Chapitre III Les étonnements de Marius - Studyfrench.ru

Il a de sept à treize ans, vit par bandes, bat le pavé, loge en plein air, porte un
vieux pantalon de son père qui lui descend plus bas ...... Marius eut ses années
de collège, puis il entra à l'école de droit. ...... Il allait sans doute passer un
examen.

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Victor Hugo LES MISÉRABLES Tome III - MARIUS (1862) [pic]
EN HOMMAGE À NOTRE AMI GUY QUI NOUS A QUITTÉ LE 30 JUIN 2004.
Tes amis du groupe qui pensent à toi. TABLE DES MATIÈRES À PROPOS DE CETTE ÉDITION ÉLECTRONIQUE [pic] Livre premier - Paris étudié dans son atome
Chapitre I
Parvulus[1] Paris a un enfant et la forêt a un oiseau ; l'oiseau s'appelle le
moineau ; l'enfant s'appelle le gamin.
Accouplez ces deux idées qui contiennent, l'une toute la fournaise,
l'autre toute l'aurore, choquez ces étincelles, Paris, l'enfance ; il en
jaillit un petit être. Homuncio[2], dirait Plaute.
Ce petit être est joyeux. Il ne mange pas tous les jours et il va au
spectacle, si bon lui semble, tous les soirs. Il n'a pas de chemise sur le
corps, pas de souliers aux pieds, pas de toit sur la tête ; il est comme
les mouches du ciel qui n'ont rien de tout cela[3]. Il a de sept à treize
ans, vit par bandes, bat le pavé, loge en plein air, porte un vieux
pantalon de son père qui lui descend plus bas que les talons, un vieux
chapeau de quelque autre père qui lui descend plus bas que les oreilles,
une seule bretelle en lisière jaune, court, guette, quête, perd le temps,
culotte des pipes, jure comme un damné, hante le cabaret, connaît des
voleurs, tutoie des filles, parle argot, chante des chansons obscènes, et
n'a rien de mauvais dans le c?ur. C'est qu'il a dans l'âme une perle,
l'innocence, et les perles ne se dissolvent pas dans la boue. Tant que
l'homme est enfant, Dieu veut qu'il soit innocent.
Si l'on demandait à l'énorme ville : Qu'est-ce que c'est que cela ?
elle répondrait : C'est mon petit. Chapitre II
Quelques-uns de ses signes particuliers Le gamin de Paris, c'est le nain de la géante.
N'exagérons point, ce chérubin du ruisseau a quelquefois une chemise
mais alors il n'en a qu'une ; il a quelquefois des souliers, mais alors ils
n'ont point de semelles ; il a quelquefois un logis, et il l'aime, car il y
trouve sa mère ; mais il préfère la rue, parce qu'il y trouve la liberté.
Il a ses jeux à lui, ses malices à lui dont la haine des bourgeois fait le
fond ; ses métaphores à lui ; être mort, cela s'appelle manger des
pissenlits par la racine ; ses métiers à lui, amener des fiacres, baisser
les marchepieds des voitures, établir des péages d'un côté de la rue à
l'autre dans les grosses pluies, ce qu'il appelle faire des ponts des arts,
crier les discours prononcés par l'autorité en faveur du peuple français,
gratter l'entre-deux des pavés ; il a sa monnaie à lui, qui se compose de
tous les petits morceaux de cuivre façonné qu'on peut trouver sur la voie
publique. Cette curieuse monnaie, qui prend le nom de loques, a un cours
invariable et fort bien réglé dans cette petite bohème d'enfants.
Enfin il a sa faune à lui, qu'il observe studieusement dans des coins ;
la bête à bon Dieu, le puceron tête-de-mort, le faucheux, le « diable »,
insecte noir qui menace en tordant sa queue armée de deux cornes. Il a son
monstre fabuleux qui a des écailles sous le ventre et qui n'est pas un
lézard, qui a des pustules sur le dos et qui n'est pas un crapaud, qui
habite les trous des vieux fours à chaux et des puisards desséchés, noir,
velu, visqueux, rampant, tantôt lent, tantôt rapide, qui ne crie pas, mais
qui regarde, et qui est si terrible que personne ne l'a jamais vu ; il
nomme ce monstre « le sourd[4] ». Chercher des sourds dans les pierres,
c'est un plaisir du genre redoutable. Autre plaisir, lever brusquement un
pavé, et voir des cloportes. Chaque région de Paris est célèbre par les
trouvailles intéressantes qu'on peut y faire. Il y a des perce-oreilles
dans les chantiers des Ursulines, il y a des mille-pieds au Panthéon, il y
a des têtards dans les fossés du Champ de Mars.
Quant à des mots, cet enfant en a comme Talleyrand. Il n'est pas moins
cynique, mais il est plus honnête. Il est doué d'on ne sait quelle
jovialité imprévue ; il ahurit le boutiquier de son fou rire. Sa gamme va
gaillardement de la haute comédie à la farce.
Un enterrement passe. Parmi ceux qui accompagnent le mort, il y a un
médecin. - Tiens, s'écrie un gamin, depuis quand les médecins reportent-ils
leur ouvrage ?
