Guy Rosa: "Présentation de l'édition critique, génétique et ...
UE commune avec la spécialité Algorithmique, Modélisation, Images ...
Exemples de chaînes de Markov (marches aléatoires, modèles génétiques, files
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erreur et de la .... Un polycopié de ce cours ainsi qu'une liste d'exercices corrigés
seront mis à ...
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Retour Guy Rosa : Présentation de l'édition critique, génétique et informatisée
des Misérables Communication au Groupe Hugo du 24 octobre 2008 . [pic]
Les travaux de génétique littéraire ne vont pas sans un bon grain de
folie. À preuve, Journet-Robert, M. Bonnacorso et son invraisemblable
Corpus flaubertianum, Pierre-Marc de Biasi - et d'autres. Le plus souvent,
c'est passager - Seebacher, Annie Ubersfeld, Leuilliot, Gisèle Séginger ;
lorsque cela en vient à l'état chronique avant l'âge où la chronicité des
maux est le lot commun, il y a motif d'inquiétude. Certainement atteint et
quoique sachant que ce n'est pas contagieux, je serai bref. D'autant plus
que tout ce que j'aurais à vous dire se trouve déjà écrit et accessible -
sur le site pour les deux tiers (c'est la notice scientifique qui
accompagne cette édition) et pour le reste dans le catalogue de
l'exposition de la Maison Victor Hugo, Les Misérables, un roman inconnu.
À quoi s'ajoute une raison tirée de l'expérience même qui m'a conduit à
ce travail : l'inintérêt complet que rencontrent les travaux sur les
manuscrits auprès des nouvelles générations. J'en avais déjà fait
l'expérience au long des nombreuses années où je tentais d'enseigner
l'unité de valeur intitulée « Introduction à la génétique littéraire ». On
y étudiait le manuscrit des Misérables, complété par des extraits de
Flaubert et de Zola. Au fil des années, j'ai acquis de la sorte, outre une
certaine familiarité avec ce manuscrit et avec les questions que pose son
traitement, un matériau assez épais : tirages du microfilm acheté auprès de
la BN (d'exécrable qualité, je le signale) et transcriptions. De là l'idée
de couvrir tout le texte. L'embryon que j'avais me montrait la viabilité du
projet ; j'avais aussi tiré de cet exercice pédagogique (il le fut pour
moi) un certain nombre d'enseignements qui me montraient ce qu'il fallait
faire et surtout ne pas faire.
D'abord ne pas s'imaginer qu'on va découvrir quelque chose et
révolutionner la connaissance. Pour deux raisons liées. L'une est que,
contrairement à ce que prétendent les généticiens professionnels, la
génétique est un savoir auxiliaire et n'apporte aucune vérité propre. Elle
peut fournir sinon des preuves du moins de sérieux arguments à l'appui
d'une lecture ou d'une interprétation ; elle ne peut pas rendre compte de
la formation d'une ?uvre. Outre que quantité de facteurs qui ne relèvent
pas d'elle y interviennent (histoire, histoire des idées, histoire des
formes littéraires, histoire des conditions matérielles et sociales de
l'écriture, histoire personnelle, etc.), le nombre et la diversité des
données à traiter par la seule génétique littéraire sont tels qu'il y
faudrait un outillage conceptuel et matériel qui ne sera certainement
jamais réuni. Les généticiens proprement dits savent que le « génome »,
déjà complexe, ne contient qu'une portion infime des informations
susceptibles d'être portées dans le noyau cellulaire ; mais l'intérêt de
ces recherches pour l'espèce laisse imaginer leur investigation ; il n'en
va pas de même pour nos ratures.
Ce nombre des informations que la génétique littéraire doit prendre en
compte détermine ses faiblesses. Une page moyenne du manuscrit des
Misérables, qui est intermédiaire entre une mise au net et un jeu de
manuscrits de travail, comporte quelques dizaines - disons cinquante -
modifications du texte, soit 170 000 pour l'ensemble. Mais chacune comporte
elle-même un grand nombre de caractères : sa date - difficile à établir -,
tous les aspects littéraires qu'elle est susceptible de revêtir à elle
seule (style, genre, énonciation, valeur en poétique narrative, valeur pour
la construction des personnages, etc.) et tous ceux qu'elle est susceptible
d'avoir sous chacun de ces aspects dans son lien aux autres modifications.
Cela sans tenir compte des brouillons et notes, ni des corrections sur
épreuves.
De là que la génétique littéraire soit constamment affrontée à l'aporie
de la queue du cheval, au saut du quantitatif au qualitatif. La capacité
interprétative ou compréhensive du généticien se voit mise en déroute à
chaque instant par le fait que chacune des transformations observées est,
par elle-même, insignifiante. On les néglige donc ; les « variantes » sont
rejetées en notes, exception faite des plus « intéressantes » - celles qui
le semblent avant tout examen. Aucune note ne signalera donc que Hugo
corrige « Les portes de D. étaient fermées. D., qui a soutenu des sièges
dans les guerres de religion, est encore entourée de vieilles murailles
flanquées de tours carrées. » en « Les portes de Digne étaient fermées.
