Le Portfolio européen des langues - Res per nomen

Les manuels et les examens sont de plus en plus inspirés par la référence ....
Ces documents peuvent prendre des formes écrites (travail scolaire,
professionnel, etc.) .... avec pour résultat un certain nombrilisme culturel et un
provincialisme assez .... résolvant du même coup le problème essentiel de ce
type d'apprentissage, ...

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Le Portfolio européen des langues et le Cadre européen commun de référence
: entre normalisation institutionnelle et responsabilité individuelle Pierre Frath
Université de Reims Champagne-Ardenne Le Cadre européen commun de références pour les langues (CECR) et le
Portfolio européen des langues (PEL) sont en train de s'imposer en Europe
comme le fondement de la réflexion et de l'action dans le domaine de
l'apprentissage des langues. Les manuels et les examens sont de plus en
plus inspirés par la référence aux six niveaux de compétence et aux cinq
capacités langagières qu'ils proposent, et leur impact est grandissant dans
les écoles, les universités et la formation continue. Mais ces deux outils
peuvent-ils se développer dans un environnement institutionnel traditionnel
et les progrès que l'on peut en attendre seront-ils à la hauteur des
espérances ? Suivront-ils le chemin habituel des innovations pédagogiques,
c'est-à-dire l'oubli après une brève période d'hubris didactique, ou bien
sont-ils là pour influencer l'enseignement des langues dans la durée ? Et
tout d'abord, le type d'apprentissage qu'impliquent le PEL et le CECR est-
il souhaitable ? Sont-ils des instruments de liberté ou bien enferment-ils
l'apprenant dans une vision trop normée de la connaissance ? Voici quelques-
unes des questions que cet article voudrait aborder. Il commencera par un
bref rappel de ce que sont le CECR et le PEL, avant de faire état de leur
efficacité réelle. On s'interrogera ensuite sur leur contenu affiché, et on
essaiera de distinguer ce qu'ils comportent d'idéologique. On proposera in
fine une utilisation pragmatique du PEL et du CECR. . Petit historique et brève description
Le Portfolio européen des langues (PEL) est issu d'une initiative du
Conseil de l'Europe[1]. Cette institution européenne, qui regroupe 46 états
membres, agit pour les langues depuis des décennies. On lui doit notamment
l'approche communicative, la grammaire notionnelle-fonctionnelle et les
niveaux-seuils, notions très familières aux enseignants de langues de notre
continent. Jusqu'à présent, l'action du Conseil de l'Europe se faisait
essentiellement en direction des superstructures des états membres. Avec le
PEL, le Conseil de l'Europe entend agir également en direction des
individus et des institutions locales.
Les premiers travaux en vue de la création du Cadre européen commun de
référence (CECR)[2] ont débuté en 1992. Il a été publié officiellement en
1998. Quant au PEL, les premières expérimentations ont eu lieu entre 1995
et 1998 dans trois pays européens : la Suisse, la France et l'Allemagne.
Des projets-pilotes ont ensuite été menés dans quinze pays. Le PEL a été
lancé officiellement en 2001, l'Année des Langues. A l'heure actuelle
(septembre 2006), 80 PEL destinés à divers publics ont été accrédités par
le Conseil de l'Europe, parmi lesquels le PEL de CERCLES (la Confédération
européenne des centres de langues de l'enseignement supérieur)[3], destiné
aux universités.
Le Cadre européen commun de référence est un référentiel pour les langues
divisé en six niveaux (A1, A2, B1, B2, C1, C2) qui vont du niveau débutant
(A1) au niveau quasi-bilingue (C2). Le CECR distingue cinq compétences:
. Comprendre
- écouter
- lire
. Parler
- prendre part à une conversation
- s'exprimer oralement en continu
. Ecrire
Le référentiel est composé de descripteurs de compétences qui s'expriment
en termes de capacités, par exemple pour la compétence d'écriture de niveau
A1 : "Je peux écrire une courte carte postale simple, par exemple de
vacances", ou bien pour le niveau C2 de la compétence de lecture : "Je peux
lire sans effort tout type de texte, même abstrait ou complexe quant au
fond ou à la forme, par exemple un manuel, un article spécialisé ou une
?uvre littéraire". Il s'agit donc d'une évaluation des compétences
positives, qui enregistre ce que l'apprenant sait faire, et non ce qu'il ne
sait pas faire, c'est-à-dire les fautes, comme dans un examen classique, où
il s'agit plus d'éliminer et de classer les apprenants que de leur donner
une indication de niveau. Une telle conception de l'évaluation convient
particulièrement bien à l'apprentissage des langues par les non-
spécialistes. En effet, l'objectif du public engagé dans ce type
d'apprentissage est bien de parvenir au meilleur niveau nécessaire aux
objectifs fixés soit par l'apprenant lui-même, soit par une institution, et
ce quel que soit le niveau de départ, et non de parvenir à un niveau élevé
d'excellence pour des activités professionnelles spécialisées dans les
langues, par exemple l'enseignement ou la traduction. En outre, comme les
descripteurs sont exprimés en termes de "Je peux faire...", il est assez
aisé de vérifier la compétence acquise en terme de comportement. Suis-je
effectivement capable d'écrire une carte postale ? Suis-je effectivement
capable de lire une oeuvre littéraire en langue étrangère ? Enfin, si le
CECR est adopté par l'ensemble des pays européens, et si les diverses
certifications et les examens en vigueur s'alignent sur les niveaux
définis, alors on aura abouti à une plus grande cohérence à l'échelle
européenne et à une certaine transparence, qui sera favorable au
développement de la mobilité en Europe.
