La question écologique - CIP-IDF
La question est celle de savoir ce que nous devons attendre de l'écologie, ..... Et
si c'était ça, l'écologie, l'examen des différentes manières de se rapporter au ...
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Faut-il rompre avec l'écologie ? Le point de vue de la pieuvre. -
En faisant un petit détour du côté des Trois écologies de Félix Guattari,
il s'agira ici de reconsidérer le concept d'écologie, de lui rendre son
extension originelle, et de le réhabiliter ainsi étendu, contre certaines
tendances politiques, et notamment le courant anti-industriel, qui
s'échinent à vouloir lui régler son compte. * La question est celle de savoir ce que nous devons attendre de
l'écologie, aujourd'hui, quand elle se présente comme le dernier credo
d'une société moribonde en panne d'inspiration morale, ce que nous devons
en attendre, et comment faut-il que nous nous rapportions à elle, nous
autres révolutionnaires. Si la question se pose en ces termes, c'est que
plusieurs contingents de forces émancipatrices, tout de même que quelques
camarades, rassemblés sous les bannières bigarrées du courant dit « anti-
industriel », nous suggèrent vivement de rompre avec elle, avec l'écologie
- et plus précisément avec l'« écologisme », qu'ils disent, afin d'insister
sur son caractère foncièrement idéologique.
Qu'est-ce que le courant anti-industriel ? Ce sont différentes
tendances de la politique radicale actuelle, qui se retrouvent au moins sur
l'exigence de ne plus partir de la critique classique, de tradition
marxiste, du capital et de l'économie capitaliste, mais de la critique de
l'industrie et de la société industrielle, en tant que cette seconde
approche subsumerait également la première. Pourquoi alors, de ce point de
vue, l'écologie - et d'abord l'écologie politique - serait-elle une
idéologie ? Eh bien parce qu'elle refuse de la poser, précisément, la
question politique, autrement dit la question sociale, au moment même où la
nécessité de remettre en cause le système de production responsable de la
« crise actuelle de l'usage de la nature »[1] la rend des plus pressantes.
Dans ces conditions, l'écologisme n'est rien d'autre que l'« illusion selon
laquelle on pourrait efficacement réfuter les résultats du travail aliéné
sans s'en prendre au travail lui-même et à toute société fondée sur
l'exploitation du travail ». De la même manière, un écologiste n'est jamais
qu'un « demi-opposant aux nuisances », attendu qu'il s'en tient, à leur
sujet, à une critique strictement technique, ou technicienne, sans jamais
s'engager sur le terrain de la critique sociale. En ce sens, il participe
de l'impérialisme du langage de l'ennemi, qui est le langage des experts et
des spécialistes, c'est-à-dire le langage de la séparation. Or pour le
courant anti-industriel, fidèle en cela aux heureuses exigences
situationnistes, « on ne peut mener une lutte réelle contre quoi que ce
soit en acceptant les séparations de la société dominante ». Qu'est-ce
qu'un écologiste ? C'est cet « aménageur écologique de l'économie » par qui
le capitalisme pourra non seulement se survivre à lui-même, mais trouver
encore de nouvelles occasions de s'en mettre plein les fouilles.
Loin de là, les partisans du courant anti-industriel, et parmi eux les
esprits indomptables de l'Encyclopédie des Nuisances, s'emploient au
contraire à produire une « critique unitaire des nuisances », tout en
prônant la « redécouverte de tous les anciens points d'application de la
révolte », profitablement ignorés par les écologistes - à savoir : le
travail salarié, la colonisation de toute communication par le spectacle,
le développement technologique, la production marchande, et surtout l'Etat
comme « nuisance absolue ». Car derrière les belles recommandations de
l'écologie, qui nous enjoint à tout va de « préserver l'environnement »,
main dans main avec les chefs d'entreprise et les Ministères de la Planète
Impeccable, se cache notre nécessaire soumission aux nouvelles prérogatives
autoritaires et policières de l'Etat tout-puissant, au nom d'un inquiétant
« état d'urgence écologique », dictatorialement décrété par ses élites. * On saluera le caractère radical des positions de l'Encyclopédie des
Nuisances, ainsi que leur jolie correction révolutionnaire. Néanmoins, la
question de savoir si l'écologisme, comme idéologie, est inhérent à toute
forme d'écologie possible, ou s'il n'en constitue pas seulement un écueil,
ou une dérive, reste entière. Autant que nous puissions en juger, rien ne
permet de penser que les prises de position écologiques d'un André Gorz,
d'un Ivan Illich ou d'un Arne Næss, père de la deep ecology, aussi
discutables soient-elles, se situent sur le même plan épistémologique - et
bien évidemment politique - que la charte pour l'environnement d'un Nicolas
Hulot, les discours lénifiants d'un Yann-Arthus Bertrand ou les communiqués
du MEDEF en faveur des énergies renouvelables. A moins que ce soit le mot « écologie » lui-même - dont le préfixe
« éco » peut laisser craindre quelque ténébreuse alliance avec l'ennemi
juré, avec la malfaisante éco-nomie - qui froisse les puristes du courant
anti-industriel. Mais comme le rappellent certains philosophes, il y a
moins à abandonner les vieux mots, qu'à les soustraire aux discursivités
qui ont tenté d'en éteindre la charge vive. La question est donc celle de
savoir si l'écologie a jamais pu être porteuse d'un véritable projet
émancipateur, sinon révolutionnaire, au sens où nous pouvons l'entendre -
et le cas échéant, si elle peut l'être encore, de nos jours, au moment où
elle a été récupérée par les ennemis historiques du parti de
l'émancipation. Une histoire critique du concept d'écologie, dont certains
vont chercher les prémisses jusque dans l'?uvre du philosophe Henry David
Thoreau, dépasse de loin le cadre de cet article. Nonobstant, à bien y
regarder, et pour autant qu'on s'autorise à tenir compte de son sens
originel, tel qu'il a été introduit par le biologiste français Ernst
Haeckel, en 1876 - à savoir comme l'examen des relations que les êtres
vivants entretiennent avec leur milieu, ou plus généralement comme « la
science des conditions d'existence »[2] -, l'écologie engage des
questionnements qui peuvent difficilement être évacués par ceux qui ?uvrent
à renverser le mouvement de la catastrophe globale, qui est le mouvement de
l'économie.
