Note de synthèse - Hal-SHS

Dans l'examen des causes, les croyances positives et normatives jouent ...... si
les uns ou les autres ont le sentiment que la relation devient trop asymétrique.

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La démarche qualité à l'hôpital ,
une rationalisation négociée de l'organisation
Thomas Reverdy, Dominique Vinck, communication, journée d'étude du Grepsyt
Rhône Alpes, 26 mars 03, Grenoble. La vague de l' « assurance qualité » dans l'industrie et les services a été
un phénomène majeur. Sa diffusion et son appropriation par les entreprises
ont suscité un important débat en sciences sociales : la démarche qualité
signe-t-elle un retour à un formalisme étroit en décalage avec les
activités de travail ou encourage-t-elle au contraire une co-production de
l'organisation où sont reconnues les compétences des « exécutants » ? Ce
débat a été alimenté par de nombreux travaux nuancés que nous reprendrons
ici. Cette vague touche aujourd'hui le secteur hospitalier, fortement incité par
la procédure d'accréditation à mettre en place les exigences de l'assurance
qualité. Même si cette « transposition » est appuyée par des objectifs de
sécurité sanitaire et de qualité de soin, nombreux sont les médecins qui
doutent de son efficacité et qui s'inquiètent du trop grand crédit accordé
par l'administration à celle-ci (Setbon, 2000). Cette position fait écho
d'ailleurs aux recherches sur le travail à l'hôpital, qui, dans leur
majorité, reprennent la thèse de Strauss (1992) : les nombreux aléas
propres aux activités de soin limitent l'efficacité de toute tentative de
rationalisation. Un « travail d'articulation » essentiellement informel et
distribué serait mieux adapté.
Une recherche sur la démarche qualité dans différents services dans un
hôpital universitaire nous a conduit à questionner la notion de
rationalisation. Nous partageons avec Lacoste (2000) l'idée qu'il est utile
de dépasser les modèles dualistes qui opposent une organisation formelle
définie à distance et les ajustements limités dans l'activité
opérationnelle. Trop souvent les recherches sur le travail ont assimilé la
rationalisation à la formalisation, à la standardisation et à l'évaluation
de la conformité. Cette interprétation a été encouragée par la façon dont
les « qualiticiens » ont défini leur rôle. Cependant l'activité que nous
avons observée dans les groupes d'amélioration de la qualité à l'hôpital
diffère radicalement de cette définition de la rationalisation. On retrouve
des procédures, mais celles-ci ne jouent pas le même rôle. Dans une
« bureaucratie professionnelle » (Mintzberg, 1992) où le travail est régulé
principalement par la compétence professionnelle et par les ajustements
informels, les procédures n'ont pas un statut réellement prescriptif ou
coercitif. A quelle forme de rationalisation la démarche qualité participe-
t-elle dans ce contexte ? Voici la question qui a guidé notre réflexion.
Cette communication s'appuie sur une recherche collective, le suivi du
déploiement d'une démarche qualité dans plusieurs services d'un hôpital
universitaire, par une observation des séances de formation des groupes de
résolution de problèmes d'organisation (dont le déroulement a été
enregistré), par plusieurs enquêtes, quantitatives et qualitatives, auprès
du personnel, impliqué ou non dans la démarche, et dans certains cas par
l'observation du fonctionnement de certains services (Vinck et al., 2001).
Deux médecins, en charge du déploiement de la démarche qualité et qui
assurent la formation et l'animation des groupes de travail, ont été
impliqués dans cette recherche collective. Nos observations et nos
interprétations ont été régulièrement débattues avec eux. Leurs
interventions ont d'ailleurs évolué au fur et à mesure de notre réflexion
commune. Nous avons choisi ici de rendre compte particulièrement de la
diffusion de la démarche dans un service de réanimation chirurgicale.
La thèse que nous souhaitons défendre est la suivante : la démarche qualité
a pour principale fonction la mise au débat des pratiques et de leur
légitimité. La démarche qualité n'a pas un effet sur le travail parce
qu'elle ajoute de nouvelles règles formelles et de nouvelles possibilités
de sanction, mais parce qu'elle suscite des échanges langagiers, au cours
de réunions mais aussi en dehors, dans une perspective d'amélioration
continue, de recherche d'une meilleure organisation et de meilleures
pratiques. Dans cette mise au débat, chaque participant mobilise, explicite
ses normes professionnelles, voire les réinterprète au cours de l'échange
d'arguments. Nous proposons de considérer cette activité comme une activité
de « rationalisation négociée « : il s'agit bien d'une rationalisation au
sens d'analyse de l'activité, d'optimisation des moyens (Moisdon, Tonneau,
1999), mais celle-ci prend en compte une définition pluraliste de
l'organisation, fortement marquée à l'hôpital par la diversité des normes
professionnelles.
