Popper et Kuhn sur la « science normale - Hal-SHS

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harmonie ...

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Popper et Kuhn sur les choix inter-théoriques Léna Soler Maître de Conférences à l'IUFM de Lorraine, membre des Archives
Henri Poincaré (LPHS, UMR 7117 du CNRS), Nancy.
Résumé L'article propose une analyse comparative des positions de Popper
et de Kuhn sur quatre points liés : la comparaison des « cadres
théoriques » ou des « paradigmes scientifiques » ; le pouvoir
contraignant que sont susceptibles d'avoir les arguments invoqués
dans les discussions critiques ; les éléments qui, en fin de
compte, pèsent ou doivent peser sur les praticiens lorsqu'il
s'agit d'élire un cadre théorique au détriment d'un autre ; et
enfin, la conception qu'ont chacun des deux auteurs de ce que Kuhn
a nommé la « science normale ». On commence par discuter en
détails les comptes-rendus dans lesquels Popper explique pourquoi
les choix scientifiques de Galilée et de Kepler sont conformes à
la méthodologie falsificationniste. On montre de là, premièrement,
qu'à suivre à la lettre ces comptes-rendus, il faut conclure que
les données expérimentales non problématiques - les énoncés de
base unanimement acceptés - ne suffisent pas à elles seules à
imposer en droit la falsification empirique (puisque sur la base
des mêmes mesures de Tycho Brahé, Kepler a eu raison d'admettre
que l'hypothèse des orbites circulaires était empiriquement
réfutée, tandis que Galilée a eu raison d'admettre le contraire).
On montre alors, deuxièmement, qu'au-delà des différences
importantes entre Popper et Kuhn au niveau des lexiques et de
l'idéal de scientificité, la méthodologie poppérienne, bien
qu'elle se revendique « logique », ne donne concrètement pas plus
que la conception kuhnienne pourtant si souvent stigmatisée comme
« sociologique », lorsqu'il s'agit d'indiquer ce qu'un bon
scientifique devrait faire, que ce soit en période
« révolutionnaire » ou en période de « science normale ». Abstract The paper offers a comparative analysis of Popper's and Kuhn's
positions on four related points: the comparison of "theoretical
frameworks" or "scientific paradigms"; the compelling power of the
arguments involved in critical discussions; the factors that
influence or should influence practitioners when they have to
elect a theoretical framework to the detriment of another one; and
the way each authors conceives what Kuhn named "normal science". I
start with the discussion of the accounts through which Popper
explains why the scientific choices of Galilée and Kepler both
satisfy the falsificationist methodology. From there I show,
first, that according to the letter of such accounts, we must
conclude that the unproblematic experimental data - the basic
statements that all practitioners accept - are not in themselves
sufficient to impose an empirical falsification de jure (since on
the basis of the same measures of Tycho Brahe, Galilée has been
right to admit that the hypothesis of circular orbits was
empirically refutated, whereas Galilée has been right to admit the
contrary). Then I show, second, that beyond the important
differences we find between Popper's and Kuhn's vocabularies and
ideals of science, Popper's methodology, although vindicated as
"logical", gives us nothing more than Kuhn's (often dismissed as
sociological) conception, when one asks what a good scientist
should do in revolutionary periods as well as in periods of normal
science.
Les philosophies des sciences de Popper et de Kuhn ont l'une et
l'autre profondément marqué la réflexion sur la science du 20ième
siècle[1]. Elles sont le plus souvent perçues comme divergentes
sur de nombreux points fondamentaux, quoique s'étant toutes deux
développées en opposition au positivisme logique. Leurs auteurs
ont d'ailleurs eux-mêmes tenus à affirmer nettement leurs
différences, bien qu'ils ne les aient pas toujours l'un et l'autre
fait porter sur les mêmes points. La confrontation de ces deux philosophies des sciences est
extrêmement intéressante[2]. Elle révèle des convergences
inattendues et instructives, et permet en même temps une
appréhension plus fine de chacune des positions en présence, aux
différents niveaux des projets, des idéaux, des thèses et des
études historiques particulières supposées les étayer. Faute de
pouvoir entreprendre ici une confrontation systématique, j'ai
choisi de retenir un angle particulier, coordonné à un problème
épistémologique à mon sens crucial, toujours ouvert et encore très
polémique aujourd'hui : celui de la comparaison entre théories
rivales procédant de principes très différents ; soit, dans les
termes de Popper, celui des choix entre « cadres » (frameworks)
différents ; ou, dans les termes de Kuhn, celui de l'évaluation
des mérites relatifs de paradigmes incommensurables.
