L'étrange défaite - Lycée Marc Bloch

Présentation du témoin; La déposition d'un vaincu; Examen de conscience d'un
Français .... y réussiront, demeurera, quoi qu'il arrive, la patrie dont je ne saurais
déraciner mon c?ur. ..... Nos beaux bacs de Saint-Quentin et de Cambrai, que
nous avions jalousement réservés à ... C'était, cette fois, une école maternelle.

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|Marc Bloch |
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|(1886-1944) |
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|L'étrange défaite |
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|(1946) |
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|Un document produit en version numérique par Pierre Palpant, |
|bénévole, |
|Courriel : ppalpant@uqac.ca |
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|Dans le cadre de la collection : " Les classiques des sciences |
|sociales " |
|fondée et dirigée par Jean-Marie Tremblay, |
|professeur de sociologie au Cégep de Chicoutimi |
|Site web : http : //www.uqac.ca/Classiques_des_sciences_sociales/ |
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|Une collection développée en collaboration avec la Bibliothèque |
|Paul -Émile Boulet de l'Université du Québec à Chicoutimi |
|Site web : http : //bibliotheque.uqac.ca/ |
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Cette édition électronique a été réalisée par Pierre Palpant, bénévole.
Courriel : ppalpant@uqac.ca
à partir de :
Marc Bloch (1886-1944)
L'étrange défaite
Témoignage écrit en 1940
Société des Éditions Franc-Tireur, Paris, 1946, pages 21-194.
L'édition papier contient un avant-propos de Georges Altman.
Polices de caractères utilisée : Times New Roman, 12 points.
Mise en page sur papier format LETTRE (US letter), 8.5 x 11''
[note : un clic sur @ en tête de volume et des chapitres et sections et en
fin d'ouvrage, permet de rejoindre la table des matières]
Édition numérique complétée à Chicoutimi le 15 août 2005. « ... Je le dis franchement : je souhaite, en tout cas, que nous ayons
encore du sang à verser... Je ne parle pas du mien auquel je n'attache pas
tant de prix... » Marc BLOCH, Septembre 1940.
T A B L E D E S M A T I È R E S I. Présentation du témoin II. La déposition d'un vaincu III. Examen de conscience d'un Français Testament de Marc Bloch
*
* * CHAPITRE PREMIER @ p.21 Ces pages seront-elles jamais publiées ? Je ne sais. Il est
probable, en tout cas, que, de longtemps, elles ne pourront être connues,
sinon sous le manteau, en dehors de mon entourage immédiat. Je me suis
cependant décidé à les écrire. L'effort sera rude : combien il me
semblerait plus commode de céder aux conseils de la fatigue et du
découragement ! Mais un témoignage ne vaut que fixé dans sa première
fraîcheur et je ne puis me persuader que celui-ci doive être tout à fait
inutile. Un jour viendra, tôt ou tard, j'en ai la ferme espérance, où la
France verra de nouveau s'épanouir, sur son vieux sol béni déjà de tant de
moissons, la liberté de pensée et de jugement. Alors les dossiers cachés
s'ouvriront ; les brumes, qu'autour du plus atroce effondrement de notre
histoire commencent, dès maintenant, à accumuler tantôt l'ignorance et
tantôt la mauvaise foi, se lèveront peu à peu ; et, peut-être les
chercheurs occupés à les percer trouveront-ils quelque profit à feuilleter,
s'ils le savent découvrir, ce procès-verbal de l'an 1940. * @ Je n'écris pas ici mes souvenirs. Les petites aventures personnelles d'un
soldat, parmi beaucoup, importent, en ce moment, assez peu et nous avons
d'autres soucis que de rechercher le chatouillement du pittoresque ou de
l'humour. Mais un témoin a besoin d'un état civil. Avant même de faire le
point p.22 de ce que j'ai pu voir, il convient de dire avec quels yeux l'ai
vu. Écrire et enseigner l'histoire : tel est, depuis tantôt trente-quatre
ans, mon métier. Il m'a amené à feuilleter beaucoup de documents d'âges