Digne, qui a soutenu des sièges dans les guerres de religion, était encore
entourée en 1815 de vieilles murailles flanquées de tours carrées qu'on a
démolies depuis. » Lacune justifiée : la disparition des tours de D. reste
indifférente tant qu'on n'a pas vu que cette correction entre dans une
série abondante de transformations comparables qui participent à un recul
de l'action dans le passé par où passe l'historicisation générale du texte
pendant l'exil. Or il est exceptionnel que l'on dispose de la clef de ce
que l'on observe. À la centième fois où l'on note que Hugo a changé
Sylvanie en Baptistine, on ne se demande plus pourquoi Hugo en a pris la
peine, mais pourquoi on la prend soi-même. Considération qui atténue
cependant la continuelle déception du généticien attelé à un travail
inutile : s'il en a pris la peine, je peux bien la prendre.
Il n'empêche que je n'ai affaire qu'à de l'insignifiant. Un insignifiant
qui a toutes les raisons de l'être puisque la cohérence du texte avant
correction n'est, en droit, guère plus petite qu'après et que donc le texte
de la première version semble aussi bien venu, naturel et voulu, que celui
de la seconde.
Cependant l'écart entre elles est là, visible, demandant qu'on lui donne
sens, offrant prise sur le texte par sa résistance même et c'est ce qui
fait l'intérêt de la génétique pour la compréhension des textes. À la fin
de son livre L'Ange de la théorie, France Vernier déduit de celle qu'elle
propose quelques suggestions utiles à l'explication des textes, au nombre
desquelles l'introduction d'un écart susceptible d'en fracturer la clôture.
La phrase « Longtemps je me suis couché de bonne heure » n'appelle, par
elle-même, aucun commentaire : s'il dit qu'il s'est longtemps couché de
bonne heure, c'est qu'il s'est longtemps couché de bonne heure. Seule une
comparaison peut rayer l'opacité de l'évidence du texte. On la
recherchera dans le rapprochement avec d'autres « incipit » romanesques -
« Dans les premiers jours du mois d'octobre 1815, une heure environ avant
le coucher du soleil, un homme qui voyageait à pied entrait dans la petite
ville de Digne » -, ou avec une formulation qu'on invente soi-même - « Ce
jour-là, l'un des premiers du mois d'octobre 1815, je me couchai de bonne
heure ». Or le brouillon a cette supériorité d'offrir une faille nullement
arbitraire, probablement oiseuse, mais ouverte par l'auteur lui-même,
d'être une étape du cheminement du texte vers son sens et vers sa nécessité
formelle. Si Hugo, pendant l'exil, corrige systématiquement les mots
« pauvre » et « pauvreté » - à ce point systématiquement que ce peut être
un critère de datation - et les remplace par « indigent/indigence »,
« nécessiteux/nécessité », « malheureux/malheur », il est exclu que ce soit
sans raison - raison facile à deviner. Mais d'autant plus que la lecture du
texte définitif suffit à persuader que la misère n'est pas la pauvreté, ni
Les Misérables L'Extinction du paupérisme. Retour au tourniquet initial :
lorsqu'elle s'explique, la correction est insignifiante parce qu'on savait
sans elle ce qui en rend compte. Lorsqu'elle ne s'explique pas, elle reste
insignifiante parce que rien n'en rend compte.
À quoi s'ajoute que plus l'écart est grand, plus son interprétation est
conjecturale, avec, à la limite, le saut du rien à quelque chose,
l'invention. Démolies ou pas depuis 1815, les vieilles murailles de Digne
sont là dès la première version. Il arrive, c'est assez fréquent pour Les
Misérables, qu'on assiste à la naissance d'un épisode ou d'un personnage ou
à sa transformation si radicale qu'elle équivaut à une invention. C'est le
cas pour tous les personnages collectifs (bandits de Patron-Minette, amis
de l'ABC, religieuses du couvent, soldats de Waterloo) mais aussi pour
Myriel, Gillenormand, Gavroche et même pour Javert ainsi que, dans une
moindre mesure, pour les Thénardier. Il n'est pas bien sorcier de la
justifier, d'en comprendre l'opportunité, mais cela ne l'explique jamais :
le livre s'en serait fort bien passé, - la preuve, il s'en est passé. Sans
doute, il aurait été légèrement différent. Légèrement ? C'est affaire de
mesure et l'on revient à l'aporie de la transformation du quantitatif en
qualitatif, sans d'ailleurs lever l'énigme de l'invention elle-même. Celle
du Javert que nous connaissons était sans doute indispensable au livre que
nous lisons, mais Hugo, qui n'est jamais à court, pouvait peut-être
parvenir au même effet par d'autres moyens.
Au bout du compte il faut bien faire la part du génie. Celui de Hugo fut-
il d'imaginer une structure romanesque (le schéma de l'action d'ensemble et
les quatre principaux personnages) si productive que son exécution ne
dema