Ambivalence et énantiosémie - TEL (thèses-en-ligne)

»[8] D'autres découvertes freudiennes sont étroitement liées à l'ambivalence. ......
au passé ou au futur fait sursauter comme cela peut se produire au cours d'un
rêve. Enfin ..... La schizomanie simple », Société médico-psychologique
novembre 1925). ...... [25] Cette situation particulière des semi-voyelles à la
frontière entre ...

Part of the document

Ambivalence et énantiosémie Thèse de doctorat Josette Larue-Tondeur
Sous la direction de Michel Arrivé Unité d'accueil :
Laboratoire MoDyCo (Modèles, Dynamiques, Corpus)
Ecole doctorale 139 « Connaissance, langage, modélisation »
UMR 7114 CNRS & Université Paris X
200 Avenue de la République
92001 Nanterre
Résumé : L'ambivalence psychique, ou coprésence de tendances ou de désirs
opposés, se reflète dans la langue par l'énantiosémie, qui est la
coprésence des contraires. Freud en avait eu l'intuition en prenant
connaissance des travaux du linguiste Abel. L'apprentissage du langage
s'opère au moment de l'ambivalence entre fusion et séparation d'avec la
mère et la langue en porte la marque profonde. Le désir est ambivalent et
la sublimation s'effectue sur le mode ambivalent. L'énantiosémie de la
langue s'avance masquée, comme l'Inconscient, mais reste sous-jacente dans
le lexique, la syntaxe et la sémantique -en particulier dans le domaine de
la négation- , dans la prosodie et la phonologie, ainsi que dans les
figures de style. Elle est liée à la plasticité de la langue qui peut dire
à la fois quelque chose et son inverse. Enfin, elle est au fondement de la
pensée et de l'imaginaire. La poésie la magnifie dans l'harmonie des
contraires, ce que révèlent quelques analyses textuelles.
Mots-clés : ambivalence, schizophrénie, sublimation, énantiosémie,
négation, sonorités, rythme, mythologie, poésie.
Unité d'accueil :
Laboratoire MoDyCo (Modèles, Dynamiques, Corpus)
Ecole doctorale 139 « Connaissance, langage, modélisation »
UMR 7114 CNRS & Université Paris X
200 Avenue de la République
92001 Nanterre
Remerciements
Je remercie d'abord Michel Arrivé, sans qui je n'aurais pas entrepris
ce travail. Je lui sais gré de sa disponibilité, de ses qualités
intellectuelles et humaines, de son talent d'écrivain et de ses précieux
conseils. C'est un bonheur de travailler avec lui.
Je remercie également tous les professeurs dont j'ai eu la joie de
suivre les cours, et plus particulièrement ceux qui m'ont donné des
conseils de méthode et/ou des idées fructueuses : Jean-Jacques Franckel,
Jean-François Jeandillou, Sylvain Kahane et Danielle Leeman.
Que soit remercié aussi Jacques Filliolet qui m'a initiée à la
linguistique et qui m'a communiqué son enthousiasme pour cette discipline.
Merci infiniment à Huguette Serri, ma formatrice en psycho-pédagogie, qui
m'a vivement encouragée à poursuivre des études, avec une confiance
vivifiante.
Enfin je voue une immense gratitude, pour leur gentillesse et leur
disponibilité, à Catherine Perret, directrice de la bibliothèque
universitaire de Paris X- Nanterre, et son personnel, ainsi qu'à la
directrice de la bibliothèque de Lettres et Linguistique et son personnel.
Ces bibliothèques admirablement fournies sont des lieux de jubilation très
nutritifs qui m'ont été considérablement utiles. Hypothèse de travail
L'ambivalence fondatrice de l'Inconscient se manifeste dans la langue
notamment par l'énantiosémie, c'est-à-dire la « co-présence de deux sens
contraires », selon la définition que donne de ce néologisme Claude Hagège
(1985, p. 154), à la suite de Roland Barthes qui définit le terme
« énantiosème » comme « un signifiant contradictoire » (« L'esprit de la
lettre », 1982 p. 95). Le problème est que l'énantiosémie « s'avance
masqué[e] », selon l'expression de Freud à propos de l'Inconscient. Il est
intéressant d'en étudier les manifestations, car elle est étroitement liée
à la créativité verbale.
Par extension, si l'on accorde au terme d' « énantiosémie » le sens
d' « alliance des contraires » ou de « va-et-vient entre deux pôles
opposés », il devient envisageable de généraliser l'énantiosémie à toute la
langue : non seulement dans le domaine lexical, mais aussi dans le domaine
syntaxique, dans le système phonologique à valeurs oppositives, dans
l'immense champ du style, dans les connotations symboliques et
mythologiques. L'ambivalence est à la source du déploiement de la
créativité verbale : la pensée naît par contrastes ; l'imaginaire se fonde
sur des universaux d'ambivalence tels que vie/mort, Eros/Thanatos,
permanence/métamorphose, fusion/séparation, etc. Enfin, la créativité
poétique utilise à la fois les connotations symboliques et mythologiques
ambivalentes, les potentialités opposées du symbolisme phonétique (par
