brunel mondialisation

Un examen attentif montre que ce phénomène n'est ni linéaire ni irréversible. ...
Ils sont dopés par la généralisation du libre-échange, avec la mise en place du ...
jusque-là nationaliste, protectionniste et autarcique, se libéralise à son tour.

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Qu'est-ce que la mondialisation ? Sylvie Brunel
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Mensuel N° 180 - SPÉCIAL - mars 2007, 10 questions sur la mondialisation -
5E50 Depuis le début des années 1990, la « mondialisation » désigne une nouvelle
phase dans l'intégration planétaire des phénomènes économiques, financiers,
écologiques et culturels. Un examen attentif montre que ce phénomène n'est
ni linéaire ni irréversible. « Avant, les évènements qui se déroulaient dans le monde n'étaient pas
liés entre eux. Depuis, ils sont tous dépendants les uns des autres. » La
constatation est banale, hormis le fait que celui qui la formule, Polybe,
vivait au IIe siècle avant J.-C. ! La mondialisation, cette création d'un
espace mondial interdépendant, n'est donc pas nouvelle. Certains la font
même remonter à la diffusion de l'espèce humaine sur la planète...
Dès l'Empire romain, une première mondialisation s'est organisée autour de
la Méditerranée. Mais il faut attendre les grandes découvertes, au XVe
siècle, pour assurer la connexion entre les différentes sociétés de la
Terre et la mise en place de cette« économie-monde » décrite par
l'historien Fernand Braudel (1). Une mondialisation centrée sur
l'Atlantique culmine au XIXe siècle : entre 1870 et 1914 naît un espace
mondial des échanges comparable dans son ampleur à la séquence actuelle.
Ouverture de nouvelles routes maritimes, avec le percement des canaux de
Suez et de Panama, doublement de la flotte marchande mondiale et extension
du chemin de fer, multiplication par 6 des échanges, déversement dans le
monde de 50 millions d'Européens, qui peuplent de nouvelles terres et
annexent d'immenses empires coloniaux..., la naissance de la mondialisation
telle que nous la connaissons aujourd'hui a commencé il y a un siècle et
demi.
Mais le processus n'est pas linéaire : la Première Guerre mondiale puis la
grande dépression des années 1930 suscitent la montée des nationalismes
étatiques, une fragmentation des marchés, le grand retour du
protectionnisme. La mondialisation n'est plus à l'ordre du jour jusqu'à la
Seconde Guerre mondiale. La guerre froide et la constitution des blocs
figent ensuite le monde pendant près d'un demi-siècle. Pourtant, la
mondialisation actuelle est déjà en train de se mettre en place. Jacques
Adda la définit comme « l'abolition de l'espace mondial sous l'emprise
d'une généralisation du capitalisme, avec le démantèlement des frontières
physiques et réglementaires (2) ». Selon l'OCDE, elle recouvre trois
étapes :
. L'internationalisation, c'est-à-dire le développement des flux
d'exportation ;
. La transnationalisation, qui est l'essor des flux d'investissement et des
implantations à l'étranger ;
. La globalisation, avec la mise en place de réseaux mondiaux de production
et d'information, notamment les NTIC (nouvelles technologies d'information
et de communication).
La mondialisation actuelle, ce « processus géohistorique d'extension
progressive du capitalisme à l'échelle planétaire », selon la formule de
Laurent Carroué (3), est à la fois une idéologie - le libéralisme -, une
monnaie - le dollar -, un outil - le capitalisme -, un système politique -
la démocratie -, une langue - l'anglais.
A chaque phase de mondialisation, on retrouve les mêmes constantes :
révolution des transports et des moyens de communication, rôle stratégique
des innovations (les armes à feu au XVe siècle, la conteneurisation après
la Seconde Guerre mondiale, Internet depuis les années 1990), rôle
essentiel des Etats mais aussi des acteurs privés, depuis le capitalisme
marchand de la bourgeoisie conquérante à la Renaissance jusqu'aux firmes
transnationales et aux ONG aujourd'hui.
D'abord et avant tout une globalisation financière
C'est le « doux commerce », selon la formule de Montesquieu, qui fonde la
mondialisation : ce que les Anglo-Saxons appellent globalisation (le terme
mondialisation n'a pas son équivalent anglais) est né d'un essor sans
précédent du commerce mondial après 1945. Depuis cette date, les échanges
progressent plus vite que la production de richesses. Ils sont dopés par la
généralisation du libre-échange, avec la mise en place du Gatt (l'accord
général sur les tarifs et le commerce) en 1947 et la création de l'OMC
(Organisation mondiale du commerce) en 1995.
