Interprétations et significations en physique quantique - Hal-SHS

Réciproquement, la statistique mathématique précise les règles et les méthodes
sur la .... en physique : l'étude de la mécanique statistique et de la
thermodynamique statistique (cf ... Considérons par exemple les notes globales
à un examen.

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Revue Internationale de Philosophie, n°212, 2 (juin) 2000, 199-242.
Interprétations et significations
EN PHYSIQUE QUANTIQUE§ PAR Michel Paty*
RÉSUMÉ Le débat sur l'interprétation de la mécanique quantique est,
aujourd'hui, sensiblement différent de ce qu'il était dans la période
de «fondation» de cette théorie. Cette modification tient à deux
causes : l'ancrage des conceptions quantiques dans la pensée des
physiciens, favorisé par l'utilisation systématique et fructueuse de
la théorie quantique en physique atomique et subatomique, d'une part
et, d'autre part, les développements théoriques et expérimentaux
survenus au cours des vingt dernières années, qui ont amené à
considérer comme des faits physiques des énoncés qui paraissaient
naguère relever davantage de l'interprétation, avec liberté d'options,
voire de la spéculation.
Quelle est la signification des énoncés et des concepts théoriques
de la physique quantique ? et comment celle-ci s'est-elle modifiée ?
Qu'entend-on par «interprétation» ? Telles sont les questions qui
servent de guide à ce travail. Nous nous proposons de clarifier ce
qui, dans les questions de signification, relève respectivement de la
physique (essentiellement les contenus conceptuels et théoriques), et
de perspectives philosophiques. Cette distinction est plus nette
aujourd'hui qu'elle ne l'était au moment de l'établissement de la
mécanique quantique, ce qui permet d'approfondir notre compréhension
de chacun de ces deux aspects, qui s'enrichissent mutuellement de
cette clarification. Nous nous interrogeons, pour terminer, sur ce que
peut être une conception réaliste en termes d'un «monde d'objets
quantiques».
Summary.- Interpretations and significations in quantum physics.
The debate on the interpretation of quantum mechanics is, today,
somewhat different from that of the «founding» period of the theory.
Two factors give account of these modifications. The first one is the
enrooting of quantum conceptions in the physicists' thought, favoured
by the systematic and fruitful use of quantum theory in atomic and
subatomic physics. The second one is related to developments on the
knowledge of quantum systems that have occurred since about twenty
years, and have led to consider as physical facts statements that
appeared formerly to be more related to interpretation, with free
options, or even to speculation.
What is the meaning of the theoretical statements and concepts of
quantum physics ? and how this last itself has been modified ? What
does «interpretation» mean ? Such are the questions that serve as a
guide for the exposition. We undertake to clarify the respective
relevance, in questions of meaning, of physical aspects (basically,
the conceptual and theoretical contents), and of philosophical
perspectives. This distinction appears today sharper than it was at
the time when quantum mechanics was established, which allows us to
deepen our understanding of both, and they in turn mutually enrich
themselves in such a clarification. We conclude by an attempt to
sketch a realist conception in terms of a «world of quantum objects».
1 Introduction.
De l'interprétation en général
aux contenus propres de signification Les changements survenus dans nos conceptions de la physique avec
l'avènement de la physique quantique sont encore loin d'avoir été
pleinement évalués tant sur le plan de la signification de la théorie
que sur celui de ses incidences cognitives. Très tôt, des physiciens se
préoccupèrent eux-mêmes de généraliser à partir d'elle une méthodologie
nouvelle pour la théorie physique, amplifiée dans une philosophie
propre de la connaissance. Cela se fit, dans une certaine confusion
d'idées, dominée sans doute par un sentiment d'urgence. Plusieurs
pensaient, en effet, qu'il fallait intervenir rapidement pour fixer, en
quelque sorte, la marge des interprétations, afin de donner aux
nouvelles perspectives scientifiques, qui s'avéraient exemplairement
fécondes, une légitimité qui pouvait leur être contestée, en raison des
particularités inhabituelles, rompant avec les conceptions classiques,
des propriétés attribuées aux systèmes ou aux phénomènes quantiques et
de leurs méthodes d'approche.