exemple, la voyelle aiguë / i / peut suggérer la joie ou la douleur), les
parallélismes grammaticaux et rythmiques qui permettent aussi bien les
oppositions que les équivalences. La poésie se révèle le domaine par
excellence de l'énantiosémie, ce qui va de pair avec l' « attention
flottante » du poète envers son Inconscient ambivalent. Cette expression de
Freud au sujet de l'écoute psychanalytique, d'Inconscient à Inconscient,
dans une attitude de totale ouverture (1912), convient aussi à la
réceptivité poétique et au plaisir esthétique du lecteur.
Plan succinct I Ambivalence fondatrice de l'Inconscient.
1) Les psychanalystes : Freud, Hermann, Lacan et quelques autres
2) Les schizophrènes à proximité de leur Inconscient : antiphrases et
paradoxes 3) La sublimation : expression du psychisme sur le mode ambivalent
II Enantiosémie généralisée
1) Langue : lexique, syntaxe et sémantique ; phonologie et prosodie ;
figures de style
2) Pensée : philosophie grecque antique, philosophie européenne des
derniers siècles, la pensée vue par la psychanalyse 3) Imaginaire : mythes, sacré et symboles
III Poésie : lieu privilégié de l'ambivalence 1) Proust : lumière marine, in A l'ombre des Jeunes Filles en Fleurs
2) Proust : les carafes de la Vivonne, in Du Côté de chez Swann 3) Hugo : « Booz endormi » in La Légende des Siècles
Après avoir défini les mots du titre et procédé à l'historique du
néologisme « énantiosémie », nous ferons le point sur l'ambivalence
fondatrice de l'Inconscient en psychanalyse et ses manifestations dans le
langage des schizophrènes et dans la créativité littéraire. Puis nous
étudierons l'énantiosémie dans tous les domaines de la langue (lexique,
syntaxe et sémantique ; phonologie et prosodie ; figures de style) et dans
la créativité de la pensée et de l'imaginaire.
Nous nous intéresserons plus particulièrement à la poésie, domaine
privilégié de l'ambivalence : le poète est proche de son Inconscient dans
ses périodes de créativité ; ses textes offrent des images symboliques et
des figures de style remarquables telles que l'ellipse, la métaphore, le
chiasme et l'antithèse qui fonctionnent en miroir de sa psyché. Tous les
domaines de la langue convergent dans la représentation de l'ambivalence en
poésie. Enfin, nous proposerons quelques analyses textuelles de poèmes et
passages poétiques, lieux de l'alliance des contraires. Définition des mots du titre
L'ambivalence, selon la définition de Laplanche et Pontalis, est la
« présence simultanée dans la relation à un même objet, de tendances,
d'attitudes et de sentiments opposés, par excellence l'amour et la haine »
(1967, p. 19). Le nom ambivalence est emprunté en 1911 à l'allemand
Ambivalenz, où ambi- représente le latin ambo- « tous les deux ». Il
désigne d'abord en psychologie et psychiatrie « la coexistence de deux
tendances ou composantes contraires ». Puis, par extension d'usage, il perd
la notion d'opposition et désigne plus généralement, à partir de 1936, le
« caractère de ce qui se présente sous deux aspects différents, avec une
idée d'ambiguïté ».
Bleuler a forgé en 1910 ce terme qu'il définit comme l' « apparition
simultanée de deux sentiments opposés à propos de la même représentation
mentale ». Il considère l'ambivalence dans les trois domaines de la
volonté, l'intellect et l'affectivité. Il fait de l'ambivalence un symptôme
majeur de la schizophrénie, mais reconnaît l'existence d'une ambivalence
normale. Ce substantif est fondé sur le préfixe ambi- et la racine valere
« valoir ».
Freud a emprunté à Bleuler l'adjectif « ambivalent » dans Totem et
tabou à propos de la prohibition du contact (1912 ; 1976 p. 38-48) et le
substantif « ambivalence », notamment dans ses Essais de psychanalyse à
propos de l'amour et de la haine (1915 ; 2001 p. 19).
L'historique du mot « énantiosémie » sera plus longue. Le vocable
« énantiosème » employé d'abord par Roland Barthes est défini par lui comme
« signifiant contradictoire » dans « L'esprit de la lettre » (1982, p. 95).
Il est repris par Nancy Huston à propos de l'imprecatio latine qui
signifiait aussi bien la prière que la malédiction (1980 ; 2002 p. 32). Le
néologisme « énantiosémie » réapparaît sous la plume de Claude Hagège dans
L'Homme de paroles ( 1985 p. 154) à propos du vieux débat concernant les
sens opposés des mots primitifs et dont il faut retracer l'histoire liant
ou opposant tour à tour psychanalystes et linguistes.
Une intuition géniale de Freud
Freud et Abel
Tout commence par un article de Freud publié d'abord en 1910 intitulé
« Des sens opposés dans les mots primitifs », d'après la traduction de
Marie Bonaparte et Mme E. Marty. Il s'agit d'un commentaire enthousiaste du
psychanalyste