Bibliographie - Hal-SHS

Et si l'on consultait ? démocratiquement ? sur le sujet ceux qui sont privés de ces
.... A Madagascar, les cultivateurs sont si pauvres qu'ils s'empressent de
revendre ..... HUGON (Philippe), 2002, « Les politiques éducatives et le
développement » ... qui confient leurs enfants à des instituteurs de niveau bac +
5, admettent-ils ...

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La mondialisation est-elle le stade suprême de la colonisation ? Le transfert des modèles mondialisés dans les pays pauvres Christian BOUQUET
Géographe
Bordeaux 3, Ades-Dymset
bouquet@u-bordeaux3.fr
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Résumé : La mondialisation est le recouvrement progressif du monde par le
modèle économique libéral. Les institutions de Bretton Woods (Fonds
monétaire international et Banque mondiale) et l'Organisation mondiale du
Commerce sont les outils de la gouvernance mondiale. Celle-ci se charge
d'appliquer sur l'ensemble de la planète des modèles inspirés de W. W.
Rostow et du Consensus de Washington.
Dans les pays pauvres, les résultats sont contrastés. Ainsi les politiques
d'ajustement ont-elle surtout gonflé l'endettement des pays dits du tiers-
monde, et creusé les inégalités entre leurs habitants, en particulier pour
l'accès à l'eau et aux médicaments essentiels. Le dogme de la privatisation
a touché tous les secteurs, notamment celui de la terre, ébranlant
sérieusement les équilibres sociaux. Considéré comme valeur universelle, le
processus démocratique à l'occidentale a connu des fortunes diverses. Au
total, l'emprise des pays riches sur les pays pauvres se révèle bien plus
lourde que du temps de la colonisation. Mots-clés : mondialisation, modèle économique, ajustement, dette,
inégalités, processus démocratique.
Summary : Globalization is the gradual spread of the liberal economic model
over the world. The institutions set up at Bretton Woods (International
Monetary Funds and World Bank) and the World Trade Organisation are the
tools of world governance. This contribute to the worldwide application of
models inspired by W. W. Rostow and the Washington Consensus.
In poor countries, there have been contrasting results. Adjustment policies
have thus mostly inflated the debt of the so-called third-world countries
and deepened the inequalities between their inhabitants, particularly as
regards access to water and essential medecines. The privatisation dogma
has affected all sectors, including land ownership, profoundly undermining
upsetting social balances. The Western-style democratic process, which has
been considered as bearing universal valuen, has met with mitigated
success. All in all, the sway of rich countries on poor countries is
proving much stronger than it was at the time of colonization. Key words : globalisation, economic model, adjustment, debt, inequalities,
democratic process. _____________
La rigueur qu'impose l'exercice, et le caractère qu'on pourrait juger
polémique de la question posée, nous conduisent d'abord à définir
clairement chacun des termes utilisés dans le titre.
Qu'entend-on par « pays pauvres » ? Sans méconnaître les ambiguïtés qui
gravitent autour de cette expression, portant notamment sur la différence
entre pays pauvres et populations pauvres, nous nous alignerons sur
l'orthodoxie en suivant les rapports du PNUD[1]. L'édition publiée en 2006
- qui se réfère à des chiffres de 2003 - confirme dans la typologie une
évolution qui n'est pas anodine : sur les 177 pays couverts, les 57
premiers sont considérés comme « à développement humain élevé », les 88
suivants comme « à développement humain moyen », et les 32 derniers (dont
30 en Afrique) comme « à faible développement humain ». Ainsi a-t-on isolé
les plus pauvres parmi les pauvres[2].
Cette dernière catégorie nous conforte dans le projet de prendre
l'essentiel de nos exemples en Afrique subsaharienne, puisque, à quelques
centièmes de points près, tous les pays appartenant à cet ensemble[3]
pourraient être rangés dans le groupe des pays à faible développement
humain. Ne sortent du lot que Sao Tomé, le Gabon, la Guinée équatoriale et
le Cap Vert, c'est à dire des petits pays à fort revenus pétroliers.
Qu'est-ce qu'un « modèle » ? Il y aurait, là encore, matière à débat
épistémologique (Brunet, 2000), mais nous nous en éloignerons en
choisissant l'origine italienne du terme, qui vient de « moule » et qui
suggère la reproduction. Ce parti pris facilite les choses, car c'est
davantage dans le registre de l'économie politique que s'inscrivent les
« modèles mondialisés » dont il sera question ici. Naturellement, il
faudrait préciser ce que nous entendons par « mondialisation », mais
ressurgit le spectre de la querelle sans fin sur les multiples définitions
du mot, sur le nombre de « mondialisations » déjà connues par la planète,
sur la différence entre « mondialisation » et « globalisation », etc.
