Comme des invitées de marque - E-monsite

9 févr. 2010 ... Jusque-là, à part l'exercice du par-c?ur, c'était pour elle un effort qui ne ...... Il y a
un fil de complicité qui lie les adultes entre eux comme un réseau de mafiosi. ......
Quand est-ce qu'on mfait de l'algèbre ? ...... [6] Esker : formation géologique
exceptionnelle qui permet la filtration d'eau d'une grande pureté.

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Comme des invitées de marque
Léandre Bergeron
2001 Présentation Jusqu'où faut-il remonter dans le temps de ma jeunesse pour découvrir
les premiers soubresauts de révolte contre le carcan de la scolarisation
obligatoire ? Bon élève à l'école Provencher de Saint-Boniface pendant les
dernières années de la Deuxième Guerre mondiale malgré la gifle que m'avait
assenée la maîtresse du grade 4 pour n'avoir pas su réciter ma leçon de
catéchisme par c?ur. Bon élève au Juniorat des Pères Oblats de Marie
Immaculée où mes parents m'avaient envoyé pensionnaire à un mille de chez
nous, toujours à Saint- Boniface, pour faire de moi un prêtre missionnaire
dans le Grand Nord canadien. Et bon élève naïvement obéissant jusqu'à ce
que naisse en mon espèce de moi, vers les quinze ans, en même temps que
l'ombre d'une moustache, ce que ces messieurs en soutane appelaient le
mauvais esprit, cette si timide contestation qu'ils combattaient
athlétiquement avec la strappe, ce bout de courroie sombre qui nous enflait
les mains jusque tard dans la nuit. Et le dimanche après-midi, après un
repas de fèves au lard, la seule permission de la semaine : deux heures
pour aller porter mon lavage à la maison. Et voilà que j'arrivais avec mon
sac brun comme un cheveu sur la soupe en plein milieu du repas du dimanche,
la fête après la grand-messe et la corvée de la semaine, grands frères avec
leurs blondes, grandes s?urs avec leurs éclats de rires complices, le père
trônant, la mère servant tout le monde diligemment, mes petites s?urs se
faufilant gaiement parmi tout ce grand monde. Ces deux heures de libération
conditionnelle, fenêtre hebdomadaire sur les plaisirs de ce monde,
interdits à cet élu qu'on avait fait de moi, le choisi parmi tant d'autres,
l'appelé appelé à aller porter la vérité et la civilisation à ces barbares
mangeurs de viande crue dans le très Grand Nord canadien.
Ce mauvais esprit, bête noire parmi toutes pour ces robes noires
apostoliques et romaines, ne m'a jamais quitté depuis mille neuf cent
quarante-neuf. Ce malin en moi me donna la force, cette année-là, de dire à
mon père et à ma mère que le Juniorat c'était fini pour moi, que je n'y
retournerais pas. Scènes apocalyptiques s'ensuivirent. Malédiction sur moi,
Caïn et mes générations futures. Damnation éternelle. Et voilà que, comme
punition ultime, mon père m'ordonne d'aller moi-même, dans la honte et le
désespoir, annoncer au père Lemoine, o.m.i., supérieur, que je n'y
retournerais pas. Ce que je fis sur-le-champ avec enthousiasme et la
certitude que mes parents m'envoyaient comme messager de ma propre
libération parce qu'ils n'avaient pas le courage de le faire eux-mêmes.
Mais comment se fait-il que pendant ces quatre années de Juniorat, le
mauvais esprit ne me suivait pas l'été dans la ferme de monsieur Charrière
où je passais mes vacances à travailler dans les champs ? N'était-ce pas
parce que ce brave paysan, austère et économe, respectueux de la nature et
des êtres autour de lui, savait intégrer harmonieusement mes forces vives
aux tâches à accomplir sans ordres ni commandements ?
Me voilà à seize ans externe au collège de Saint-Boniface avec un avenir
un peu moins bouché. Mais le carcan du cours classique me pèse lourd sur la
nuque. Le mauvais esprit me pousse toujours à chercher la faille dans la
cuirasse jésuitique. Et voilà qu'à vingt ans il faut choisir une carrière :
prêtrise, médecin, droit, enseignement, dans cet ordre hiérarchique.
Comment ne pas fuir ce nouveau carcan en choisissant Lettres, ce qui
m'amena en 1956 à l'Université de Montréal dans une faculté apostolique mur
à mur, dans une province plus catholique que le pape. Quelques mois
suffisent pour que resurgisse le mauvais esprit. Je préfère à ce moment-là
le far-ouest manitobain où je me retrouve avec un permis spécial
d'enseignant de secondaire dans une école de la taïga où personne ne veut
aller semer la parole de Shakespeare et de Lafontaine parmi de Islandais,
des Ukrainiens, des Lettons et quelques Ecossais joueurs de curling. Je
tombe de haut. L'échafaudage classique s'écroule. Il faut maintenant gagner
sa vie à la petite semaine à développer des ruses pour faire avaler des
couleuvres. Un an de pédagogie à l'Université du Manitoba m'amène dans une
autre école secondaire de la campagne manitobaine où mon prédécesseur y
avait laissé sa santé. J'allais relever le défi, imposer de la discipline
mais me rendis bientôt compte que j'étais entré en guerre contre ces jeunes
récalcitrant, réfractaires à l'éducation formelle et que moi aussi j'y
laisserais ma peau. Pendant ces deux années de guérilla, j'eux la chance de
rencontrer, à l'occasion d'un 14 juillet à l'Union française de Saint-
Boniface, le consul de France en terre manitobaine à qui je posai quelques
questions sur Paul Valéry, poète académicien réputé mais plutôt méconnu
dans le far-ouest manitobain. Sa surprise l'amena à me décrocher une bourse
de la République française pour que j'aille poursuivre des études
littéraires dans la mère-patrie, ce que je fis avec empressement, content
de quitter le champ de bataille secondaire pour plonger de plein pied dans
le mythique pays de mes ancêtres.
