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22 févr. 2016 ... (Examen d'entrée en 6e - 1969 ? département du Val-de-Marne) ... Ne touchez à
rien » - À quel mode et à quel temps est ce verbe?

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Hans Lagerqvist. - Le subjonctif en français moderne. Esquisse d'une
théorie modale, Préface d'Olivier Soutet, Paris, PUPS (Collection Travaux
de stylistique et linguistique française, Série « Etudes Linguistiques »),
519 pages. Il est peu d'objets linguistiques qui aient suscité autant de
littérature que le subjonctif en français. R. Martin (1983 : 104) observait
déjà que si l'on voulait exposer les multiples conceptions qui en on été
proposées, « il y faudrait un livre ». Le subjonctif intrigue grammairiens
et linguistes tant par l'étonnante flexibilité et fluctuation
(diachronique, mais aussi sociolinguistique) de son usage que par le défi
théorique qu'il pose à qui cherche à en expliquer l'emploi à partir de
considérations sémantiques.
Hans Lagerqvist, qui s'inscrit dans la très riche tradition des
romanistes scandinaves, vient d'ajouter une contribution imposante à ce
débat. Il propose, en effet, une théorie modale générale, appuyée sur
l'examen détaillé d'un très vaste corpus d'exemples empruntés au français
contemporain, et sur une connaissance approfondie de l'histoire de la
langue.
Le livre, volumineux (519 p), est précédé d'une courte préface d'O.
Soutet, directeur de la collection et auteur lui-même d'un ouvrage
important sur la question. Il se compose d'une introduction suivie de cinq
chapitres, et précédée d'une présentation rapide des notions utilisées.
Cette section est très utile dans la mesure où la terminologie employée par
l'auteur n'est pas toujours d'usage courant. En revanche, on ne conseillera
pas au lecteur de commencer par là la lecture du livre, car il risque
d'être rebuté par une terminologie parfois déroutante.
L'introduction, très consistante (65 pages), présente le corpus puis
la théorisation proposée. Les trois chapitres suivants passent en revue les
différents types d'emplois du subjonctif relevés dans le corpus (ou évoqués
par d'autres auteurs) : le subjonctif en contexte prospectif (chap. I), en
contexte épistémique, appréciatif et concessif (chap. II) et les situations
où l'emploi de ce mode paraît lié à la structuration syntaxique de la
phrase (par exemple, dans les complétives antéposées, chap. III). Le
chapitre 4, très bref (12 pages), évoque les cas où les verbes conjugués à
l'indicatif et au subjonctif présentent une morphologie identique (ex.
« ... qu'elles prennent ... »), et propose des moyens pour identifier le
mode employé, sur la base de l'examen de son contexte. Le chapitre 5,
intitulé « Remarques finales » sert de brève conclusion.
Au plan de la description empirique de l'emploi des modes en français
moderne écrit, il s'agit là d'une somme considérable, à la fois d'un point
de vue quantitatif (un corpus de près de 4 millions de mots) et d'un point
de vue qualitatif. L'auteur a recueilli deux corpus, l'un constitué
d'articles, de toutes natures, extraits de la presse journalistique, et un
autre constitué de monographies sur des sujets variés. Il s'agit donc d'un
corpus écrit, non littéraire. Il est étudié par des moyens statistiques
(taux de fréquences comparés entre les modes, en fonction des contextes, et
des types de corpus), mais aussi - et c'est ce qui fait tout le prix de
cette vaste enquête - par l'analyse sémantique fine des exemples et des
contextes d'apparition des différents modes. Cela représente, à n'en pas
douter, une somme de travail considérable, dont le résultat constitue une
base de travail extrêmement précieuse pour tout linguiste qui s'intéresse à
l'emploi actuel des modes en français.
Au plan théorique, l'auteur s'inscrit dans le courant qui admet que
le subjonctif a une valeur sémantique unique, qui relève de la modalité du
virtuel. Qu'on nous permette ici un bref rappel des propositions
d'explication les plus courantes[1], et des contre-exemples auxquelles
elles se heurtent, afin de mieux situer la perspective théorique de
l'auteur.
a) Dans la tradition fonctionnaliste, on considère que l'emploi du mode
résulte le plus souvent d'une « servitude grammaticale » [2] de nature
fondamentalement arbitraire [3], et ne relève pas de la sémantique. Plus
précisément, la question de la valeur sémantique ne se poserait que lorsque
les deux modes sont également possibles (ex. « comprendre que + indicatif /
subjonctif ») ; et encore, l'attitude la plus fréquemment adoptée consiste
à poser l'existence de verbes homonymes (en l'occurrence, un comprendre1 +
indicatif et un comprendre2 + subjonctif). Cette position, qui est le
corrélat du postulat fonctionnaliste selon lequel toute valeur sémantique
est conditionnée par une possibilité de choix de formes linguistiques de la
part du locuteur, ne vaut que pour autant que ce postulat est admis.