La mondialisation actuelle est d'abord et avant tout une globalisation
financière, avec la création d'un marché planétaire des capitaux et
l'explosion des fonds spéculatifs. La fin de la régulation étatique qui
avait été mise en place juste après la Seconde Guerre mondiale s'est
produite en trois étapes : d'abord, la déréglementation, c'est-à-dire la
disparition en 1971 du système des parités stables entre les monnaies, qui
se mettent à flotter au gré de l'offre et de la demande ; ensuite, la
désintermédiation, possibilité pour les emprunteurs privés de se financer
directement sur les marchés financiers sans avoir recours au crédit
bancaire ; enfin, le décloisonnement des marchés : les frontières qui
compartimentaient les différents métiers de la finance sont abolies,
permettant aux opérateurs de jouer sur de multiples instruments financiers.
Grâce aux liaisons par satellite, à l'informatique et à Internet, la
mondialisation se traduit par l'instantanéité des transferts de capitaux
d'une place bancaire à une autre en fonction des perspectives de profit à
court terme. Les places boursières du monde étant interconnectées, le
marché de la finance ne dort jamais. Une économie virtuelle est née,
déconnectée du système productif : au gré des variations des taux d'intérêt
des monnaies et des perspectives de rémunération du capital, la rentabilité
financière des placements devient plus importante que la fonction
productive. Les investisseurs peuvent choisir de liquider une entreprise,
de licencier ses salariés et de vendre ses actifs pour rémunérer rapidement
les actionnaires.
L'avènement des doctrines libérales
Comment en est-on arrivé là ? Le tournant décisif se produit dans les
années 1980. En 1979, l'arrivée au pouvoir de Ronald Reagan aux Etats-Unis
et de Margaret Thatcher en Grande-Bretagne signifie l'avènement des
doctrines libérales. La même année, le Sénégal inaugure le premier « plan
d'ajustement structurel » : la crise de la dette vient de commencer pour
les pays en développement, obligés d'adopter des « stratégies de
développement favorable au marché », selon la formule des institutions
financières internationales (Banque mondiale et FMI). Cette unification des
modèles économiques gagne non seulement le monde en développement mais
aussi les pays de l'Est : c'est en 1979 toujours que la Chine libéralise
son agriculture. Cinq ans plus tard, en 1984, elle ouvre ses premières
zones économiques spéciales. Cinq ans après encore, la disparition du mur
de Berlin annonce celle de l'Union soviétique en 1991, année où l'Inde,
jusque-là nationaliste, protectionniste et autarcique, se libéralise à son
tour.
En dix ans, la face du monde a résolument changé. La fin de la guerre
froide crée l'illusion qu'une communauté internationale est née, qui va
enfin percevoir « les dividendes de la paix ». Le capitalisme paraît avoir
triomphé, au point que Francis Fukuyama annonce « la fin de l'histoire ».
Les firmes transnationales amorcent un vaste mouvement de redéploiement de
leurs activités. La décennie 1990 est jalonnée par de grandes conférences
internationales où les acteurs traditionnels de la diplomatie, les Etats et
les institutions internationales, se voient bousculés, interpellés par de
nouveaux acteurs, qui privilégient la démocratie participative. Filles de
la mondialisation, dont elles utilisent un des ressorts essentiels, le
pouvoir des médias et de la communication, les ONG se fédèrent en réseaux
planétaires grâce à l'utilisation d'Internet. Elles imposent la vision
nouvelle d'un monde interdépendant, où les grandes questions - pauvreté,
santé, environnement - doivent être appréhendées de manière globale. Le
Sommet de la Terre (Rio, 1992) inaugure ainsi l'ère du développement
durable.
Le réseau plutôt que le territoire
Mais l'apparente unification de l'espace planétaire cache de profondes
disparités. A l'espace relativement homogène d'avant la révolution
industrielle s'est substitué un espace hiérarchisé entre des territoires
qui comptent dans l'économie mondiale et d'autres qui sont oubliés. « Le
monde de la globalisation est un monde de la concentration, de toutes les
concentrations : la moitié de l'humanité réside sur 3 % des terres
émergées, et la moitié de la richesse mondiale est produite sur 1 % des
terres », explique Olivier Dollfus (4). La mondialisation a à la fois des
centres d'impulsion et des périphéries, intégrées ou au contraire
délaissées. Les espaces moteurs de la mondialisation appartiennent à
l'« archipel métropolitain mondial », une toile de grandes mégalopoles,
essentiellement localisées au sein de la Triade (Etats-Unis, Europe,
Japon), qui sont reliées entre elles par des réseaux.
La logique du réseau évince celle du territoire : réseaux de transport (des
hommes, des marchandises, des matières premières, de l'énergie), mais aussi
réseaux de télécommunications et réseaux relationnels. Malgré les
extraordinaires progrès des technologies, il n'y a donc aucune abolition du
temps et de l'espace, mais la distance n'est plus métrique : elle
s'apprécie en fonction de l'équipement des lieux en réseaux, qui définit