LES CAUSES DE L'EVENEMENT TCHERNOBYL

A. CAUSES DE L'EXPLOSION DU REACTEUR N°4 de TCHERNOBYL .... L'
examen détaillé de ce qui s'est passé durant les quelques heures, les quelques ...

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LES CAUSES DE L'EVENEMENT TCHERNOBYL Par Jacques FROT* Le 26 Avril 1986, vers 1hr du matin, le réacteur N°4 de la centrale
ukrainienne de Tchernobyl, au cours d'un essai à bas régime demandé par les
autorités centrales de Moscou, était l'objet d'une excursion de puissance :
en quelques secondes celle-ci atteignait de l'ordre de 100 fois sa valeur
nominale ; le fluide caloporteur -de l'eau légère- ne suffisant plus à
évacuer cette énorme quantité de chaleur se vaporisait en une fraction de
seconde conduisant à 1hr 23mn 44s (heure locale) à une explosion de vapeur.
Le réacteur était détruit. Une radio-activité de l'ordre de 12
exabecquerels (~300 MCi) allait être libérée à l'atmosphère en une dizaine
de jours, contaminant de façon significative une zone de 150 000 km2
habitée par environ 6 millions de personnes et entraînant sur une grande
partie de l'Europe une augmentation mesurable de la radioactivité. L'événement Tchernobyl a deux composantes : A. L'explosion du réacteur nucléaire soviétique RBMK N°
4 ;
B. Les dommages sanitaires qui s'ensuivirent Nous en examinons ci-dessous les causes séparément car les dommages
sanitaires n'étaient pas une conséquence inévitable de l'explosion.
Toutefois certaines causes, celles de nature politique, ont pesé sur ces
deux aspects de l'évènement.
Rappelons que, avant Tchernobyl, le nucléaire civil du monde libre avait
connu deux accidents majeurs : celui du réacteur UNGG de Windscale en
Grande Bretagne en 1957 et celui du réacteur REP N°2 de la centrale de
Three Mile Island aux USA en 1979. Chacun de ces deux accidents fut classé
au niveau 5 de l'échelle internationale des évènements nucléaires -échelle
INES- qui comporte 8 niveaux (de 0 à 7) et fut créée après Tchernobyl.
Contrairement à l'opinion généralement répandue ces 2 accidents n'ont fait
ni mort, ni blessé et aucune étude épidémiologique n'a mis en évidence un
quelconque impact sanitaire. A. CAUSES DE L'EXPLOSION DU REACTEUR N°4 de TCHERNOBYL Ce réacteur de 1000 MWe est du type RBMK à eau légère bouillante modéré au
graphite. Outre la fabrication d'électricité il avait pour objectif la
production de plutonium 239 de qualité militaire, donc peu irradié : dans
ce but il était équipé d'un dispositif de chargement / déchargement du
combustible pendant la marche c-à-d sans arrêt du réacteur. Les causes de l'explosion sont de 3 types : A1. Erreurs de conception
A2. Fautes de Management / Erreurs du personnel d'exploitation
A3. Causes politiques A1. Les Erreurs de Conception A11. Le c?ur de ce type de réacteur est instable en dessous de 700 MWth (un
peu moins de 25% de la puissance nominale). En clair, à faible puissance,
toute tendance à l'emballement est automatiquement et rapidement amplifiée:
le réacteur devient difficilement contrôlable. Ceci est un aspect
extrêmement dangereux, spécifique des réacteurs RBMK et fort heureusement
absent de tous les réacteurs de conception non soviétique, absent également
des REP soviétiques (les VVER). Dans les réacteurs autres que RBMK toute
réaction nucléaire tendant à l'emballement est, par conception du réacteur,
automatiquement ralentie. L'explosion de Tchernobyl s'est produite,
précisément, lors d'un essai à faible puissance c-à-d dans un contexte
d'instabilité de ce réacteur. Les ingénieurs russes connaissaient cette
instabilité ; des experts français et britanniques également : la sonette
d'alarme avait été tirée -en vain- auprès du pouvoir soviétique bien avant
l'accident de Tchernobyl. Imaginez un bus menacé d'une sortie de route en
montagne avec un volant qui ne répond plus !!
A12. L'insertion complète des barres de contrôle des RBMK est lente : elle
demande une vingtaine de secondes (< 2 secondes sur les réacteurs du monde
entier, autres que RBMK), ce qui est beaucoup trop lent pour interdire
l'emballement de ce c?ur lorsqu'il fonctionne dans son domaine
d'instabilité. Il n'existe pas, dans les réacteurs RBMK, de barres d'arrêts
d'urgence à insertion rapide. Imaginez que les freins du bus ne donnent
toute leur puissance que 20 secondes après le « coup de patin » du
chauffeur !!
A13. Les barres de contrôle, faites de carbure de bore, sont équipées, à
leur extrémité, d'un embout de carbone qui, au début de l'insertion des
barres commence par ajouter de la réactivité...au lieu d'en retirer! Comme
si la première réponse au « coup de patin du chauffeur » était un
emballement du moteur du bus à pleine puissance durant quelques secondes !!