L'échafaudage classique, ou ce qu'il en restait, s'effondra dans
l'Atlantique et le choc culturel, comme on dit aujourd'hui, fut
traumatisant. En septembre 1959, la guerre d'Algérie fait rage dans cette
France qui se relève à peine de la seconde. Communistes, fascistes, gauche,
droite, et toutes ces hiérarchies étouffantes à l'université, dans les
familles, dans les cafés, et cette langue, grande, unique, que tout le
monde parle et que moi, je balbutie comme un colon du Montana. Je choisis
le moins prétentieux de ces doctes professeurs comme directeur de thèse où
je torture Valéry quelques heures par jour et le reste du temps j'apprends
à vivre en français à la française. Mais bientôt renaît en moi le mauvais
esprit devant le tricoté serré de cette société écrasée par le poids de son
passé millénaire aux traditions sclérosées jusqu'au bout des ongles.
L'université française de l'époque, fiefs de petites et grands ergoteurs :
la famille française de l'époque, nid de vipères où le conformisme le plus
plat est de rigueur.
Les plaines de l'Alberta plutôt que ça. Mais en 1961, je me retrouve
professeur de français au Royal Military College de Kingston (Ontario),
endroit idéal pour nourrir le mauvais esprit d'un Canadien français errant,
banni de ses foyers manitobains pour irréligion, irrespect et irrévérence.
L'uniforme militaire sent la soutane et les élèves-officiers de Québec se
font dire qu'ils ont un language problem. Surtout qu'au Québec, ça commence
à bouger : Coûte que coûte, c'est là-bas qu'il faut que je me retrouve le
plus vite possible. Et, en effet, en 1964, j'accepte avec empressement un
poste de professeur de français au French Department de Sir George Williams
University (devenue depuis Concordia). Semblait-il qu'on cherchait un
French Canadian de service en ces temps troubles, et qui de plus rassurant
pour agir à ce titre qu'un Franco-Manitobain avec un diplôme d'une
université française ayant déjà enseigné au si respecté Royal Military
College. Mais dans mon enseignement, le c?ur y est moins qu'au Club Parti
Pris où on est en train de refaire le monde. Quoique là aussi je sens un
nouveau dogmatisme quand on refuse de publier l'un de mes articles sur la
révolution sexuelle fortement inspiré de Wilheim Reich. Encore des
interdits ?
En attendant, une petite fille, Annick de nom, née à Kingston, accapare
mes quelques heures libres. A la voir sautiller, danser, rire, jouer avec
les mots, peupler des pages blanches d'un coup de crayon feutre, courir
après les papillons autour du lac des Castors, comment concevoir sa mise en
cage prochaine ? Mais elle insiste : « Je veux aller à l'école ! » quand
elle voit des enfants, cartables au bras, se hâter vers ces mondes
inconnus. Alors, sa mère et moi l'inscrivons à une école du quartier où on
accepte les enfants de quatre ans, une école française de France, rue
Decelles, où les marmots se tiennent droit, gardent le silence, obéissent
au doigt et à l'?il, ânonnent à l'unisson, apprennent le respect de
l'Autorité et se préparent une carrière dans la fonction publique. Annick
joue le jeu sans difficulté, récite des fables de Lafontaine, moule ses
lettres à la français, incarne un petit chien savant qui fait l'envie de
tout bon parent rangé. Mais voilà qu'une petite grippe la retient à
l'appartement quelques jours et, lors de son retour en classe, ô ! misère,
elle a pris du retard et l'école n'est plus amusante du tout. Elle choisit
donc de ne pas poursuivre ses études et devient, à quatre ans, drop-out
avant la lettre. Une garderie de quartier avec maman Jacky devient le lieu
où elle peut régresser en paix et se refaire une personnalité. Entre-temps,
le carcan matrimonial m'étouffe et sa mère et moi devons faire un
pèlerinage à Ottawa avec Me Bernard Mergler pour recevoir d'un sénateur
moralisateur et gâteux la permission de ne plus partager la même couche
pour cause d'adultère. A preuve, le témoignage d'un détective privé de
service déclarant avoir découvert le mari concerné en flagrant délit de
conversation avec une étudiante consentante selon un scénario bien préparé
à l'avance. Entre deux cours, trois manifestations, deux réunions du comité
de citoyens de Saint-Jacques pour fonder la