjectif est à entendre en son sens
le plus large : c'est-à-dire à la fois la perception identitaire réflexive,
qui va de soi à soi, et la perception transitive, qui va de soi à l'autre
ou de l'autre à soi. On ne quitte pas pour autant l'horizon discursif. Le
manque n'est pas l'absence, les sujets recherchés ne sont pas le locuteur
ou l'allocutaire, mais bien des instances de la personnes qui agissent sur
le discours selon leur propre modalité. On ne fait ainsi que suivre les propositions de Jean-Claude Coquet en
concentrant notre attention sur l'intersubjectivité. Le sémioticien, pour
rendre compte d'une dimension phénoménologique du discours, déjà présente
chez Benveniste[12], est amené à scinder le sujet[13]. Il distingue une
position sujet, responsable des jugements assertifs, un non-sujet à qui
l'on doit imputer la capacité de prédication, (c'est par exemple le corps
propre implicite à un énoncé tel que " je vois le bleu du ciel ") , et
enfin un tiers actant, identifiable en simplifiant à un destinateur, que
l'on pourrait gloser comme force signifiante du monde. On trouve chez Jacques Fontanille et Claude Zilberberg des propositions qui
ne sont pas très éloignées. Ceux-ci, pour décrire les phénomènes sensibles
du discours font appel à une instance perceptive qui se pose comme centre
en installant autour d'elle un champ de présence[14]. Dans tous les cas, et ce sont les tropismes qui nous y invitent, il nous
semble qu'une sémiotique qui veut prendre en considération la dimension
phénoménologique du discours doit nécessairement rencontrer ce qui est pour
Ric?ur l'aporie fondamentale de la phénoménologie[15] : à savoir la
perception intersubjective. Autrement dit, si la chair, le non sujet de
Coquet, parvient à s'énoncer, qu'en est-il de cette chair quand elle
devient corps pour l'autre ? Cette question nous conduit à élaborer une
typologie des positions sujets déterminées par les contraintes de la
perception intersubjective. 2. Des instances de la personne aux effets sensibles du discours Nous nous limiterons ici à la présentation de quelques outils, capables de
décrire l'émotion spécifique des tropismes, à partir de la reformulation
sémiotique du problème de l'identité. Une tentation, pour aborder l'intersubjectivité serait de traiter les
sujets comme des entités dotées de forces et de sensibilités, équivalentes
sur le plan phénoménologique, qui rentreraient en interaction et se
modifieraient mu