1. Qualifier le fonctionnement
Les méthodes proposées par les animateurs empruntent beaucoup aux méthodes
de la « qualité totale » : visualiser les relations entre services, les
attentes des patients, puis, recueillir par un brainstorming une liste des
dysfonctionnements, classer ces dysfonctionnements, et enfin en analyser
les causes. Dans leurs interventions, les animateurs étaient soucieux de
s'en tenir à quelques principes : dans l'esprit de la démarche
d'accréditation, sortir d'une représentation purement médicale des
activités en prenant en compte d'autres aspects comme la gestion des
dossiers de patients, l'accueil, l'hygiène, faire participer autour de ces
questions les diverses professions, faire exister la question de
l'organisation en dépersonnalisant l'évaluation des situations, en
remplaçant une évaluation en termes de « faute personnelle » par une
analyse en termes de dysfonctionnements organisationnels.
L'observation des groupes qualité montre que l'évaluation des situations
est controversée. Chaque personne juge une situation au regard de ses
« croyances positives » - ce qu'il croit connaître de la situation - ses
« croyances normatives » (Boudon, 1995) - ses jugements de valeurs - les
unes et les autres fondées sur de « bonnes raisons ». Les raisons évoquées
sont en fait étroitement liées aux formations, aux expériences, et
renvoient aux différentes identités professionnelles, particulièrement
marquées dans l'organisation hospitalière. Par exemple, les infirmières et
les aides-soignantes se préoccupent davantage que les médecins de la
qualité de l'accueil du patient, de l'hygiène, des conditions de travail.
Dans l'extrait du groupe qualité que nous citons ci-dessus, une infirmière
critique l'organisation du service au regard d'exigences de qualité
d'accueil du patient.
« (Entre la décision de sortie du malade et sa sortie effective vers un
autre service) il y a tout le déséquipement et la préparation à la
sortie. Il y a en parallèle le médecin, les infirmiers et les aides
soignantes puis les ASH, la secrétaire, la kiné... dans un temps
parfois très court. Il y a des matins, on est pris par le temps, pour
le malade, ce n'est pas agréable de voir tourbillonner 10 personnes
autour de lui, entre temps tu as l'aide-soignante qui va lui mettre son
café alors qu'on est en train d'enlever le drain, alors le mec qui a le
gobelet de café, il ne va jamais le boire, il ne va jamais l'atteindre,
c'est des choses comme ça. »( Infirmière, groupe qualité) Un conflit dans l'évaluation des faits conduit aussi parfois à un
approfondissement de l'analyse et à un élargissement à d'autres principes
de jugement. Par exemple, le thème de l'accueil des familles glisse vers
les problèmes d'hygiène, aux risques d'erreur.
« Infirmière (2) : nous ce qui est difficile c'est que les gens
viennent nous poser des questions pendant qu'on fait les programmes
(préparation des soins), ça y est, combien d'ampoules, on recommence...
(rires) pour l'hygiène, c'est vraiment nul.
Infirmière (1) : à la base, on ne donne pas d'information aux familles
entre midi et demi et une heure et demie, je ne vois pas pourquoi on
met la pression sur ceux qui mangent,
Infirmière (2): on répond quand même bien
Infirmière (1) : ce n'est pas une priorité, sauf pour des entrées
Infirmière (2) : ici, on parle d'une première visite, tu vas bien leur
dire que l'opération s'est bien passée
Infirmière (1) : tu en as pour quelques minutes. On se prend la tête
pour des trucs, pour moi, qui ne posent pas forcément problème. Je ne
comprends pas qu'on se mette la pression, moi je suis en train de
préparer une perf', la famille elle attend à côté du patient que j'ai
fini de préparer ma perf.
Infirmière (2) : t'en a jamais vu qui viennent te voir...
Infirmière (1) (insistante) : je leur dis vous retournez ... je ne ..:
Il y a des priorités, pourquoi s'embêter la vie par les familles
Infirmière (2) : sans s'embêter la vie, quand il y a des gens qui
viennent te voir
Infirmière (1) : sans être désagréable, je leur dis, attendez cinq
minute, je finis
Infirmière (2) : voilà tu leur dis ça, n'empêche que tu leur dis ça
Infirmière (1) : ben oui, je leur dis, mais moi je ne pose pas mes
ampoules
Infirmière (2) : n'empêche qu'ils viennent te demander une information,
que tu es masquée, que tu es en train de préparer tes trucs, et qu'eux
ils ne sont pas masqués, et ...
Secrétaire : ce n'est pas une conception de l'accueil des familles
très... enfin ils peuvent rentrer et ils se font jeter par l'infirmière
parce que ...
Infirmière (1)