Eléments biographiques et bibliographiques du débat Popper/Kuhn Des points de contact à la fois intellectuels et humains ont
existé entre Popper et Kuhn, qui n'ont pas pu ne pas influer leur
philosophie des sciences, même si la nature exacte de cette
influence reste difficilement évaluable. La philosophie de Popper étant antérieure à celle de Kuhn, on
pense tout d'abord à une influence de cette philosophie sur la
maturation de la conception kuhnienne. Kuhn dit n'avoir lu aucun
des ouvrages de Popper avant 1959, date de la parution de la
traduction anglaise de La logique de la découverte scientifique,
et époque où le premier ouvrage philosophique de Kuhn, La
structure des révolutions scientifiques, est à l'état de premier
jet. Mais il reconnaît avoir eu connaissance des idées de Popper,
et avoir eu l'occasion de les discuter, notamment avec Popper en
personne. La première rencontre de Popper et de Kuhn date de
1950[3]. Elle a lieu aux USA, où Popper se rend pour la première
fois, invité à donner une série de conférences à Harvard, dans le
cadre des « William James Lectures ». Kuhn suit ces conférences et
participe aux discussions. Quelque temps après, Kuhn et sa femme
rendent visite à Popper à Londres, et encore quelques années plus
tard, Popper visite Kuhn à Berkeley où ce dernier est professeur. Avant la publication de SRS, en 1962, des échanges directs et
indirects ont donc eu lieu avec Popper. En 1965, Kuhn, après avoir
exprimé son admiration à l'égard de Popper et souligné
l'importance des convergences entre sa conception et celle de
Popper, reconnaît une dette impossible à évaluer [Schlipp 1974,
1144]. De son côté, Popper manifeste de l'intérêt pour SRS après
sa publication : J. Watkins reporte qu'en 1963, SRS fut discutée
en détails dans le séminaire de Popper [Watkins 1970, 25][4]. Les principaux éléments intellectuels explicites du débat
philosophique entre Popper et Kuhn, se trouvent dans deux
ouvrages. 1/ Criticism and the Growth of Knowledge [Lakatos &
Musgrave 1970]. Il s'agit des Actes d'un symposium sur l'?uvre de Kuhn ayant eu
lieu à Londres le 13 juillet 1965 dans le cadre de l'International
Colloquium in the Philosophy of Science ; ou plus exactement il
s'agit, selon l'expression des éditeurs dans la préface, d'une
« reconstruction rationnelle et d'un développement plutôt que d'un
compte rendu fidèle de la discussion effective ». L'ouvrage
s'ouvre par un article de Kuhn « Logic of Discovery or Psychology
of Research ? »[5], dans lequel Kuhn développe une comparaison de
ses propres positions et de celles de Popper. Il se poursuit par
une série de contributions (J. Watkins, S. Toulmin, I. Lakatos, P.
Feyerabend...) discutant les positions de Kuhn et sa compréhension
de la conception poppérienne, et notamment par une critique de
Popper lui-même, « Normal Science and its Dangers »[6]. Il se clôt
par une réponse globale de Kuhn, « Reflexions on my Critics »,
rédigée quelques années plus tard en 1969. 2/ The Philosophy of Karl Popper [Schlipp 1974]. Dans ce volume de la Library of Living Philosophers, c'est l'?uvre
de Popper qui est au centre et se trouve discutée par de très
nombreux philosophes, avec une réplique de l'auteur, selon le
principe bien connu de cette célèbre collection. L'article de Kuhn
« Logic of Discovery or Psychology of Research ? » mentionné ci-
dessus y est reproduit. Dans sa réponse à Kuhn, Popper revient sur
un certain nombre d'éléments déjà abo