La classification des sources des obligations au tournant du 20e s

29 avr. 2005 ... [11] - La lecture de Pothier et du Code civil faite par les exégètes nous ... de l'
ancienne jurisprudence, il ne satisfaisait pas non plus à l'examen ...

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La classification des sources des obligations au tournant du 20e s. Troisièmes journées d'études, Poitiers - Roma Tre, 29 avril 2005
[1] - La question doctrinale de la classification des sources des
obligations au tournant du 20e siècle nous renvoie plus à l'étude des
principaux manuels et traités de droit civil, qu'à celle de la
jurisprudence, même si la période 1880 - 1914 est fertile en arrêts
majeurs ; car il y a un lien entre le plan d'exposition du droit des
obligations dans les manuels de droit civil, et la théorie des sources des
obligations, et en chassant l'un, on trouve l'autre. Mais il faut ouvrir
grand les bras et embrasser largement plus que le virage vers 20e siècle,
car, pour comprendre ce moment doctrinal innovant, qui est au c?ur, il faut
mettre en perspective la longue ligne droite qui le précède, et les chemins
mal tracés qui le suivent.
On dit souvent que les juristes français sont cartésiens, alors, pour
respecter Descartes et par fidélité au discours de la méthode, je ferai mon
exposé selon un plan en six parties. 1/. L'environnement théorique de l'innovation (Perspective
théorique)
2/. Le terreau de l'innovation (1804 - 1880)
3/. Les prémices de l'innovation (1880 - 1895)
4/. Les bourgeons de l'innovation (1895 - 1914)
5/. Le gel de l'innovation (après 1918)
6/. Les fruits de l'innovation
1/. L'environnement théorique de l'innovation [2] - Le tournant du 20e siècle (1880-1914) est une des époques les plus
savantes de l'histoire de la pensée juridique, c'est une période composée
d'un premier moment que les historiens appellent « déclin de l'exégèse » à
l'invitation de Bonnecase et d'un second moment que conduira la rénovation
des méthodes et des sources[1]. C'est d'abord une époque de transition :
transition du contenu des pouvoirs des autorités, transition des pratiques
d'écriture et des objets intellectuels de la doctrine, où, tout doucement
la Cour de cassation est hissée à une place forte et finalement investie
d'un pouvoir normatif général capable de réformer le système du Code civil.
C'est surtout une époque d'inventions : invention d'un discours doctrinal
politiquement neutralisé, construit sur le modèle de la science, tourné
vers la construction d'un objet « droit » ou la découverte d'un
« irréductible droit naturel » ; invention des théories générales et des
principes généraux.
Pour la perspective positiviste qui se dessine avec Carré de Malberg,
Duguit et évidemment Kelsen, le droit positif se conçoit et se construit à
partir d'un postulat de non - cognitivisme éthique, signifiant qu'on peut
savoir si une règle est juridiquement valide mais on ne peut savoir si elle
est juridiquement bonne : ce qui est droit ne se rapporte pas au contenu
des énoncés qui est politique, mais à la validité des règles au sein du
système[2]. Pour la perspective jusnaturaliste qui se rénove, au contraire,
le droit peut être connu par l'analyse du contenu des énoncés et de leur
interprétation : ce qui est droit en soi est l'objet d'une connaissance[3].
Pourtant, la science du droit, pour le positiviste comme pour le
naturaliste, à la fin du 19e siècle se doit d'être indépendante du sujet
connaissant ; toutes entreprises qui se prétendraient scientifiques, se
disqualifieraient par le recours à l'argument d'autorité.
[3] - La traduction de cette exigence scientifique va prendre plusieurs
traits. Sur un mode généalogique, un grand mouvement doctrinal va plonger
dans le courant et la méthode historiques : le droit, objet de la science,
est conçu comme l'?uvre d'une évolution historique, elle - même commandée
par l'évolution de la civilisation. La méthode scientifique consiste dans
l'étude des institutions et de leurs transformations successives, elle
conduit à la découverte de leur signification sociale et fait apparaître
« des permanences historiques résultant des conceptions primitives de tous
les peuples[4] ». Sur un mode critique, des auteurs vont engager la
reformulation des principes du système du Code civil, dont le plan ne
répond plus au canon, désormais acquis, qui veut qu'une théorie explicative
soit présentée premièrement par ses principes directeurs, et deuxièmement
par ses suites applicatives ; mais préalablement, pour élaborer ces
théories, il aura fallu saisir autrement la réalité du droit que comme un
instant législatif issu d'une intention ou d'une tradition : l'histoire et
la sociologie vont nourrir cette réflexion faisant de l'application des
règles la matière observable de la science. [4] - Notons que ce n'est qu'une fois admise cette idée que la matière
juridique est un ensemble de cas, que la science des juristes va pouvoir
rompre avec les pratiques d'exégèse : en abandonnant le commentaire article
par article, les auteurs des années 1880 - 1914 vont intégrer les critiques
factualistes, qui bien entendu fourmillent dans la littérature du 19e sous
la plume des exégètes, à des ensembles principiels dégagés par induction.
