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Un examen un tant soit peu exhaustif de l'humanité doit nécessairement prendre
en ...... vingt et une heures, il avait déjà un peu bu et souhaitait aborder des
sujets théoriques. ...... Ils passaient leurs vacances au Cap d'Agde, dans le
secteur naturiste. .... et se dirigea vers le Madison, un bar de nuit de la rue
Chaudronnerie.

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LES ATOMIQUES
Prologue
Ce livre est avant tout l'histoire d'un homme, qui vécut la plus
grande partie de sa vie en Europe occidentale, durant la seconde moitié
du XX ème siècle. Généralement seul, il fut cependant, de loin en loin,
en relation avec d'autres hommes. Il vécut en des temps malheureux et
troublés. Le pays qui lui avait donné naissance basculait lentement,
mais inéluctablement, dans la zone économique des pays moyen-pauvres;
fréquemment guettés par la misère, les hommes de sa génération passèrent
en outre leur vie dans la solitude et l'amertume. Les sentiments
d'amour, de tendresse et de fraternité humaine avaient dans une large
mesure disparu; dans leurs rapports mutuels ses contemporains faisaient
le plus souvent preuve d'indifférence, voire de cruauté. Au moment de sa disparition, Martin Dienkowski était unanimement
considéré comme un biologiste de tout premier plan, et on pensait
sérieusement à lui pour le prix Nobel; sa véritable importance ne devait
apparaître qu'un peu plus tard.
À l'époque où vécut Dienkowski, on considérait le plus souvent la
philosophie comme dénuée de toute importance pratique, voire d'objet. En
réalité, la vision du monde la plus couramment adoptée, à un moment donné,
par les membres d'une société détermine son économie, sa politique et ses
m?urs.
Les mutations métaphysiques - c'est-à-dire les transformations
radicales et globales de la vision du monde adoptée par le plus grand
nombre - sont rares dans l'histoire de l'humanité. Par exemple, on peut
citer l'apparition du christianisme.
Dès lors qu'une mutation métaphysique s'est produite, elle se
développe sans rencontrer de résistance jusqu'à ses conséquences ultimes.
Elle balaie sans même y prêter attention les systèmes économiques et
politiques, les jugements esthétiques, les hiérarchies sociales. Aucune
force humaine ne peut interrompre son cours - aucune autre force que
l'apparition d'une nouvelle mutation métaphysique.
On ne peut pas spécialement dire que les mutations métaphysiques
s'attaquent aux sociétés affaiblies, déjà sur le déclin. Lorsque le
christianisme apparut, l'Empire romain était au faîte de sa puissance;
suprêmement organisé, il dominait l'univers connu; sa supériorité technique
et militaire était sans analogue; cela dit, il n'avait aucune chance.
Lorsque la science moderne apparut, le christianisme médiéval constituait
un système complet de compréhension de l'homme et de l'univers; il servait
de base au gouvernement des peuples, produisait des connaissances et des
?uvres, décidait de la paix comme de la guerre, organisait la production et
la répartition des richesses; rien de tout cela ne devait l'empêcher de
s'effondrer. Martin Dienkowski ne fut ni le premier, ni le principal artisan de
cette troisième mutation métaphysique, à bien des égards la plus radicale,
qui devait ouvrir une période nouvelle dans l'histoire du monde; mais en
raison de certaines circonstances, tout à fait particulières, de sa vie, il
en fut un des artisans les plus conscients, les plus lucides. Nous vivons aujourd'hui sous un tout nouveau règne,
Et l'entrelacement des circonstances enveloppe nos corps,
Baigne nos corps,
Dans un halo de joie.
Ce que les hommes d'autrefois ont quelquefois pressenti au travers de leur
musique,
Nous le réalisons chaque jour dans la réalité pratique.
Ce qui était pour eux du domaine de l'inaccessible et de l'absolu,
Nous le considérons comme une chose toute simple et bien connue.
Pourtant, nous ne méprisons pas ces hommes;
Nous savons ce que nous devons à leurs rêves,
Nous savons que nous ne serions rien sans l'entrelacement de douleur et de
joie qui a constitué leur histoire,
Nous savons qu'ils portaient notre image en eux lorsqu'ils traversaient la
haine et la peur, lorsqu'ils se heurtaient dans le noir,
Lorsqu'ils écrivaient, peu à peu, leur histoire.
Nous savons qu'ils n'auraient pas été, qu'ils n'auraient même pas pu être
s'il n'y avait pas eu, au fond d'eux, cet espoir,
Ils n'auraient même pas pu exister sans leur rêve.
Maintenant que nous vivons dans la lumière,
Maintenant que nous vivons à proximité immédiate de la lumière
Et que la lumière baigne nos corps,
Enveloppe nos corps,
Dans un halo de joie
Maintenant que nous sommes établis à proximité immédiate de la rivière,
Dans des après-midi inépuisables Maintenant que la lumière autour de nos corps est devenu palpable,
Maintenant que nous sommes parvenus à destination
Et que nous avons laissé derrière nous l'univers de la séparation,
L'univers mental de la séparation,
Pour baigner dans la joie immobile et féconde
D'une nouvelle loi
Aujourd'hui,
Pour la première fois,
Nous pouvons retracer la fin de l'ancien règne.
Première Partie : Le Royaume Perdu
1.
