La tarification « sociale » de l'eau
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Prix de l'eau : discrimnation en fonction des catégories d'usagers
ET TARIFICATION SOCIALE
PAR JACQUES MOREAU, PROFESSEUR ÉMÉRITE À L'UNIVERSITÉ PARIS II
et Philippe BILLET, Professeur à l'Université de Bourgogne
La question de la tarification des services publics d'eau et
d'assainissement appelle d'une part l'approfondissement de la question
des catégories d'usagers qu'il est possible d'instituer (I) et, d'autre
part, que soit traitée la question de la tarification sociale de l'eau
avec, le cas échéant, la création d'une sous-catégorie d'usagers, et
les modalités d'une telle tarification (II) I. - Les catégories potentielles d'usagers de l'eau Les catégories potentielles d'usagers de l'eau se partagent en trois
séries d'usagers : les ménages (ou usages domestiques) d'une part, les
établissements et services publics (ou services d'intérêt général)
d'autre part et, enfin, les usagers à titre professionnel.
1ère catégorie d'usagers : les ménages ou l'usage domestique
L'usage domestique est une expression qui figure dans la LEMA, ce qui
établit sans conteste possible que les ménages constituent une
« catégorie d'usagers » au sens de la loi du 30 décembre 2006.
Le régime juridique correspondant est un régime de droit commun,
exception faite une fois pour toute des usagers aux ressources modestes
ou très limitées et qui pourraient être considérés comme susceptibles
de bénéficier d'un tarif « social » ou « économique » spécifiques (cas
étudié à part dans la présente consultation, puisqu'il soulève la
difficile question de l'interprétation de l'article 1er de la LEMA).
Dans le souci de préciser la marge de liberté dont disposent les
collectivités territoriales pour cet usage « domestique » de l'eau, il
convient d'abord de signaler quelles règles d'application découlent de
la LEMA (A) et, ensuite, de rappeler les solutions concernant tel ou
tel cas particulier (B). - Règles générales d'application 1. - En vertu de l'actuel article L. 2224-12-4 CGCT, la facture d'eau
adressée à l'usager doit comprendre une part proportionnelle
correspondant à sa consommation réelle, et une part forfaitaire, qui
tient compte notamment des conditions d'exploitation du service et des
investissements nécessaires.
Cette prescription n'est pas vraiment nouvelle et est conforme à une
pratique largement entendue.
2. - Aucune demande de caution ou de versement d'un dépôt de garantie
ne peut être formulée par l'exploitant du service ; pour les abonnés
domestiques, de telles exigences sont expressément interdites (CGC,
art. L. 2224-12-3, al. 2).
3. - Le principe d'égalité devant le service public ne s'oppose pas à
ce que la collectivité territoriale et l'exploitant du service fixent
des tarifs à base saisonnière, en cas d'insuffisance crainte de la
ressource en eau (CGCT, art. L. 2224-12-4, IV). Comme il existe une
heure d'été et une heure d'hiver, pourraient être créés dans certaines
communes deux tarifs saisonniers ; un tel choix appartient au conseil
municipal ou à l'assemblée délibérante de l'EPCI.
4. - Enfin, la collectivité ou l'EPCI a le droit de fixer des tranches
de consommation d'eau aux tarifs différenciés.
C'est évidemment une faculté et non une obligation. On voit donc que
le responsable du service eau peut soit établir un tarif uniforme,
applicable à tous les usagers domestiques et strictement proportionnel
au montant de la consommation de l'abonné, soit moduler des tarifs
différents en fonction du volume de la consommation (par exemple, 1ère
tranche : tarif bas qui correspond à l'alimentation et à l'hygiène
individuelle ; 2ème tranche : tarif modéré, strictement équivalent au
coût de la prestation ; 3ème tranche : tarif sensiblement plus élevé,
en vue de décourager le gaspillage).
En bref, une large latitude est laissée au responsable du service, et
le juge administratif compétent ne pourrait guère que censurer les
rarissimes « erreurs manifestes d'appréciation ». - Cas particuliers En tant que tels, ils ne sont pas résolus dans la loi du 30 décembre
2006, dont ce n'était d'ailleurs pas l'objet. Ces cas particuliers
avaient suscité dans le passé divers litiges, c'est donc à la
jurisprudence antérieure à la LEMA qu'il faut se référer pour connaître
les solutions fournies, mais il convient d'indiquer que ces solutions
pourraient ne pas être confirmée à l'avenir, le juge pouvant se
réserver le droit de les modifier.
Ces cas particuliers ont été regroupés en trois séries d'hypothèse pour
présenter cette jurisprudence de manière aussi claire que possible.