Nous prenons le risque d'appeler « mondialisation » le vaste mouvement
contemporain de recouvrement du monde par des modèles considérés par les
pays riches comme ayant vocation à l'universalité. Ces modèles sont d'abord
de nature économique ; ils sont également - et pour certains par voie de
conséquence - de nature politique[4], sociale, culturelle et
environnementale.
Enfin, parler de « transfert de modèles », c'est déjà donner une
indication sur la réponse qui sera donnée à la question initiale : « la
mondialisation est-elle le stade suprême de la colonisation ? ». Dès que
l'on évoque une forme d'appui, d'assistance, d'aide, on est dans un
processus de domination.
1. Vers la « pensée unique » 1. La théorie : l'avènement du néolibéralisme Le colonialisme, ou comment se passer du cours de l'histoire... Pour
bien saisir la réalité des choses, il faut remonter cinquante ans en
arrière, à l'origine du mot « développement », que l'on trouve « par
défaut » (car il parle de « sous-développement ») dans un discours prononcé
par le président américain Harry Truman le 20 janvier 1949 : « Nous devons
utiliser notre avance scientifique et notre savoir-faire industriel pour
favoriser l'amélioration des conditions de vie et de la croissance
économique dans les pays sous-développés. » Le contexte est particulier :
le Plan Marshall (initiative américaine) commence à porter ses fruits dans
une Europe occidentale qui, certes, se reconstruit, mais dans un état de
subordination par rapport aux USA ; et, en même temps, Truman évite
d'utiliser le terme « pays colonisés » pour ne pas froisser les pays
colonisateurs, avec qui il compte faire alliance pour arrimer les pays
pauvres au « monde libre ».
Ce qui transparaît surtout dans ce discours, c'est qu'il impose le
modèle de la société industrielle occidentale comme référence universelle.
Pour le président américain, tous les Etats doivent suivre le chemin
parcouru aux 18ème et 19ème siècles par les grandes puissances, c'est-à-
dire viser la croissance économique par l'industrialisation, en appliquant
les mêmes politiques libérales (investissement privé et libre-échange
commercial).
Il ne fait là que suivre la pensée économique dominante du moment, qui
sera reprise par le courant néo-évolutionniste de Walt Whitman Rostow (1916-
2003) dans sa théorie du « parcours obligé ». L'auteur élabore un « axe de
développement » passant par 5 étapes, qui reprend une idée formulée par
Friedrich List[5] en 1841, et qui postule que toutes les sociétés doivent
obligatoirement passer par les mêmes stades pour atteindre l'objectif
ultime de développement qui, selon Rostow, est la « société de
consommation ».
Ainsi se met en place progressivement un corpus théorique, reposant sur
la priorité aux investissements rentables et sur l'accumulation du capital.
Il s'agit ni plus ni moins que de l'émergence d'une forme exacerbée de
libéralisme économique, enrichie par les apports de David Ricardo 1817) qui
recommandait, après Adam Smith (1776), que chaque pays se spécialise dans
le secteur où il était en mesure de produire une denrée peu onéreuse et
facilement exportable (théorie dite des « avantages comparatifs »)[6]. La
formalisation de ce courant de pensée, dont on dit qu'il émanait de
Margaret Thatcher et Ronald Reagan, intervient fort à propos en 1990, au
moment où le monde devient unipolaire : c'est le Consensus de Washington,
sous la signature de John Williamson.
Dans les « dix commandements » de ce nouvel évangile du capitalisme, le
modèle proposé s'appuie à la fois sur une stricte orthodoxie budgétaire et
sur les lois du marché. On y relève également des préconisations lourdes
de conséquences pour les pays pauvres. Certaines auraient dû s'avérer
positives, comme l'appel à la libéralisation totale du commerce, de nature
à favoriser leurs exportations. D'autres recèlent des pièges, comme le
dogme de la privatisation des entreprises publiques, ou encore - d'une
manière plus insidieuse - la garantie du droit de propriété intellectuelle.
2. Les outils : la montée en puissance de la gouvernance mondiale
Les outils pour appliquer ces principes ont été créés dès juillet 1944
à Bretton Woods. Il est intéressant de noter que la communauté
internationale - réduite, il est vrai, aux pays occidentaux - a jugé plus
urgent de s'occuper d'économie que de paix, puisque l'Organisation des
Nations unies n'a vu le jour que onze mois plus tard. Ainsi sont nés le
Fonds monétaire international (FMI), destiné à encadrer la nouvelle
politique économique des pays dits « libres », et la Banque mondiale,
chargée dans un premier temps d'attribuer des prêts pour la reconstruction
des pays détruits ou fortement touchés. Bien que les Etats-Unis aient
manifesté leur indépendance en lançant parallèlement un Plan Marshall sur
la base d'accords bilatéraux, on