LILITH,

Exégètes et poètes sont à l'écoute de cette présence harcelante et pourtant .... L'
examen des sources antiques et traditionnelles relatives à Lilith nous a amené ...

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LILITH,
AVATARS ET METAMORPHOSES D'UN MYTHE
ENTRE ROMANTISME ET DECANDENCE
Avant propos de l'ouvrage de Pascale Auraix-Jonchière, Presses
universitaires Blaise Pascal, 2011 [pic] [ ... ] Tous ces dieux monstrueux obscurcissent l'azur
Les dieux de Babylone et tous les dieux d'Assur
[ ... ] Baal au nom multiple adoré sur les côtes
Ce tourbillonnement Belzébuth dieu des mouches
Et des champs de bataille écoutez écoutez
Tanit vient en criant et Lilith se lamente G. Apo llinaire, Couleur du temps l. Lilith, il faut y prendre garde, passe chaque jour parmi nous. Qui n'a sans
le savoir, à travers la foule des êtres que nous coudoyons, entrevu sa
trace ? M. Chadourne, Dieu créa d'abord Lilith2. Le visage et la voix de Lilith traversent les siècles sans relâche.
Exégètes et poètes sont à l'écoute de cette présence harcelante et pourtant
évanescente, labile et quasi incernable, dont l'existence remonte aux
origines de l'histoire et de l'écriture. Figure des commencements, Lilith
adjoint à son étonnante pérennité son pouvoir à la fois répulsif et
fascinateur, révélateur d'une évolution complexe. Jacques Bri1 et Michèle
Bitton4 font remarquer que, depuis la période sumérienne, au IVe
millénaire avant Jésus-Christ, période à laquelle remontent les débuts de
l'écriture, Lilith « poursuit [00'] une des plus longues carrières dont
puisse se prévaloir une représentation de la féminité démoniaque». Le terme
de «représentation» mérite commentaire: Lilith serait d'abord figure ou
plus exactement archétype, cette empreinte mentale qui témoigne, selon
Jung, de la vitalité et de l'impact d'une image1 sur l'âme, en
correspondance le plus souvent avec légendes, traditions ou dogmes
religieux. Il est clair que cette « continuité millénaire [ ... ] est le
reflet de quelque aspect essentiel de l'imaginaire de l'homme »2, qu'il
s'agit là d'une «projection ou d'une objectification des craintes et des
désirs humains »3. Pour le dire autrement Lilith, image rémanente et
collective, serait un invariant en relation avec l'inconscient. Dans un
premier temps en effet, Lilith est démone, comme s'en souvient Guillaume
Apollinaire. À Akkad, la première civilisation mésopotamienne désignait
toutes les forces hostiles de la nature (notamment le vent et l'orage) par
le terme générique de « Lils », sans distinction de sexe. Cette racine se
retrouve plus tard, dans le nom féminisé de la grande prostituée « Lilitu
», courtisane sacrée de la déesse de la guerre et de l'amour, Innana,
l'Ishtar des Babyloniens. Lilitu a pour rôle de séduire les hommes, Stephen
Langton décèle dans son nom «la première évocation écrite de la lascivité
féminine »4. Elle est désignée dans diverses formules d'exorcisme aux côtés
de Lilû, « démon mâle, [ .. ] esprit de licence et de lascivité» dont elle
est la commère1. Elle est « la lilitu, l' ardat lili (ou ravisseur femelle
de la lumière) » dont on tente de conjurer les «enchantements» et les «
maléfices». Malgré les variations onomastiques (lilitu, ardat lili, mais
aussi Lilla par exemple) les traits de la démone commencent à se fixer :
elle est une «ravisseuse nocturne », ailée, aux pouvoirs vampiriques.
Concrétion de désirs et de craintes, elle est projection obscure de la
psyché. Or cette croyance aux démons est importée en Palestine à l'issue du premier
exil des Juifs: Lilith s'enracine alors dans la pensée juive à la faveur de
son insertion dans les textes scripturaires. L'Ancien Testament comporte en
effet une mention du nom de la courtisane, en Isaïe 34,14, dans un contexte
eschatologique. Cette occurrence unique a suscité diverses interprétations.
Pour certains, elle est le signe d'un rejet et d'une occultation ; pour
d'autres au contraire, elle confirme « [la] naturalisation [de Lilith] dans
le judaïsme post-exilique »2. En tout cas, la démone est agent de
malédiction ; elle apparaît dans un paysage désertique, aux côtés d'un
bestiaire maléfique. Au pays d'Édom damné par le Seigneur, l'eau se change
en poix et la poussière en soufre (Isaïe, 34, 9), l'espace est envahi par
le hibou, la chouette et le corbeau (34, Il) : Dans ses forteresses pousseront des ronces,
dans ses fortifications des orties et des chardons,
Ce sera le repaire des chacals,
l'aire des autruches.
Les chats sauvages y rencontreront les hyènes,
les satyres s'y répondront. Et là aussi s'installera Lilith : elle y
trouvera le repos.
C'est là que le serpent fera son nid, pondra, couvera ses ?ufs et les fera
éclore sous sa protection.