Un autre est dans une foule. Un homme grave, orné de lunettes et de
breloques, se retourne indigné : - Vaurien, tu viens de prendre « la
taille » à ma femme.
- Moi, monsieur ! fouillez-moi. Chapitre III
Il est agréable Le soir, grâce à quelques sous qu'il trouve toujours moyen de se
procurer, l'homuncio entre dans un théâtre. En franchissant ce seuil
magique, il se transfigure ; il était le gamin, il devient le titi. Les
théâtres sont des espèces de vaisseaux retournés qui ont la cale en haut.
C'est dans cette cale que le titi s'entasse. Le titi est au gamin ce que la
phalène est à la larve ; le même être envolé et planant. Il suffit qu'il
soit là, avec son rayonnement de bonheur, avec sa puissance d'enthousiasme
et de joie, avec son battement de mains qui ressemble à un battement
d'ailes, pour que cette cale étroite, fétide, obscure, sordide, malsaine,
hideuse, abominable, se nomme le Paradis[5].
Donnez à un être l'inutile et ôtez-lui le nécessaire, vous aurez le
gamin.
Le gamin n'est pas sans quelque intuition littéraire. Sa tendance, nous
le disons avec la quantité de regret qui convient, ne serait point le goût
classique. Il est, de sa nature, peu académique. Ainsi, pour donner un
exemple, la popularité de mademoiselle Mars dans ce petit public d'enfants
orageux était assaisonnée d'une pointe d'ironie. Le gamin l'appelait
mademoiselle Muche.
Cet être braille, raille, gouaille, bataille, a des chiffons comme un
bambin et des guenilles comme un philosophe, pêche dans l'égout, chasse
dans le cloaque, extrait la gaîté de l'immondice, fouaille de sa verve les
carrefours, ricane et mord, siffle et chante, acclame et engueule, tempère
Alleluia par Matanturlurette, psalmodie tous les rythmes depuis le De
Profundis jusqu'à la Chienlit, trouve sans chercher, sait ce qu'il ignore,
est spartiate jusqu'à la filouterie, est fou jusqu'à la sagesse, est
lyrique jusqu'à l'ordure, s'accroupirait sur l'Olympe, se vautre dans le
fumier et en sort couvert d'étoiles. Le gamin de Paris, c'est Rabelais
petit.
Il n'est pas content de sa culotte, s'il n'y a point de gousset de
montre.
Il s'étonne peu, s'effraye encore moins, chansonne les superstitions,
dégonfle les exagérations, blague les mystères, tire la langue aux
revenants, dépoétise les échasses, introduit la caricature dans les
grossissements épiques. Ce n'est pas qu'il est prosaïque ; loin de là ;
mais il remplace la vision solennelle par la fantasmagorie farce. Si
Adamastor[6] lui apparaissait, le gamin dirait : Tiens ! Croquemitaine ! Chapitre IV
Il peut être utile Paris commence au badaud et finit au gamin, deux êtres dont aucune
autre ville n'est capable ; l'acceptation passive qui se satisfait de
regarder, et l'initiative inépuisable ; Prudhomme et Fouillou. Paris seul a
cela dans son histoire naturelle. Toute la monarchie est dans le badaud.
Toute l'anarchie est dans le gamin.
Ce pâle enfant des faubourgs de Paris vit et se développe, se noue et
« se dénoue » dans la souffrance, en présence des réalités sociales et des
choses humaines, témoin pensif. Il se croit lui-même insouciant ; il ne
l'est pas. Il regarde, prêt à rire ; prêt à autre chose aussi. Qui que vous
soyez qui vous nommez Préjugé, Abus, Ignominie, Oppression, Iniquité,
Despotisme, Injustice, Fanatisme, Tyrannie, prenez garde au gamin béant.
Ce petit grandira.
De quelle argile est-il fait ? de la première fange venue. Une poignée
de boue, un souffle, et voilà Adam. Il suffît qu'un dieu passe. Un dieu a
toujours passé sur le gamin. La fortune travaille à ce petit être. Par ce
mot la fortune, nous entendons un peu l'aventure. Ce pygmée pétri à même
dans la grosse terre commune, ignorant, illettré, ahuri, vulgaire,
populacier, sera-ce un ionien ou un béotien ? Attendez, currit rota[7],
l'esprit de Paris, ce démon qui crée les enfants du hasard et les hommes du
destin, au rebours du potier latin, fait de la cruche une amphore. Chapitre V
Ses frontières Le gamin aime la ville, il aime aussi la solitude, ayant du sage en
lui. Urbis amator, comme Fuscus ; ruris amator, comme Flaccus[8].
Errer songeant, c'est-à-dire flâner, est un bon emploi du temps pour le
philosophe ; particulièrement dans cette espèce de campagne un peu bâtarde,
assez laide, mais bizarre et composée de deux natures, qui entoure
certaines grandes villes, notamment Paris. Observer la banlieue, c'est
observer l'amphibie. Fin des arbres, commencement des toits, fin de
l'herbe, commencement du pavé, fin des sillons, commencement des boutiques,
fin des ornières, commencement des passions, fin