divers, pour y faire, de mon mieux, le tri du vrai et du faux ; à beaucoup
regarder et observer, aussi. Car j'ai toujours pensé qu'un historien a pour
premier devoir, comme disait mon maître Pirenne, de s'intéresser « à la
vie ». L'attention particulière que j'ai accordée, dans mes travaux, aux
choses rurales a achevé de me convaincre que, sans se pencher sur le
présent, il est impossible de comprendre le passé ; à l'historien des
campagnes, de bons yeux pour contempler la forme des champs ne sont pas
moins indispensables qu'une certaine aptitude à déchiffrer de vieux
grimoires. Ce sont ces mêmes habitudes de critique, d'observation et,
j'espère, d'honnêteté, que j'ai essayé d'appliquer à l'étude des tragiques
événements dont je me suis trouvé un très modeste acteur. La profession que j'ai choisie passe, ordinairement, pour des moins
aventureuses. Mais mon destin, commun, sur ce point, avec celui de presque
toute ma génération, m'a jeté, par deux fois, à vingt et un ans
d'intervalle, hors de ces paisibles chemins. Il m'a, en outre, procuré, sur
les différents aspects de la nation en armes, une expérience d'une étendue,
je crois, assez exceptionnelle. J'ai fait deux guerres. J'ai commencé la
première au mois d'août 1914, comme sergent d'infanterie : en pleine
troupe, par conséquent, et presque au niveau du simple soldat. Je l'ai
continuée, successivement, comme chef de section, comme officier de
renseignements, attaché à un état-major de régiment, enfin, avec le grade
de capitaine, dans les fonctions d'adjoint à mon chef de corps. Ma seconde
guerre, j'en ai vécu la plus grande partie à l'autre extrémité de
l'échelle, dans un état-major d'armée, en relations fréquentes p.23 avec
le G.Q.G. Tranchant à travers les institutions et les milieux humains, la
coupe, on le voit, n'a pas manqué de variété. Je suis juif, sinon par la religion, que je ne pratique point, non plus
que nulle autre, du moins par la naissance. Je n'en tire ni orgueil ni
honte, étant, je l'espère, assez bon historien pour n'ignorer point que les
prédispositions raciales sont un mythe et la notion même de race pure une
absurdité particulièrement flagrante, lorsqu'elle prétend s'appliquer,
comme ici, à ce qui fut, en réalité, un groupe de croyants, recrutés,
jadis, dans tout le monde méditerranéen, turco-khazar et slave. Je ne
revendique jamais mon origine que dans un cas : en face d'un antisémite.
Mais peut-être les personnes qui s'opposeront à mon témoignage chercheront-
elles à le ruiner en me traitant de « métèque ». Je leur répondrai, sans
plus, que mon arrière-grand-père fut soldat en 93 ; que mon père, en 1870,
servit dans Strasbourg assiégé ; que mes deux oncles et lui quittèrent
volontairement leur Alsace natale, après son annexion au IIe Reich ; que
j'ai été élevé dans le culte de ces traditions patriotiques, dont les
Israélites de l'exode alsacien furent toujours les plus fervents
mainteneurs ; que la France, enfin, dont certains conspireraient volontiers
à m'expulser aujourd'hui et peut-être (qui sait ? ) y réussiront,
demeurera, quoi qu'il arrive, la patrie dont je ne saurais déraciner mon
c?ur. J'y suis né, j'ai bu aux sources de sa culture, j'ai fait mien son
passé, je ne respire bien que sous son ciel, et je me suis efforcé, à mon
tour, de la défendre de mon mieux. Un jeune officier me disait, alors que nous devisions sur le pas d'une
porte, dans Malo-les-Bains bombardé : « Cette guerre m'a appris beaucoup de
choses. Celle-ci entre autres : qu'il y a des militaires de profession qui
ne seront jamais des guerriers ; p.24 des civils, au contraire, qui, par
nature, sont des guerriers. » Et il ajoutait : « Je ne m'en serais, je vous
l'avoue, jamais douté avant le 10 mai : vous, vous êtes un guerrier. » La
formule peut paraître naïve. Je ne la crois pas tout à fait fausse ; ni
dans ses applications générales ni même, si je m'interroge avec sincérité,
quant à ce qui me touche personnellement. Un médecin de l'armée, qui fut
mon compagn