Lilith, on le voit, «prend place dans la faune mystérieuse qui relève des
esprits mauvais» 1. Un paysage symbolique est ainsi esquissé, que l'on
retrouvera dans l'imagerie littéraire qui lui sera ultérieurement associée.
Les diverses traductions de la Bible soulignent avec constance la dimension
funeste, démonique, du personnage: dans la Vulgate de Saint Jérôme2, «lamia
»3 remplace Lilith, la traduction de Lemaître de Sacy en 16734 privilégie
le terme de « sirène». Le commentaire que propose dom Calmet de ce passage
en 1724 souligne d'ailleurs l'équivalence entre ces trois termes, hébreu,
latin et français : Lamia, qu'on traduit ici par sirène, signifie proprement un spectre
qui apparaissait la nuit et qui dévorait les enfants. C'est l'idée
qu'en avaient les Anciens. Diodore de Sicile dit que Lamia était une
reine qui régnait autrefois en Afrique, et qui était d'une rare
beauté: mais ayant perdu tous ses enfants, elle en conçut tant de
chagrin, qu'elle en tomba en phrénésie. Sa face se changea en celle
d'une bête farouche, et arrachant les enfants d'entre les mains de
leurs mères, elle les faisait cruellement mourir [00']' L'Hébreu
Lilith, suivant les Rabbins, était la première femme d'Adam [00']'
Elle leur dit [aux Anges] qu'elle était créée pour tourmenter, et même
pour faire mourir les petits enfants à leur naissance .[1] Quant à la traduction protestante de Segond en 1877, elle choisit une
périphrase couramment employée aux XVIIIe et XI Xe siècles pour désigner
Lilith : « le spectre de la nuit» 1. Cette dimension nettement maléfique
perdure d'autre part par le biais de la Kabbale. Traditions « populaires,
érudites et spirituelles »2 convergent pour renforcer la dimension
mortifère de la figure. En particulier, le Talmud de Babylone3 «affirme
dans le judaïsme l'existence d'un personnage fabuleux du nom de Lilith et
en trace des contours plus spécifiques »4, son caractère de succube est
nettement souligné dans des mises en garde répétées. De même encore dans le
Zohar ou Livre des Splendeurs, «l'ouvrage le plus important de la
littérature de la Kabbale» selon Gershom Scholem, qui l'attribue à Moïse de
Léon, avant 12865, la signification générale reste identique: Lilith est
«un agent démoniaque de calamités »6. Mais au-delà de cet ensemble de
représentations, ce démon féminin, prédateur et lascif a une histoire, à
demi rêvée et parfois contrefaite, mais qui néanmoins l'érige à proprement
parler en figure mythique. L'Alphabet de Ben Sira, rédigé en Perse vers le Xe siècle après Jésus-
Christ, retrace une légende qui se présente sous la forme d'un récit très
circonstancié, qui conduit à une relecture plus attentive des épisodes
bibliques de la Genèse, voire à une nouvelle exégèse. L'Alphabet fait de Lilith la Première Ève, sujet central d'un mythe
cosmogonique tu par la Bible, ou plus exactement présent « en creux », dans
l'interstice problématique ménagé par les deux versions successives et
contradictoires du récit de la création de l'homme. Le premier récit
présente une création simultanée de l'homme et de la femme, égaux l'un à
l'autre: Dieu dit: «Faisons l'homme à notre image, selon notre ressemblance et
qu'il soumette les poissons de la mer, les oiseaux du ciel, les
bestiaux, toute la terre et toutes les petites bêtes qui remuent sur
la terre! »
Dieu créa l'homme à son image, à l'image de Dieu il le créa; mâle et
femelle il les créa. (Gen, 1,24-27). Mais le chapitre deux propose une version radicalement différente de cet
épisode majeur. Là, la création s'effectue en deux temps, première façon de
suggérer une subordination de la femme à l'homme, en raison de la préséance
de ce dernier: Le Seigneur Dieu modela l'homme avec de la poussière prise du
sol. Il insuffla dans ses narines l'haleine de vie et l'homme devint
un être vivant. (Gen, 2,7). Ce n'est qu'ensuite qu'est créée la femme, décalage temporel qui se
redouble d'une dépendance de fait: Le Seigneur Dieu dit: «Il n'est pas bon pour l'homme d'être
seul. Je veux lui faire une aide qui lui soit accordée ». [ ... ] Le
Seigneur Dieu fit tomber dans une torpeur l'homme qui s'endormit; il
prit l'une de ses côtes et referma les chairs à sa place 0 Le Seigneur
Dieu transforma la côte qu'il avait prise à l'homme en une femme qu'il
lui amena. L'homme s'écria:
« Voici cette fois l'os de mes os et la chair de ma chair, celle-
ci, on l'appellera femme car c'est de l'homme qu'elle a été prise»
(Gen, 2,18-23). Or, l'Alphabet de Ben Sira, commente Jacques Bril, «repose sur l'hypothèse
d'une double création ou plutôt de deux créations successives de la femme,
la première création, plus égalitaire, s'étant soldée par un échec »10
Voici la version kabbalistique