Avant de les examiner tout-à-tour, il est indispensable de rappeler que
s'applique à la matière la législation des clauses abusives, puisque le
Conseil d'Etat, dans un arrêt de principe (CE, sect., 11 juill. 2001,
Sté des eaux du Nord, Rec. CE, p. 348, avec les importantes conclusions
de Mme Bergeal), a jugé que le code de la consommation régit les
contrats d'abonnement liant le distributeur et l'usager.
1. - Cas des immeubles collectifs
Il a été jugé que la collectivité pouvait légalement prendre en
considération dans ce cas les caractéristiques du branchement, le
nombre d'appartements desservis et leur mode d'occupation (Cass. Civ.,
1ère, 11 janv. 2000, Synd. des co-propriétaires de la résidence « Le
Pierly » : Collectivités - Intercommunalité 2000, n° 14, note Th.
Célerier - CE, 19 avril 2000, Cne de la Bresse, req. n° 157920 - CE, 25
juin 2003, Cne de Contamines-Montjoie : Rec. CE, tables p. 789 ; Dr.
adm. 2003, n° 209, note M. G.). Cette dernière décision est d'autant
plus intéressante qu'elle rappelle que les textes en vigueur
« n'obligent pas les assemblées délibérantes des collectivités
publiques ou établissements publics dont relève le service d'eau et
d'assainissement à instituer un tarif uniforme par mètre cube prélevé,
qu'elles peuvent légalement instituer un tarif dégressif ou progressif,
en fonction des tranches de consommation » (Cf. A, 4).
2. - Cas des résidences secondaires et des piscines privées
Ces deux cas particuliers sont examinés ici ensemble, alors que dans la
pratique ; ils ne sont pas nécessairement liés.
Pour le remplissage d'une piscine privée, il a été jugée qu'il
constituait un usage particulier de l'eau et que le conseil municipal
avait pu légalement instituer une cotisation annuelle (CE, 14 janv.
1991, Bachelet : Rec. CE p. 13) ; la solution est d'autant plu nette
qu'en l'espèce, la délibération du conseil municipal est analysée comme
une mesure générale, alors qu'en fait elle ne s'appliquait qu'à un seul
usager.
En, revanche, pour les résidences secondaires, le Conseil d'Etat a
censuré une différenciation des tarifs applicable aux résidences
principales et aux résidences secondaires (CE, 28 avril 1993, Cne de
Coux : Rec. CE, p. 138 ; JCP G 1993, IV, 1775).
Deux remarques complémentaires s'imposent ; puisque l'on sait que cette
question est sensible. D'une part la solution précitée ne vaut que
pour les tarifs : un conseil municipal s'est vu reconnaître le droit
d'inscrire dans le règlement du service l'institution de quotas de
consommation susceptibles de varier selon la permanence sur le
territoire communal (CE, 12 juillet 195, Cne de Bougon :req. n°
157191). D'autre part, la faculté ouverte par la loi de fixer, sous
certaines conditions, des tarifs saisonniers (Cf. A 3) permet d'éviter
les abus.
3. - Difficultés liées à la localisation de la consommation.
Elles sont, semble-t-il au nombre de trois.
- d'abord, le principe d'égalité devant le service public - tarif commun
à cette catégorie d'usagers que sont les ménages - cède devant le
principe de la libre administration quand, sur le territoire de la même
commune, coexistent deux modes différents d'organisation du service de
l'eau (par exemple, régie et affermage). Ainsi jugé, dans le cas d'une
zone touristique, dans laquelle les besoins sont saisonniers et où
l'extension du réseau a été particulièrement coûteuse (CE, 26 juillet
1996, Assoc. Narbonne Libertés 89 et Bonnes : Rec. CE, tables, p. 754 -
8 avril 1998, Assoc. pour la promotion et le rayonnement des Orres :
Rec. CE, tables, p. 709 ; BJCL 1998, p. 78, concl. Bergeal) ;
- ensuite une collectivité n'a pas le droit de suspendre la distribution
de l'eau aux habitants d'une commune voisine, par exemple en invoquant
l'insuffisance de la ressource en eau en période de sécheresse (TA
Lyon, 7 mars 1995, Préfet de l'Ardèche c/ Cne de Gluiras : Rec. CE
tables, p. 632/686 - CE 30 déc. 1998, Cne de Gluiras, req. n° 169361).
Il faut remarquer qu'ici, le litige ne portait pas sur les tarifs mais
il est quasi certain que dans ce cas toute discrimination eût été jugée
illégale (CE, 12 juillet 1995, Cne de Maintenon : Rec. CE, p. 305) ;
- Enfin doit être signalé un dernier problème, dot il faut reconnaître
qu'il se situe à la périphérie extérieure des problèmes de tarifs.
L'article 54 de la LEMA créé un article nouveau (art. L. 2224-7-1 CGCT)
en vertu duquel les communes « arrêtent un schéma de distribution d'eau
potable déterminant les zones desservies par le réseau
d'as