Le PEL est composé de trois parties : le Passeport des langues, la
Biographie langagière et le Dossier.
1) Le Passeport des langues est un bilan des savoir-faire, des
certifications et des diplômes du porteur, ainsi que des expériences
interculturelles vécues dans différentes langues. Les compétences en
langues sont décrites dans les termes des niveaux du CECR. Le Passeport
permet de déterminer le profil linguistique du porteur dans les
différentes langues qu'il a apprises, à la fois dans le milieu scolaire
et universitaire, dans son milieu familial, dans le cadre de sa
profession, ou pour toute autre raison (tourisme, loisirs, rencontres,
etc.). Il permet donc de présenter l'ensemble des compétences
linguistiques, y compris dans les langues régionales et les langues de
l'immigration. Les diplômes et les certifications officiels sont listés à
la fin du Passeport, et les attestations sont jointes au Dossier.
2) La Biographie langagière permet, grâce aux descripteurs du CECR, de
faire un état des lieux des compétences linguistiques du porteur à un
moment donné de son apprentissage. Il lui permet aussi de fixer des
objectifs à court, moyen et long terme, qui peuvent se constituer en un
programme d'apprentissage. La biographie langagière peut ainsi être un
outil pédagogique au service de l'apprentissage utilisable dans le cadre
de la classe de langues.
3) Le Dossier contient l'ensemble des certifications et des diplômes
officiellement obtenus, ainsi que des preuves de l'excellence du porteur
dans les différentes langues qu'il a apprises. Ces documents peuvent
prendre des formes écrites (travail scolaire, professionnel, etc.) ou
orales (cassettes audio ou vidéo, CD-ROMs, etc.). Ils permettent
d'apporter la preuve du niveau atteint, notamment dans les langues pour
lesquelles le porteur ne dispose pas d'attestations officielles, par
exemple la langue du milieu familial ou celles acquises dans une
profession.
Le PEL possède ainsi une double fonction, celle de vitrine des compétences
acquises et celle d'outil au service de l'apprentissage. Il a également un
aspect politique. En effet, le Conseil de l'Europe insiste tout
particulièrement sur certaines valeurs que le PEL doit permettre de
développer, parmi lesquelles le développement de la compréhension mutuelle
en Europe, le respect des cultures, le développement de l'apprenant en tant
qu'acteur autonome de son apprentissage, le développement du multilinguisme
et de la mobilité.
Un aspect essentiel du PEL est qu'il est la propriété de l'apprenant, ce
qui implique que son usage ne peut pas être obligatoire. On verra que cette
particularité pose problème.
Qu'y a-t-il à redire à un tel outil, se demande peut-être le lecteur ?
Effectivement, il n'y a rien dans cette description qui ne puisse emporter
l'adhésion d'un démocrate européen ouvert au développement des liens entre
les peuples de notre continent. Au contraire, l'humanisme qui l'imprègne
s'y manifeste avec éclat, et son pragmatisme affiché ouvre immédiatement
d'innombrables possibilités dans l'esprit du pédagogue un tant soit peu
créatif : réminiscences de pédagogie Freinet pour certains, pédagogie de
projets pour d'autres, enseignement basé sur le faire et non seulement sur
l'apprendre, évaluation plus motivante, augmentation du niveau de contrôle
des apprenants sur leur apprentissage, etc. On verra cependant dans la
suite du texte que la médaille a son revers et que l'enfer peut être pavé
de bonnes intentions. . Didactique et apprentissage des langues
Pour commencer, on peut se demander si le PEL est efficace, ou s'il n'est
qu'une de ces vaches sacrées dont la didactique des langues accouche
régulièrement ? Tout enseignant de langues un peu chevronné a reçu de
nombreuses fois la bonne nouvelle qu'enfin les choses allaient changer, que
la didactique des langues (ou la psychologie cognitive, ou la linguistique
appliquée, ou la théorie de l'information, ou l'enseignement assisté par
ordinateur, ou l'approche communicative, etc.) avait réussi à trouver la
clé de l'apprentissage des langues et que leur maîtrise par tous était
enfin à notre portée. Or, il n'est pas sûr que le n