Le défaut de cette solution, voulue radicale, fut d'ensevelir les
difficultés conceptuelles, qui relèvent normalement de l'argumentation
théorique et de l'analyse épistémologique, sous les réponses
pratiquement automatiques d'une philosophie faite sur mesure. On
discutait, par exemple, à propos de la représentation d'un système
physique par sa fonction d'état, de l'interprétation de la connaissance
scientifique dans le sens le plus général, sans s'être efforcé de
clarifier ce que l'on devait entendre au juste par «probabilité d'état»
pour un système quantique, et par le concept théorique d'«amplitude de
probabilité». Les significations physiques en étaient acceptées de
manière opératoire, purement formelle et immédiatement pratique, mais
sans interrogation sur leur spécificité conceptuelle. Ne mentionnons
que l'ambiguïté, sans doute étonnante à nos yeux d'aujourd'hui, qui
entourait alors, chez la quasi-totalité des physiciens, le statut de la
probabilité par rapport à la statistique : Max Born, auteur de
l'«interprétation probabiliste» ou «interprétation statistique» de la
fonction d'onde, les deux expressions étant usuellement utilisées de
manière indistincte, en est lui-même un témoin éloquent[1].
La «chance» de la mécanique quantique aura été, pour cet aspect
comme pour d'autres, la puissance heuristique d'un formalisme qui
touchait au plus profond - ou, du moins, très profond - ; on
l'appliquait alors un peu en aveugle, «parce que cela marchait», mais
sans que l'on sût encore exactement pourquoi. Des bribes d'«évidences»
montées en système (formel) s'avérèrent faire réellement du sens, et ce
sens fut investi davantage dans le système formel lui-même que dans les
concepts particuliers associés aux «grandeurs physiques», formalisées
sous forme d'opérateurs mathématiques.
Il semble bien, cependant, que ce sens se donne de nos jours de
plus en plus clairement avec une meilleure compréhension des concepts.
C'est sur ces contenus de signification physique que nous nous
interrogerons dans ce qui suit. On invoquera à l'appui d'importants
développements survenus en physique quantique au long des dernières
décennies, qui permettent, semble-t-il, de lever une bonne partie des
brumes conceptuelles longtemps persistantes. Ils permettent, en même
temps, de clarifier la part respective, dans les questions de
signification, de la physique (les contenus conceptuels des grandeurs
physiques et la portée de la théorie), et de la philosophie (les
conditions d'un programme sur la connaissance de la nature).
Les débats relativement récents sur la signification physique de
la non-séparabilité locale des systèmes quantiques corrélés à distance,
et les doutes qui subsistent sur ce qu'est exactement la «réduction du
paquet d'onde» (ou «problème quantique de la mesure») - une recette
opératoire ou un principe fondamental ? - montrent qu'il demeure peut-
être encore des zones d'ombre dans la question de la signification des
propositions de la théorie quantique. Cette théorie, au demeurant,
n'est pas cantonnée à la seule mécanique quantique, et s'étend aux
théories quantiques des champs dont l'importance est aujourd'hui
considérable, ce qui ne devrait pas manquer d'entraîner des
implications au plan des significations conceptuelles. Ces implications
pourraient bien survenir à travers l'opération précise, pour des
grandeurs physiques déterminées caractérisant les particules
élémentaires et les champs quantifiés, de notions comme celles de
symétrie ou d'invariance[2] ; ou encore à travers une importance accrue
des notions topologiques par rapport aux grandeurs métriques[3].
Des re-évaluations épistémologiques sont ainsi toujours
nécessaires pour tenter de comprendre les connaissances nouvelles selon
la cohérence d'ensemble d'une intelligibilité plus vaste, cette
compréhension plus profonde pouvant d'ailleurs aller de pair avec des
reformulations théoriques. Le travail présenté ici ne veut être qu'un
simple jalon dans cette perspective.
Nous rappellerons d'abord comment les débats sur l'interprétation
de la physique quantique, dus en grande partie à la nouveauté du
domaine abordé, d'accès fondamentalement indirect, ont également été
tributaires de circonstances qui en ont fixé la direction dominante,
dans une conception particulière du rapport de la physique à la
philosophie. Nous examinerons ensuite les décantations conceptuelles
qui se sont opérées à la faveur de la mise en ?uvre de la théorie
quantique et de son développement, aussi bien dans l'étude de la
constitution de la matière que dans les précisions acquises sur la
nature de phénomènes proprement quantiques déjà connus (notamment en ce
qui concerne l'indiscernabilité des «particules» identiques, les
systèmes quantiques individuels et la non-séparabilité locale)[4]. Nous
indiquerons, en particulier, comment des possibilités optionnelles dans
les questions d'interprétation ont ainsi été levées, octroyant
davantage de précision et d'