Le 1er juillet 1998 tombait un mercredi. C'est donc logiquement,
quoique de manière
inhabituelle, que Dienkowski organisa son pot de départ un mardi soir.
Entre les bacs de congélation d'embryons et un peu écrasé par leur masse,
un réfrigérateur de marque Brandt accueillit les bouteilles de champagne;
il permettait d'ordinaire la conservation des produits chimiques usuels. Quatre bouteilles pour quinze, c'était un peu juste. Tout, d'ailleurs,
était un peu juste: les motivations qui les réunissaient étaient
superficielles; un mot maladroit, un regard de travers et le groupe
risquait de se disperser, chacun se précipitant vers sa voiture. Ils se
tenaient dans une pièce climatisée en sous-sol, carrelée de blanc, décorée
d'un poster de lacs allemands. Personne n'avait proposé de prendre de
photos. Un jeune chercheur arrivé en début d'année, un barbu d'apparence
stupide, s'éclipsa au bout de quelques minutes en prétextant des problèmes
de garage. Un malaise de plus en plus perceptible se répandit entre les
convives; les vacances étaient pour bientôt. Certains se rendaient dans une
maison familiale, d'autres pratiquaient le tourisme vert. Les mots échangés
claquaient avec lenteur dans l'atmosphère. On se sépara rapidement. À dix-neuf heures trente, tout était terminé. Dienkowski traversa le
parking en compagnie d'une collègue aux longs cheveux noirs, à la peau très
blanche, aux seins volumineux. Elle était un peu plus âgée que lui;
vraisemblablement, elle allait lui succéder à la tête de l'unité de
recherches. La plupart de ses publications portaient sur le gène DAF3 de la
drosophile; elle était célibataire.
Debout devant sa Toyota, il tendit une main à la chercheuse en
souriant (depuis quelques secondes il prévoyait d'effectuer ce geste, de
l'accompagner d'un sourire, il s'y préparait mentalement). Les paumes
s'engrenèrent en se secouant doucement. Un peu tard il songea que cette
poignée de main manquait de chaleur; compte tenu des circonstances ils
auraient pu s'embrasser comme le font les ministres, ou certains chanteurs
de variété.
Les adieux consommés, il demeura dans sa voiture pendant cinq minutes
qui lui parurent longues. Pourquoi la femme ne démarrait-elle pas? Se
masturbait-elle en écoutant du Brahms? Songeait-elle au contraire à sa
carrière, à ses nouvelles responsabilités, et si oui s'en réjouissait-elle?
Enfin, la Golf de la généticienne quitta le parking; il était de nouveau
seul. La journée avait été superbe, elle était encore chaude. En ces
semaines du début de l'été, tout paraissait figé dans une immobilité
radieuse; pourtant, Dienkowski en était conscient, la durée des jours avait
déjà commencé à décroître. Il avait travaillé dans un environnement privilégié, songea-t-il en
démarrant à son tour. À la question: «Estimez-vous, vivant à Palaiseau,
bénéficier d'un environnement privilégié?», 63 % des habitants répondaient:
« Oui. » Cela pouvait se comprendre; les bâtiments étaient bas, entrecoupés
de pelouses. Plusieurs hypermarchés permettaient un approvisionnement
facile ; la notion de qualité de vie semblait à peine excessive, concernant
Palaiseau.
En direction de Paris, l'autoroute du Sud était déserte. Il avait
l'impression d'être dans un film de science-fiction néo-zélandais, vu
pendant ses années d'étudiant: le dernier homme sur Terre, après la
disparition de toute vie. Quelque chose dans l'atmosphère évoquait une
apocalypse sèche.
Dienkowski vivait rue Frémicourt depuis une dizaine d'années; il s'y
était habitué, le quartier était calme. En 1993, il avait ressenti la
nécessité d'une compagnie; quelque chose qui l'accueille le soir en
rentrant. Son choix s'était porté sur un canari blanc, un animal craintif.
Il chantait, surtout le matin; pourtant, il ne semblait pas joyeux; mais un
canari peut-il être joyeux? La joie est une émotion intense et profonde, un
sentiment de plénitude exaltante ressenti par la conscience entière; on
peut la rapprocher de l'ivresse, du ravissement, de l'extase. Une fois, il
avait sorti l'oiseau de sa cage. Terrorisé, celui-ci avait chié sur le
canapé avant de se précipiter sur les grilles à la recherche de la porte
d'entrée. Un mois plus tard, il renouvela la tentative. Cette fois, la
pauvre bête était tombée par la fenêtre; amortissant tant bien que mal sa
chute, l'oiseau avait réussi à se poser sur un balcon de l'immeuble en
face, cinq étages plus bas. Martin avait dû attendre le retour de
l'occupante, espérant ardemment qu'elle n'ait pas de chat. Il s'avéra que
la fille était rédactrice à 20 Ans; elle vivait seule et rentrait tard.
Elle n'avait pas de chat.
La nuit était tombée; Martin récupéra le petit animal qui tremblait de
froid et de peur, blotti contre la paroi de béton. À plusieurs reprises,
généralement en sortant ses poubelles, il croisa de nouveau la rédactrice.
Elle hochait la tête, probablement en signe de reconnaissance; il hochait
de son côté. Somme toute, l'incident lui avait permis d'établir une
relat