Ce phénomène dangereux avait été remarqué dès 1983 (3 ans avant Tchernobyl)
sur un réacteur RBMK de la centrale d'Ignalina.
A14. La fonction de modérateur - ralentissement des neutrons - est assurée
par 600 tonnes de graphite. Il ne s'agit pas à proprement parler d'une
erreur de conception mais plutôt d'une faiblesse : le graphite très chaud
mis à l'air libre s'enflamme, l'incendie vaporise les radio-nucléides
contenus dans le réacteur : leur dispersion dans l'atmosphère est donc
grandement favorisée. Les réacteurs occidentaux à eau sous pression et à
eau bouillante ne contiennent ni graphite (charbon) ni substance
inflammable.
A15. Les réacteurs RBMK ne sont équipés ni de dispositif d'épuration des
rejets gazeux ni d'enceinte de confinement: une telle enceinte aurait,
dans le pire des cas, au moins considérablement diminué et ralenti
l'évasion de radioactivité dans l'environnement. Ce type d'enceinte protège
les réacteurs du monde entier, y compris les REP dernière génération (VVER
1000) de l'ex-Union Soviétique et de ses ex-satellites. Le réacteur
accidenté de TMI en était équipé : il n'y eut pas d'évasion significative
de radioactivité. Dépourvu de cette enceinte, le réacteur RBMK est comme un
bus sans carrosserie : celle-ci est une protection évidemment majeure,
indispensable. En résumé nous avions un bus sans carrosserie, dont le volant ne répond
plus et dont le système de freinage mettait le véhicule à pleine vitesse
pendant quelques secondes avant de le ralentir efficacement après une
vingtaine de secondes...c'est à dire bien après que le véhicule ait versé
dans le ravin ou percuté le mur.
A2. Erreurs et Fautes du personnel d'exploitation
6 erreurs et fautes humaines ont été identifiées : 2 violations de
consignes permanentes (fonctionnement prolongé à moins de 700 MWth ; moins
de 30 barres de commandes insérées dans le c?ur) ; 1 non-respect de la
procédure d'essai ; 3 mises hors-circuit volontaires de dispositifs de
sécurité (l'injection de sécurité et, successivement, 2 dispositifs d'arrêt
d'urgence).
A l'évidence le personnel, insuffisament formé, n'avait pas conscience du
caractère dangereux de ses actions. S'il avait évité une seule de ces 6
erreurs l'explosion ne se serait pas produite. Il serait trop facile,
cependant, d'imputer aux opérateurs la responsabilité de la catastrophe :
ils ont fait leur métier, riches de la seule formation qui leur avait été
donnée ; celle-ci était insuffisante, incohérente avec le manque de
sécurités passives de l'installation. Leur méconnaissance de la neutronique
du c?ur RBMK leur interdisait de comprendre les implications des décisions
qu'ils prenaient : d'autant que le réacteur était en cours d'essai à faible
puissance selon un programme qui comportait d'importantes dérogations aux
règles permanentes d'exploitation.
Quant aux consignes d'exploitation -que ce soit les consignes permanentes
ou les consignes spécifiques de l'essai à conduire- elles étaient
incomplètes et imprécises.
L'examen détaillé de ce qui s'est passé durant les quelques heures, les
quelques minutes qui ont précédé l'explosion montre que celle-ci ne pouvait
pas ne pas se produire. Et si l'on considère que la notion d'accident est
associée à celles d'aléas et d'incertitudes -c'est à dire de probabilité-
alors l'explosion du réacteur de Tchernobyl n'est pas un accident. Cette
réflexion nous conduit aux causes politiques A3. Causes politiques En pleine guerre froide -qui menaçait parfois de devenir chaude- la
fonction plutonigène militaire du RBMK prêtait à la conception, à la
construction et à l'exploitation des réacteurs de cette filière un
caractère d'urgence qui n'autorisait pas les « pertes de temps »
qu'auraient impliquées les perfectionnements absolument nécessaires de la
sécurité de ces réacteurs. Les ingénieurs et scientifiques étaient soumis à
un objectif et un seul : produire du plutonium militaire le plus possible,
le plus tôt possible.
Les problèmes budgétaires agissaient de la même façon : non qu'il fut
question de réduire les dépenses mais tout simplement, avec les fonds
disponibles, de fabriquer le plus rapidement possible une quantité maximum
du meilleur 239Pu de qualité militaire.
C'est ainsi que le 2 mai 1986 (6 jours après l'explosion) le Ministre de
l'Electrification déclarait à une réunion du Politburo : « Malgré
l'accident l'équipe de construction fait face à ses obligations socialistes
et se lancera très prochainement dans la construction du réacteur N°5 »
La culture du secret était universelle en URSS. Elle imposait le
cloisonnement des connaissances : personne ne pouvait en détenir la
totalité et intégrer tous les aspects de la sécurité d'exploitation. En
matière de nucléaire civil cette culture soviétique du secret perdurera
jusqu'en 1989.
Certains scientifiques avaient un discours rigoureusement honnête ;
d'autres, également très compétents et connus comme tels ma