b) L'analyse guillaumienne retient la valeur de possible, de virtuel [4]
pour caractériser le subjonctif par rapport à l'indicatif (qui exprimerait
l'actuel, le réel). Cette analyse, qui se heurte à des contre-exemples bien
connus, comme « Je regrette qu'il soit venu » a fait l'objet de diverses
tentatives d'amélioration. L'une des plus cohérentes est sans doute celle
de Martin (1983), qui voit dans l'emploi du subjonctif la marque d'une mise
en relation de divers mondes possibles [5] (ainsi regretter indiquerait que
je compare le monde réel à un monde possible correspondant à ce que
j'aurais souhaité). Mais comment expliquer dans ce cadre pourquoi le verbe
parier, qui met explicitement en jeu diverses possibilités futures, est
obligatoirement suivi de l'indicatif ?
c) Selon une tradition héritée de Damourette et Pichon, le subjonctif, par
opposition à l'indicatif, marquerait une suspension de la valeur assertive,
une non prise en charge énonciative de la part du locuteur [6]. Mais alors
pourquoi une expression comme « Pierre s'imagine / se figure que p », qui
indique précisément que le locuteur se dissocie fortement du contenu de p,
est-elle nécessairement suivie de l'indicatif et non du subjonctif (cf.
Lallaire 1998 : 98) ? Une réponse est avancée par Soutet (2000 : 59-60) :
l'indicatif marquerait - à la différence du subjonctif - que la proposition
complétive est prise en charge par le locuteur ou par un autre être de
discours (en l'occurrence Pierre dans l'exemple ci-dessus). La notion de
prise en charge doit être définie de façon à exclure la présupposition
(pour rendre compte de l'emploi du subjonctif après regretter, par
exemple). Mais comment expliquer alors qu'ignorer puisse être suivi de
l'indicatif, la vérité de la proposition n'étant, là encore, que
présupposée ? S'il est exact que la différence vient du fait que regretter
exprime un jugement de valeur (et non ignorer), c'est que la notion de
prise en charge n'est pas suffisante.
Par ailleurs se pose un autre problème : lorsqu'on considère que le
subjonctif marque le possible ou le non-asserté, est-ce qu'on n'attribue
pas au mode une signification qui n'est, en fait, exprimée que par son
contexte[7] ?
A ces questions, H. Lagerqvist répond par une théorie modale que nous
essayons de résumer à grands traits.
Le mode apparaît dans un contexte appelé « contexte modal » (CM). Il
a un contenu sémantique (ou signifié) appelé « essence ». Dans le cas
ordinaire, cette essence est exprimée deux fois, par le CM et par le mode.
Ce principe de redondance, emprunté à Bally (cité p. 62), est appelé
« principe de bipolarité ». Observons que ce principe de bipolarité ne se
résume pas à une simple redondance avec les CM à sémantisme « bimodal »,
qui, comme « entendre que » (p. 132) prennent une valeur différente selon
qu'ils sont suivis de l'indicatif (« percevoir par l'oreille » ou
« comprendre ») ou du subjonctif (« exiger, vouloir »).
L'indicatif exprime l'actuel, entendu au sens de réalisé, et donc de
non futur, certain, avéré. Le subjonctif exprime le virtuel, compris comme
toute forme de non actuel (donc comme ce qui est futur et/ou non certain).
Le réalisé et le virtuel, qui correspondent aux essences respectives de
l'indicatif et du subjonctif, et que l'on retrouve donc aussi dans leurs
CM, sont exprimables sous forme de « sèmes grammaticaux ».
Il suit, logiquement, que le futur et le conditionnel n'appartiennent
pas au mode indicatif (contrairement à ce qui est couramment admis), mais
constituent des modes à part entière, qui expriment le virtuel, puisque le
champ de l'avenir est tenu pour virtuel « par nature » (p. 52).
L'argumentation n'est alors pas toujours convaincante. Contre la position
de R. Martin (1983) qui considère que certains énoncés au futur présentent
la situation comme certaine (et non comme simplement virtuelle), l'auteur
invoque la possibilité du mensonge : « Il arrive aussi qu'un locuteur mente
sans qu'on s'en aperçoive, ce qui nous fait pourtant retomber,
inconsciemment, dans le virtuel » (p. 69). Outre que la possibilité du
mensonge concerne aussi bien le passé et le présent que l'avenir, faut-il
rappeler que le linguiste ne peut prendre en compte que la modalité telle
qu'elle est présentée par l'énoncé, et non le statut réel
(extralinguistique) des situations auxquelles il est fait référence ?
Pour traiter les inévitables contre-exemples (au moins apparents),
tout un dispositif est mis en ?uvre, que nous ne pouvons retracer que de
façon schématique et lacunaire.
Le principe le plus souvent mis en avant est celui de la
« surdétermination ». On admet qu'un mode est surdéterminé quand,
apparaissant dans un CM où il ne devrait - selon la théorie -