C'est pourquoi, alors que les premiers commentateurs concevaient le Code
civil comme un système dont il fallait analyser, mesurer et critiquer les
applications concrètes par rapport au système lui-même, par une voie
essentiellement déductive et critique de la déduction, les successeurs, dès
les années 1850-1860, vont utiliser la critique de la solution pour
invalider la règle et promouvoir la réforme. La méthode d'analyse bascule
en un demi-siècle de pratiques déductives à une logique inductiviste[5].
[5] - Au 19e siècle, la littérature de droit privé entame son virage vers
le 20e par la confrontation de notre Code civil français avec les travaux
préparatoires du Code civil allemand ; les auteurs français qui ont été
attentifs à la réception et à la transformation du système du Code civil en
Europe, en Italie, en Espagne, en Belgique,... le sont plus encore lorsque
émergent les théories générales présentées par la pandectistique allemande.
C'est ainsi que la Société de législation comparée, fondée en 1869 par
d'éminents professeurs (LABOULAYE, JOZON, BUFNOIR, ...), entreprend une
méthode historico - comparatiste assise sur la redécouverte du droit romain
et du droit coutumier, et travaille à la constitution d'un système
d'interprétation capable de guider à l'élaboration de théories générales
des relations juridiques.
Pour cette génération de juristes savants, la constitution d'un corps
de principes généraux fermement établis, vérifiés par leur permanence dans
l'histoire des peuples, même s'ils sont indéterminés relativement, définira
l'objet et le système de la science, mais il faut bien comprendre que la
perspective philosophique sur laquelle s'assoit cette tentative est
naturaliste. Tout le courant de pensée qui émerge dans le sillage des
pionniers de la méthode historico - comparatiste en France, à savoir le
mouvement de la libre recherche scientifique, a pour prémisses claires ou
parfois confuses, la rénovation du droit naturel face à la montée du
positivisme scientifique, logique et plus tard normativiste[6].
Incontestablement, l'influence de la science allemande se fera sentir bien
au-delà des groupuscules de théoriciens du droit, philosophes et
sociologues, et c'est parmi les juristes qui se prétendent volontiers
techniciens que l'on retrouvera les exigences d'une détermination
scientifique de l'objet droit : leurs travaux techniques et leurs manuels
d'enseignement vont faire apparaître des théories générales[7] en
particulier en droit des obligations[8]. 2/. Le terreau de l'innovation [6] - Les premiers commentateurs du Code civil héritent de la
classification consensualiste des sources des obligations qui place le
contrat au premier rang, les quasi - contrats, les quasi - délits et les
délits suivent, s'y ajoutent quelquefois la loi ou l'équité[9] . Dans cette
mesure, les analyses des dispositions générales du livre III (Art. 711-
717), des dispositions préliminaires du titre III du livre III (Art. 1101-
1107) ou de l'article 1370 en tête du titre IV, ne sont pas l'expression
d'une synthèse posant les principes généraux formant la matière des
obligations mais un inventaire ordonné des différents types d'engagements.
Aux titres III et IV, le Code civil reproduit Pothier, et les commentateurs
adhèrent grosso modo à ce système qui traite I°. Des contrats qui sont la
cause la plus fréquente d'où naissent les obligations. 2° Des autres causes
des Obligations, à savoir la loi, les quasi - contrats, les délits et les
quasi - délits.
Les rubriques sont en apparence les mêmes que celles de la
classification justinienne, hormis la réduction des quasi-délits aux
délits ; le changement profond est hérité du tournant crucial opéré de
Domat à Pothier qui a fait du contrat la première cause d'obligation, sa
source primordiale. Mais il y a un pas, et même un grand écart à franchir
avec beaucoup de souplesse, entre cette position qui exalte « l'accord, le
pacte, l'alliance »[10] et celle qui divise les actes et les faits
juridiques par la volonté individuelle[11].
[7] - Les commentateurs français adoptent l'ordre du Code civil, et
classent les causes des obligations selon le système de Pothier, même si
leurs analyses ne manquent pas de nuances[12] : au commentaire de l'article
1370, Toullier rédige une introduction du titre IV du livre III, intitulée
Notions générales (XI, [1-14]), dans laquelle il ébauche une explication
générale des causes des obligations. En fait,