Mais quoi ! Lorsque le Comité Invisible, dans son best seller à 7
euros, critique le concept d'« environnement », pour lui substituer celui
d'un « monde peuplé de présences, de dangers, d'amis, d'ennemis, de points
de vie et de points de mort, de toutes sortes d'êtres »[3], ne se livre-t-
il pas à des analyses directement « écologiques » - quoi qu'il veuille bien
en dire ? Ou bien « De la ritournelle », dans les Mille plateaux de Gilles
Deleuze et Félix Guattari, avec son ontologie des milieux et des
territoires, avec ses références appuyées au Mondes animaux et monde humain
du biologiste Josef von Uexküll, n'est-il pas lui-même un texte
d'écologie ? De l'écologie, n'est-ce pas encore ce que faisait
l'Internationale Situationniste, quand elle prônait une « construction
supérieure du milieu, et de nouvelles conditions de comportement », ainsi
qu'une intervention ordonnée sur le décor matériel de la vie, et les
comportements qu'il entraîne et qui le bouleversent ? [4] Si le champ de
l'écologie a été réduit à l'extrême par les promoteurs patentés de
l'économie verte, et les experts honoris causa du développement durable ;
si elle est devenue à la fois « la logique de l'économie totale », et « la
nouvelle morale du Capital »[5], ne nous revient-il pas, plutôt que de
l'abandonner à nos ennemis, qui n'attendent que ça, de lui rendre toute
l'extension - et la portée philosophique - dont on l'a commodément privée ? * Dans Les Trois Ecologies, Félix Guattari prenait justement ses
distances avec l'écologie politique, avec l'écologie d'Etat, avec
l'écologie telle que la brandissent à tout va les entreprises, les ONG, les
formations politiques et les instances exécutives.[6] Les raisons qu'il
invoquait, à cet égard, n'avaient rien à envier à celles que nos camarades
« anti-industrialistes » avancent aujourd'hui. C'est que l'écologie
politique se contente, précisément, lorsqu'elle évoque la crise écologique,
« d'aborder le domaine des nuisances industrielles et, cela, dans une
perspective technocratique [...] » ; parce qu'elle s'en donne - et en donne
-, de cette crise, une image délibérément étroite et étriquée ; une image
centrée sur les mille malheurs que nous faisons subir à notre vieille
planète, passés au crible de l'expertise techno-scientifique. Mais plutôt
que de trouver là un motif suffisant pour rompre définitivement avec
l'écologie, Félix Guattari, tout à l'inverse, s'employait à en élargir de
nouveau le champ, afin de reconnecter du même coup la subjectivité avec son
extériorité, qu'elle soit sociale, animale, végétale ou cosmique - « l'art
de l'"éco" subsumant toutes les manières de domestiquer les Territoires
existentiels »[7]. Car il n'est pas juste de séparer les trois registres
écologiques que sont l'environnement, les rapports sociaux et la
subjectivité humaine ; de même qu'il n'est pas juste de séparer les
dégradations qui les affectent aujourd'hui, chacun d'entre eux. Seule une
articulation « éthico-politique » entre ces trois registres, entre la
psyché, le socius et l'environnement, articulation que Guattari appelle
« écosophie », sera en mesure d'embrasser l'étendue du désastre, et d'y
envisager des perspectives d'émancipation. Malheureusement, malheureusement, et les procureurs généraux du
tribunal de l'Encyclopédie des Nuisances, fidèles à leur posture
inquisitrice, ne manqueront pas de nous le faire remarquer, Félix Guattari
n'est jamais parvenu à s'extraire du paradigme techno-industriel dominant,
dans lequel il croyait pouvoir trouver les leviers permettant de précipiter
la révolution écologique qu'il réclamait. De là qu'il adopte, comme les
Situationnistes avant lui, le schéma progressiste de « dépassement » - à
ten